Le guide du spectateur des Jeux Olympiques de l’Antiquité
Paul Christesen, expert des Jeux Olympiques de l’Antiquité, dévoile ce que les spectateurs ont dû éprouver à Olympie. De la trêve olympique à l’annonce des derniers travaux du célèbre historien Hérodote, en passant par la participation à un gigantesque barbecue durant 24 heures, il est facile de comprendre pourquoi tous les Grecs, sans exception, n’auraient manqué pour rien au monde les Jeux.
Les Jeux Olympiques étaient un événement très important pour les Grecs anciens. Ils drainaient des spectateurs et des participants des quatre coins du vaste empire, et constituaient le sommet incontournable du calendrier social.
«À l’époque, être Grec, cela signifiait notamment faire du sport et aller aux Jeux Olympiques», indique Paul Christesen, professeur d’histoire de la Grèce antique à l’université de Dartmouth aux États-Unis.
«La plupart des cultures de l’antiquité ont une géographie compacte. Prenez par exemple les Égyptiens, qui ont toujours vécu regroupés sur une petite partie des bords du Nil. Les Grecs étaient très étranges car, depuis des temps anciens, ils étaient géographiquement dispersés, et même en 600 av. J.-C. ils y avait des Grecs qui vivaient dans ce que l’on appelle aujourd’hui la France, l’Espagne, l’Italie, la Lybie, la Turquie et la Russie».
«Ils passaient donc beaucoup de temps à se demander avec inquiétude «Qu’est-ce qui fait que je suis Grec ?» C’est en partie la raison pour laquelle ils prenaient les Jeux Olympiques autant à cœur : c’était un marqueur culturel fondamental pour eux ?».
En conséquence, les Grecs voyageaient de tout le bassin méditerranéen pour assister aux Jeux et réaffirmer ainsi leur identité. Les chiffres sont ahurissants. Les spécialistes estiment que plus de 50 000 personnes, peut-être, se sont rendues à Olympie pour une seule édition des Jeux, lorsqu’ils étaient à l’apogée de leur popularité au deuxième siècle de notre ère. Si on songe qu’il n’y a jamais eu plus de quatre millions de Grecs au total dans l’Empire à un moment donné, le pourcentage est significatif.
La première tâche consistait à se rendre à Olympie, ce qui pour de nombreux Grecs impliquait un voyage considérable, à travers des territoires dangereux. Heureusement, il y avait la trêve olympique.
«La trêve signifiait que, un peu avant et pendant les Jeux Olympiques, les états grecs s’accordaient pour laisser passer tous ceux qui voulaient se rendre aux Jeux Olympiques, explique Paul Christesen. Par exemple, si l’état A se trouvait entre l’état B et le lieu des Jeux Olympiques et que ces deux états étaient en guerre, vous deviez, lors des Jeux Olympiques, laisser ceux qui étaient vos ennemis en temps normal, pour qu’ils puissent traverser votre état et se rendre à Olympie».
Qui dit trêve ne veut pas dire cependant arrêt des combats. D’ailleurs, en une occasion, ils se sont approchés tout près.
«On connaît au moins un exemple où, durant les Jeux Olympiques, une bataille s’est déroulée à Olympie même, dans le sanctuaire religieux, en 364 av. J.-C.», précise Paul Christesen. Le conflit mettait aux prises les Éléens qui ont repoussé les Arcadiens, après que ces derniers ont tenté de prendre le contrôle du site.
Une fois arrivés sains et saufs à Olympie, les gens avaient tendance, en toute logique, à rester sur place durant les cinq jours que duraient les Jeux. L’endroit devenait un bazar trépidant où amis, membres des familles et partenaires mangeaient, buvaient, cancanaient et faisaient des affaires ensemble. Avec un rassemblement aussi concentré de Grecs venus des quatre coins de ce qui est aujourd’hui l’Europe, Olympie devint naturellement une destination incontournable tous les quatre ans.
«Par exemple, Hérodote, le célèbre historien grec, venait à Olympie et lisait quelques-uns de ses derniers travaux, debout sur le portique arrière de l’un des temples, dit Paul Christesen. C’était du grand spectacle».
C’était malgré tout un spectacle exclusivement réservé aux hommes. Enfin, probablement. Paul Christesen explique ainsi qu’un débat a cours pour savoir si l’interdiction d’assister faite aux femmes s’appliquait aux femmes non mariées, en confiant que «personne [n’avait] vraiment de réponse».
Ce qu’on sait avec certitude, c’est qu’il y a au moins une femme, qui était non seulement autorisée à assister aux Jeux, mais qui faisait partie des rares privilégiés parmi les plus de 40 000 spectateurs à bénéficier d’une place assise : la prêtresse de Demeter, la déesse de l’agriculture. Mais là encore, le débat fait rage quant aux raisons justifiant le traitement de faveur consenti à la représentante de la divinité.
Pour Paul Christesen, la raison est simple.
«Des versions ultérieures du stade semblent avoir été construites sur ce qui était un sanctuaire dédié à Demeter, dit-il. La prêtresse s’asseyait donc à l’endroit où se trouvait auparavant le sanctuaire. Cela signifie probablement qu’à part la construction du stade à l’endroit où avait été élevé son sanctuaire, il n’y avait pas d’autre lien spécifique entre Demeter et les Jeux Olympiques».
Même s’il ne s’agissait sans doute que d’une coïncidence, cela donne néanmoins un aperçu de l’importance de la religion. Si le sport avait été le ciment permettant de maintenir l’unité des Jeux Olympiques, l’activité religieuse en était l’un des fondements.
«L’élément central des Jeux était un immense sacrifice à Zeus, la divinité du sanctuaire, dit Paul Christesen. Le sacrifice intervenait au milieu du troisième jour et on s’arrangeait pour qu’il coïncide avec la pleine lune. Le peuple qui organisait les Jeux, les Éléens, sacrifiait 100 vaches.»
Si cela fait penser à un gigantesque barbecue débridé, c’est parce que c’est ce qui se passait réellement!
«Les Grecs ne mangeaient pas beaucoup de viande, car elle était très chère, ajoute Paul Christesen. Donc la religion grecque s’arrangeait pour qu’on sacrifie l’animal et qu’on en brûle une partie sur l’autel, mais qu’on en garde la plus grande partie pour la faire griller sur la braise.»
Rassasiés, rassurés quant à leur identité nationale et la conclusion d’une ou deux affaires en prime, les spectateurs n’avaient plus qu’à entamer leur long voyage de retour, revigorés pour les quatre années suivantes.