Course de chars
Suspense, dérapages et carambolages garantis durant les courses de chars
La course de chars est l’une des épreuves les plus excitantes, poignantes et dangereuses inventées par l’homme. Inscrite au programme des Jeux Olympiques dès 680 avant J.-C., elle nourrit toujours notre imaginaire, deux millénaires et demi plus tard.
«On n’image pas la puissance que développent quatre chevaux lorsqu’ils courent au même rythme», assure Boyd Exell, quadruple champion d’attelage à quatre de la Fédération Équestre Internationale (FEI), l’équivalent moderne d’un aurige.
Un cheval est aussi fort que dix hommes. Multipliez ça par quatre puis imaginez cette puissance et cette force unies dans un même mouvement. L’accélération et la force centrifuge sont incroyables.
La course de chariots à quatre chevaux était l’événement le plus populaire, le plus prestigieux et le plus long du programme équestre des Jeux Olympiques de l’Antiquité. L’aurige était perché sur un chariot ouvert équipé de roues en bois reposant sur un simple essieu. Les équipes devaient se presser sur l’hippodrome d’Olympie, devant un box de départ spécialement construit pour l’occasion. Le mécanisme avait la forme d’une proue de bateau, tournée vers la piste. Au son d’une trompette, un aigle majestueux s’élevait au-dessus de cette proue, tandis qu’un dauphin tombait. Ce mouvement entraînait la levée des cordes qui retenaient les palissades sur les côtés. Quand les chariots placés à l’extérieur arrivaient à hauteur de ceux installés au centre de la piste, ils étaient libérés à leur tour. Tous les chariots se retrouvaient sur la même ligne, prêts à s’élancer tous ensemble.
Si la fameuse scène de la course de chariots du film Ben Hur, sorti en 1959, est considérée comme l’une des plus spectaculaires de l’histoire du cinéma, ce n’est pas par hasard.
«C’est déjà assez impressionnant de voir un cheval spécialiste du galop passer devant vous. Il en va de même pour un groupe de chevaux de course. Alors, voir toute une équipe de spécialistes du galop, c’est extraordinaire», poursuit Exell.
«Quand je suis au sol, il faut que je respire calmement pour me souvenir que j’ai déjà mené ce genre d’attelage», poursuit notre interlocuteur, visiblement nerveux. Quelques-uns des chevaux de l’Australien ont participé au remake de Ben Hur en 2016.
La lutte pour arriver en tête au premier virage était particulièrement cruciale. Comme en Formule 1, le fait de prendre l’intérieur du virage et de profiter du vent frais constituait un avantage incommensurable. En revanche, les collisions, elles, étaient pratiquement inévitables. Les essieux bloqués, les chocs et les fouets lâchés pouvaient provoquer des embardées et de terribles dégâts, sans même parler de blessures potentiellement mortelles.
Exell a eu la chance de monter dans un sulky (un chariot moderne à deux roues, assez proche des chariots anciens) dès l’âge de huit ans, à l’initiative de sa mère... qui espérait le dégoûter ainsi des chevaux. Il est donc bien placé pour se faire une idée de l’excitation, mais aussi des dangers, qui faisaient partie du quotidien des auriges.
«Nous [Exell et son frère de dix ans] étions des enfants irresponsables entourés d’animaux rapides et de sulkys. Nous avons traversé des sables mouvants et des rivières en regardant l’eau qui glissait sur le dos de nos chevaux. Nous avons aussi cassé beaucoup de sulkys et de harnais.»
Sur l’hippodrome, les auriges n’avaient pas le droit de modifier leur trajectoire, tant que la piste devant eux n’était pas libre. Contrôler quatre chevaux avec un fouet, négocier des virages à pleine vitesse et échapper à des adversaires parfois mal intentionnés n’était pas un mince exploit.
Le lien entre l’aurige et ses chevaux était manifestement la clé du succès. Les animaux les plus puissants et les plus vifs étaient placés sur l’extérieur, pour faciliter les virages. Malgré l’évolution des techniques, Exell pense pouvoir se faire une idée de ce que ressentaient les coureurs.
«Les chevaux à l’arrière de l’attelage sont appelés les rouleurs et il vaut mieux qu’ils soient prudents, poursuit le champion de 44 ans. Si le chariot risque de percuter un arbre ou un poteau, ces chevaux vont le sentir et ils vont s’écarter. Les meneurs à l’avant doivent en revanche être courageux et audacieux.»
Les chariots effectuaient douze tours de piste, soit environ 14 000m. Curieusement, la gloire et la couronne de laurier revenaient au propriétaire du chariot. L’hippodrome était donc un lieu de richesse et de puissance, car presque tous les personnages importants de l’époque possédaient un chariot.
Pour les femmes, c’était aussi une occasion de participer de manière indirecte aux Jeux Olympiques. Kyniska, fille du roi sparte Archidamos, est ainsi devenue l’une des premières «championnes olympiques».
Kyniska of Sparta
À Olympie: Vainqueur de la course de chars à quatre chevaux en 396 et 392 av. J.-C.
Origines: Fille du roi de Sparte, Kyniska s’est, dès son plus jeune âge, fixé pour objectif de connaître la gloire aux Jeux Olympiques. Profitant de la tradition qui faisait du propriétaire du chariot le lauréat de la couronne olympique, elle a ainsi contourné le règlement qui interdisait aux femmes de participer.
Pionnière: Les victoires de Kyniska ont encouragé d’autres propriétaires féminines à se lancer dans la course. À la fin des Jeux, douze d’entre elles s’étaient imposées.
Les auriges, comme les chevaux, recevaient un bandeau de laine qu’ils enfilaient sur leur tête. En raison de leur courage et de leur habileté, les auriges étaient très recherchés et très bien payés. Antikeris de Cyrène aurait démontré l’étendue de son talent à Platon-lui-même, en parcourant plusieurs tours d’hippodrome sans jamais quitter ses propres traces. On raconte que Karrotos, aurige du roi de Cyrène, aurait concouru contre 40 adversaires. Il aurait triomphé suite à l’abandon de tous ses rivaux.
Au milieu de tous ces exploits, les amis des animaux seront soulagés d’apprendre que les chevaux eux-mêmes n’ont pas été oubliés. Élevés pour la course, les chevaux de Kimon ont reçu leur propre sépulture à Athènes après avoir remporté trois titres olympiques d’affilée.
Quand l’infatigable Exell évoque les séries du championnat du monde en salle de la FEI à Stuttgart, on comprend ce que cette discipline pouvait avoir d’addictif.
«En remontant le long de la rampe d’accès, on ne peut s’empêcher de se prendre pour un gladiateur qui se prépare à faire son entrée dans le dôme du tonnerre», glisse-t-il en souriant.