Sima Bahous : “Le potentiel du sport en tant que moteur de l'égalité des genres n'est pas encore suffisamment exploité”
Dans la perspective de la Journée internationale des femmes 2023, Sima Bahous, secrétaire générale adjointe des Nations Unies et directrice exécutive d'ONU Femmes, explique en quoi le sport est essentiel pour la réalisation de l’objectif n°5 des Objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies (ONU) : Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser les femmes et les filles".
Nous vivons dans un monde fondamentalement interconnecté, où les maladies ne connaissent pas de frontières et où les guerres qui font rage dans une partie de la planète sont source de crises alimentaires et énergétiques, et d’inflation à l’autre bout du monde. Les conséquences ont un effet plus dévastateur sur les femmes et les jeunes filles, et peuvent signifier un renversement des progrès récents concernant l’égalité des genres – et de tous les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Nous devons changer le cours des choses et aller plus vite.
Si rien ne bouge, il pourrait falloir encore 300 ans pour parvenir à une égalité parfaite des genres. Or, nous avons une vision beaucoup plus court-termiste : la date limite de la réalisation des ODD est fixée à 2030. À mi-chemin vers cette échéance, le moment est venu de faire preuve de solidarité en élaborant des réponses et en cherchant à accélérer, et non à effacer, les progrès. Il est temps de concentrer délibérément – et mieux – nos efforts vers les femmes et les jeunes filles.
Un langage commun
Le sport mobilise et galvanise la communauté mondiale. Il parle un langage commun d’aspiration et d’inspiration pour les jeunes. Dans notre monde, secoué par les conflits et les crises, il réalise l’union malgré les obstacles nationaux et les différences culturelles, et favorise la transmission des compétences et de la résilience nécessaires pour avancer dans la vie à ses pratiquants. Les jeunes filles qui pratiquent un sport apprennent l’estime de soi, à vaincre l’adversité et à travailler en équipe. Elles ont tendance à avoir une scolarité plus longue, à retarder la maternité et à obtenir de meilleurs emplois. Elles développent des compétences de leadership qui peuvent propulser leur carrière.
Évoquant le pouvoir unificateur des Jeux, Thomas Bach, le président du CIO a déclaré : “Si le sport peut jouer un rôle dans la société aujourd’hui, c’est précisément en renforçant ces domaines de coopération en faveur de la paix entre les pays. De cette manière, le sport peut nous donner à tous, et en particulier aux jeunes du monde entier, l’espoir d’un avenir meilleur, plus pacifique.”
Le CIO défend depuis longtemps l’unité dans la diversité, comme le souligne sa nouvelle devise “Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble”. Je salue la stratégie Olympism365 du CIO qui renforce le rôle du sport comme partenaire important pour la réalisation des ODD.
Stratégies interconnectées avec le CIO
Depuis 2015, ONU Femmes travaille avec le CIO pour favoriser l’égalité des genres dans et par le sport, via trois stratégies interconnectées : aider les jeunes filles à avoir une activité sportive et à en tirer profit ; changer les politiques afin de promouvoir et d’institutionnaliser l’égalité des genres dans le sport ; et exploiter la plateforme mondiale qu’offrent les Jeux Olympiques comme modèle pour la génération actuelle et les suivantes et leur faire comprendre que s’ils peuvent y assister, ils peuvent y participer.
Notre programme commun et évolutif, One Win Leads to Another (Une victoire en entraîne une autre), enseigne à la fois le sport et les compétences utiles dans la vie aux jeunes filles issues de communautés vulnérables. Héritage de Rio 2016 et des Jeux Olympiques de la Jeunesse de Buenos Aires 2018, ce programme et le cours en ligne qui lui est adjoint permettent aux jeunes filles de devenir des agents du changement dans leur famille et dans leur communauté.
Ce n’est là qu’une des façons dont ONU Femmes et le CIO travaillent ensemble pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes, en soutenant l’éducation des jeunes filles et des communautés pour leur permettre de reconnaître et combattre la violence. Je salue et j’encourage les efforts du CIO pour protéger le sport plus largement, aux Jeux Olympiques et au sein du Mouvement olympique.
Au niveau de la politique mondiale, ONU Femmes et le CIO ont lancé en 2021 les principes de l’initiative “Sport pour la Génération égalité”, afin d’exploiter le pouvoir de l’écosystème du sport pour mener à bien l’entreprise inachevée de l’égalité des genres et des ODD. Ces principes ont été intégrés à l’Agenda olympique 2020+5 et sont accompagnés des *Guidelines for Gender-Responsive Sports Organizations *(Directives pour les organisations sportives qui tiennent compte de la dimension de genre), un guide pratique de mise en œuvre.
Des avancées décisives
Il est vital de faire entendre la voix des femmes à la table des décisions dans le sport. Il s’agit d’une condition préalable essentielle pour faire progresser les politiques et les investissements qui favorisent et institutionnalisent l’égalité des genres. Le Président Bach a ouvert la voie au CIO en nommant en septembre 2022 un nombre égal de femmes et d’hommes – une première – aux 546 postes de la commission du CIO. 41 % des commissions sont présidées par des femmes en 2022, contre 26,6 % en 2014. Il s’agit d’un précédent crucial que d’autres pourront suivre.
C’est grâce à l’engagement du CIO que les Jeux de Tokyo 2020 ont été les plus égalitaires de l’histoire, les femmes représentant 49 % des athlètes, alors que pour la première fois, hommes et femmes ont défilé dans le stade olympique en portant ensemble leurs drapeaux nationaux. Autre première, les 206 CNO alignaient au moins une femme dans leurs équipes et il y a eu plus d’épreuves féminines – et donc plus de médaillées olympiques – que jamais auparavant. Les Jeux ont projeté une image claire de l’égalité des genres et de la solidarité entre hommes et femmes pour y parvenir.
C’était un précédent retentissant que j’espère voir se répéter à Paris en 2024. La présence d’un plus grand nombre de femmes sur le devant de la scène olympique a une énorme influence globale sur la culture populaire et la perception du public, ce qui contribue à générer un cycle vertueux d’amélioration de la perception des femmes, dans toute leur diversité. Cela peut à son tour conduire à des changements dans les politiques publiques et soutenir notre objectif de remettre en question et de changer les normes sociales néfastes qui sont les causes profondes de l’inégalité des genres.
Il n'y a pas d'objectif plus noble
Bien qu’il y ait une dynamique de changement, il reste encore beaucoup à faire. Nous saluons les avancées significatives dans le monde du sport, mais ce dernier n’a pas encore exprimé son plein potentiel en tant que moteur de l’égalité des genres. La domination masculine dans le sport continue de se manifester par la persistance de préjugés à l’égard des femmes et des jeunes filles et par des inégalités en termes de rémunération, d’investissement, de leadership, de présence dans les médias et d’obstacles à leur participation égalitaire.
C’est pourquoi nous devons travailler comme une équipe pour y remédier. Le sport est un atout unique pour nous aider à mettre fin à toutes formes de discrimination et de violence à l’égard des femmes et des jeunes filles et garantir la pleine participation des femmes, sur un pied d’égalité, au leadership et à la prise de décision. Il ne saurait y avoir d’objectif plus élevé, ni de plus grande victoire pour nous tous.
Sima Bahous est devenue la 3e directrice exécutive d’ONU Femmes en septembre 2021. Fervente défenseure des femmes et des jeunes filles, de l’égalité des genres et de l’autonomisation des jeunes femmes, elle apporte à ce poste plus de 35 ans d’expérience de leadership aux niveaux local et international.
Il s’agit d’une version éditée d’un article initialement publié dans la Revue Olympique.