Ali Noghandoost : “Servez-vous de votre talent pour aider les autres”
À l’occasion de la Journée internationale du sport au service de la paix, l’athlète iranien de taekwondo Ali Noghandoost, détenteur d’une bourse de la Solidarité Olympique en tant qu’athlète réfugié et espérant se qualifier pour les Jeux Olympiques de Tokyo 2020 avec l’équipe olympique des réfugiés, revient sur son périple qui l’a mené d’Iran en Europe et sur la manière dont le sport l’a aidé à se reconstruire.
Ali a été forcé de fuir son pays natal avec ses frères et sœurs en 2015 en laissant tout derrière lui pour se rendre à Istanbul, en Turquie, avant d’embarquer pour un voyage périlleux en quête d’asile en Europe. La partie la plus difficile de son voyage s'est déroulée lors d'une traversée en bateau de trois heures et demie entre la Turquie et la Grèce où il a réalisé que d'autres réfugiés cherchant un lieu sûr avaient péri.
Ali avait huit ans lorsqu’il rejoignit un club de taekwondo. C’est la force acquise durant ses entraînements qui lui ont permis de survivre aux défis physiques et mentaux de son périple. Après une brève halte en Autriche, il est désormais en sécurité en Croatie où il s’entraîne à Jastreb, son nouveau club de Zagreb, en vue de participer aux Jeux Olympiques au sein de l’équipe olympique des réfugiés tout en enseignant à de jeunes réfugiés et à des enfants pour qui il fait office de mentor.
Le sport a aidé Ali à se reconstruire, à apprendre de nouvelles langues, à nouer de solides amitiés dans de nouvelles villes et à se ménager un espace pour apprendre de son expérience afin d’aider et d’encourager de jeunes enfants vulnérables confrontés à des situations similaires à la sienne. À l'occasion de la Journée internationale du sport au service de la paix, il a expliqué au CIO son voyage épuisant qui l’a mené d’Iran en Europe, la manière dont il a trouvé la force de continuer à regarder en avant malgré des circonstances inimaginables et le message qu’il voudrait partager avec les réfugiés du monde entier.
Quel rôle le sport a-t-il joué dans votre périple et comment vous a-t-il aidé à vous reconstruire ?
“Lorsque j’ai dû quitter ma famille et mon foyer en Iran, les premiers objets que j’ai mis dans mon sac furent ma ceinture, mon dobok, mes chaussures et mes mitaines de taekwondo.
J’ai pris des documents attestant que je suis un champion en Iran et que je fais partie de l’équipe nationale de manière à pouvoir prouver que je suis un battant et que je peux continuer à m’entraîner dans n'importe quelle ville où je me trouve.
Je cherchais sur internet un club dans lequel m’entraîner mais il arrivait que je n’en trouve pas. Lorsque nous étions dans un camp de réfugiés à Graz, en Autriche, nous dormions à même le sol ; nous étions environ 1 000 par des températures glaciales, mais je me préparais pour les championnats d’Autriche en espérant rejoindre l’équipe nationale… J’avais trouvé un endroit pour installer mes pattes d’ours et je faisais trois sessions d’entraînement d’une heure et demie par jour. J’ai terminé premier de ma catégorie lors des championnats, ce qui m’a valu une médaille d’or.
La force physique gagnée lors de mes entraînements de taekwondo m’a également permis de courir vraiment vite lorsque j’ai dû fuir des situations dangereuses. La première partie de notre voyage vers l’Europe, de la Turquie à la Grèce, s’est déroulée sur un bateau et j’ai dû ramer trois heures et demie sans arrêt ; soit je ramais soit mes frères et moi-même mourrions. Le taekwondo m’a aidé non seulement physiquement mais aussi mentalement en me forçant à persévérer et en m’empêchant de laisser tomber. C’est cette force-là qui m’a permis de survivre”.
Vous enseignez le taekwondo à des enfants et à des jeunes réfugiés en Croatie. D’après vous, qu’est-ce que la pratique du sport apporte à ces enfants et comment les soutenez-vous en tant qu’entraîneur et mentor ?
“J’entraîne à Jastreb et nous avons un projet qui s’appelle New Life qui aide les réfugiés comme moi. Nous contribuons à leur donner une nouvelle chance et, en tant que réfugié moi-même, je peux les aider à s’adapter à leur nouvelle vie. Je sais ce qu’ils ressentent et comment leur situation peut les mettre en colère. Lorsque vous vivez dans un camp de réfugiés, c’est vraiment très difficile mais la pratique d’un sport vous permet d’évacuer toutes les énergies négatives et de vous libérer. Leur permettre d’être eux-mêmes, c’est leur donner de l’espace, un rêve.
Je leur parle beaucoup parce qu’ils ont besoin d’un entraînement mental, ils ont besoin d’un coach. À mon arrivée en Croatie, j’ai eu un mentor qui m’a vraiment aidé. Où que vous vous trouviez, il y a trois choses primordiales à faire : apprendre la langue, apprendre la culture et avoir un mentor qui vous aide à trouver votre chemin et votre talent. J’essaie d’aider les jeunes réfugiés que j’entraîne à s’intégrer dans la société. Je veux les voir grandir, apprendre toujours plus et se faire de nouveaux amis. En tant que réfugiés, nous arrivons dans une nouvelle culture et nous nous retrouvons dans une petite boîte (on nous dit qui nous sommes et qui nous devrions être) mais moi je veux qu’ils sachent qu’ils peuvent décider eux-mêmes de leur vie.”
D’après vous, quelle est la principale chose que le sport peut amener aux jeunes gens vulnérables ?
“L’amitié : les enfants peuvent se faire tellement d’amis grâce au sport ! Peu importe qui vous êtes, d’où vous venez, quelle langue vous parlez, le sport permet de vous faire des amis sur le long terme. En arrivant en Croatie, sans même connaître le croate, je me suis fait des amis grâce au taekwondo. Qu’importe si vous donnez un coup de pied à votre ami et que celui-ci renvoie le coup, il sera à vos côtés pour toute la vie”.
Vous êtes au bénéfice d’une bourse de la Solidarité Olympique pour athlète réfugié. Qu’est-ce que le mot "solidarité" signifie pour vous ?
“Pour moi, la solidarité veut dire famille. Ça signifie que malgré l’absence de ma vraie famille à mes côtés à Zagreb, je peux compter sur le soutien de la famille du CIO pour m’aider à réaliser mon rêve, soit la qualification pour les Jeux Olympiques.
Lorsque j’ai reçu une bourse en 2019, ça m’a fait beaucoup de bien. Avant cela, c’était comme si toutes les portes étaient fermées pour moi. Mais j’ai prié, sachant qu’une porte s’ouvrirait. C’était mon rêve d’aller aux Jeux Olympiques lorsque j’ai commencé le taekwondo, et avec l’aide du CIO, j’ai vraiment pu me concentrer sur mes entraînements en vue de Tokyo 2020 et commencer à croire en mes rêves”.
Le HCR, agence onusienne pour les réfugiés, a produit un film illustrant le périple d’un athlète réfugié qui laisse tout derrière lui et qui finit par se retrouver parmi les premiers athlètes à défiler dans le stade olympique. À quel point ce film vous a-t-il inspiré et vous rappelle-t-il votre propre vécu ?
“C’est véritablement mon histoire. C’est le premier film que j’ai vu qui raconte mon histoire et celle de mes amis syriens, irakiens et autres. Il relate exactement ce par quoi nous sommes passés pour être ce que nous sommes aujourd’hui.
J’ai traversé les mers pour arriver en Europe et j’ai vu beaucoup de gens périr noyés. Je suis arrivé dans de nouveaux pays, j’ai appris de nouvelles langues, je me suis mis aux études, je suis devenu entraîneur et, pour finir, on m’a donné l’occasion de tenter de réaliser mon rêve en participant aux Jeux Olympiques. Voir un réfugié parvenir à défiler dans le stade olympique, c’est tout simplement incroyable”.
Quel message aimeriez-vous envoyer aux réfugiés du monde entier ?
“Je me considère comme un gagnant dans la vie et je considère tous les réfugiés du monde comme des gagnants. Je crois en vous et je crois en moi. Je veux vous dire de ne pas vous inquiéter pour l’avenir et de vivre le moment présent. Apprenez les leçons du passé et servez-vous-en pour vous aider aujourd’hui.
N’ayez pas peur de qui vous êtes, de vos compatriotes ni d’où vous venez. Si vous avez survécu à votre voyage et à votre situation, c’est qu’il y a une raison. Vous pouvez être une source d’inspiration pour les autres, que ce soit par le sport ou l’éducation. Quel que soit votre talent, utilisez-le pour aider les autres. Voilà le message que je veux envoyer aux réfugiés du monde entier”.
En partenariat avec le HCR, le CIO aide les réfugiés grâce au sport depuis 1994. En 2016, la toute première équipe olympique des réfugiés formée par le CIO a concouru à Rio de Janeiro ; la Solidarité Olympique aide actuellement 55 réfugiés boursiers en lice pour tenter de faire partie de l’équipe olympique des réfugiés de Tokyo 2020. Le CIO continuera à aider les athlètes réfugiés qui ne se rendront pas à Tokyo et à aider les membres de l’équipe au terme des Jeux Olympiques. L’Olympic Refuge Foundation est le dernier chapitre en date de l’engagement pris par le CIO pour fournir assistance aux réfugiés en leur assurant son aide 365 jours par an dans le monde entier.