"On m'a répété depuis ma plus tendre enfance que le karaté n'était pas un sport pour les femmes", explique Ana Maria Stratou, qui est pourtant tombée amoureuse de ce sport dès son plus jeune âge en République de Moldova. Heureusement pour elle, son père n'était pas de cet avis.
"Le sport était important pour mes parents avant ma naissance donc il était naturel qu'ils veuillent que je pratique un sport moi aussi", confie-t-elle. J'avais quatre ans lorsque j'ai commencé à faire de la danse de salon. À l'âge de huit ans, j'ai opté pour le karaté. Mon frère a été le premier à essayer et ensuite mon père a décidé qu'il serait bien que j'en fasse autant. Je pense que j'étais impressionnée par l'entraîneur et par la façon dont il gérait bien les enfants." À l'âge de 23 ans, après être devenue ceinture noire, Anna était l'athlète la mieux classée de la République de Moldova dans son sport.
Son amour pour le sport l'a finalement poussée à se présenter en tant que jeune ambassadrice pour la République de Moldova aux Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) de Nanjing 2014. Pour rappel, les jeunes ambassadeurs sont nommés par leurs Comités Nationaux Olympiques (CNO) respectifs en prélude à chaque édition des JOJ afin de veiller à ce que les athlètes tirent au mieux parti de leur expérience aux JOJ et profitent de toutes les activités du programme "apprendre et partager" proposées, telles que des ateliers sur la lutte contre le dopage, la prévention des blessures ou encore la reconversion professionnelle.
Âgés de 18 à 25 ans au moment de leur nomination, les jeunes ambassadeurs viennent de tous les horizons mais sont tous animés par la même passion pour le sport et par ses valeurs. Depuis Singapour 2010, le programme a rassemblé un réseau mondial de 203 jeunes ambassadeurs enthousiastes, originaires de 205 CNO. "C'était une pure coïncidence qu'un ami journaliste sportif m'informe de cette possibilité. J'ai donc décidé de me rendre au CNO et de postuler pour le programme. Nanjing était une expérience vraiment très vraiment intéressante et un défi pour moi. L'ambiance fabuleuse qui régnait aux JOJ était quelque chose que je n'avais jamais connu avant, et nous avions une formidable équipe de jeunes athlètes. Le meilleur moment a été quand notre pays a remporté sa première médaille d'or en canoë. L'ensemble de l'équipe était là pour les soutenir et les encourager et après cette victoire, la plupart d'entre nous étions aphones, moi comprise !"
Forte de son expérience à Nanjing, Ana a continué à travailler dans le sport – tout d'abord pour le CNO moldave avant d'occuper des fonctions dans les comités d'organisation des Jeux européens de Bakou en 2015 et des Jeux Olympiques de Rio 2016, sans oublier la Fédération nationale de karaté de la République de Moldova. Ana a aussi poursuivi sa carrière dans le karaté et a concouru aux Championnats du monde et d'Europe en tant que seule athlète féminine de la République de Moldova. Lorsque l'occasion s'est présentée, elle a demandé un financement au CIO à travers le programme "Jeunes ambassadeurs +" pour concrétiser son projet, à savoir rendre son sport plus accessible aux femmes dans son pays.
Le programme "Jeunes ambassadeurs +" invite en effet les jeunes ambassadeurs à postuler pour des bourses pouvant aller jusqu'à 5 000 CHF afin de financer des projets locaux visant à créer un impact réel et positif sur leur communauté par le sport. "Peu de choses ont vraiment changé depuis mon enfance et nous ne comptons toujours qu'un petit nombre de femmes athlètes", explique-t-elle. Et de poursuivre : "J'ai décidé d'apporter un changement à notre société en offrant aux jeunes filles la possibilité de pratiquer gratuitement le karaté, et j'espère ainsi contribuer à briser les stéréotypes qui perdurent dans notre communauté." Le soutien qu'Ana a reçu lui a permis d'organiser avec succès le tout premier festival de karaté féminin de son pays.
Ainsi que l'a déclaré Ana : "Dès que j'ai été informée que le CIO avait approuvé le projet, nous avons commencé à préparer l'événement. Le premier festival de karaté féminin était un événement test, mais il a connu un franc succès et a été une motivation supplémentaire pour que les jeunes filles pratiquent le sport qu'elles aiment."
Le festival a été si réussi qu'Ana planifie d'ores et déjà la prochaine édition en 2017. "Nous avons reçu de bons retours de la part des partenaires et des médias et nous avons même rencontré d'autres partenaires potentiels car nous l'avons organisé autour de la date de la Journée internationale de la femme. Nous avons ajouté des jeux amusants et une présentation du sport, ce qui a permis au public de mieux comprendre. Depuis, le nombre de femmes pratiquant le karaté a augmenté et le prochain événement est fixé au 5 mars 2017."
Ana a également intensifié ses efforts pour soutenir les athlètes souffrant d'un handicap physique après avoir été inspirée par l'un de ses coéquipiers moldaves, lequel a perdu la vue à l'adolescence. "Dans bon nombre de pays, le karaté et d'autres sports sont largement pratiqués par des personnes souffrant de handicap, mais dans notre pays, ce taux est encore faible", explique Ana. En d'autres termes, les personnes handicapées passent à côté des bienfaits qu'elles pourraient retirer du sport et des athlètes comme mon coéquipier ne sont pas assez reconnus. Ado, il a commencé à perdre la vue et s'est retrouvé avec seulement 7 % à l'âge de 18 ans. Mais il n'a jamais renoncé. En 2016, il a décroché le titre mondial dans la catégorie "aveugles et déficients visuels", devenant ainsi un modèle pour tous ces enfants nés différents. Je me suis dit que nous pourrions l'utiliser comme exemple pour motiver ces enfants."
Grâce à ses projets, Ana a permis au karaté de recevoir un plus grand soutien en République de Moldova. La Fédération mondiale de karaté a même fait don d'un tatami à la fédération nationale. Ana espère désormais réussir de plus grandes choses à l'avenir. "Mon objectif est qu'il y ait autant de femmes que d'hommes qui pratiquent le karaté dans notre pays. J'aimerais aussi voir ces athlètes représenter la République de Moldova aux grands événements internationaux, aussi bien les jeunes filles que les enfants souffrant de handicaps. Le karaté permet surtout d'acquérir une confiance en soi et enseigne la persévérance à ces enfants. C'est un de mes projets à long terme, mais après un an, nous avons déjà jeté des bases solides. Je tiens à sensibiliser les autres organisations en République de Moldova afin de leur montrer que le sport peut avoir des bienfaits sur la société et les aider à mettre sur pied des projets similaires."