Le Comité International Olympique à 125 ans
À l’occasion du 125e anniversaire de la création du CIO, la Revue Olympique retrace l’histoire de l’organisation et s’entretient avec le président du CIO, Thomas Bach, ainsi qu’avec le président d’honneur du CIO, Jacques Rogge, afin de mieux comprendre comment, en dépit des nombreux défis, les valeurs qui sous-tendent les Jeux Olympiques demeurent plus pertinentes que jamais.
La meilleure façon de rendre hommage à un passé illustre est évidemment d'en tirer les leçons afin de préparer l'avenir.
Ces paroles sont de Pierre de Coubertin, alors jeune éducateur français qui, il y a 125 ans, a fondé les Jeux Olympiques modernes et créé le Comité International Olympique (CIO).
Coubertin ne pouvait guère savoir à l’époque que les Jeux Olympiques et le CIO seraient toujours aussi robustes un siècle et 25 ans plus tard. Son désir de réunir le monde dans des compétitions sportives pacifiques a triomphé de l’épreuve du temps et cette vision demeure aussi pertinente aujourd’hui.
«Je ne le répèterai jamais assez», confie le président du CIO, Thomas Bach. «Pierre de Coubertin
Alors que le CIO se prépare à célébrer son 125e anniversaire, le 23 juin, notamment en inaugurant son nouveau siège à Lausanne, Coubertin pourrait être surpris de la permanence du CIO et des Jeux d’aujourd’hui. Indéniablement, il serait fier de la manière dont l’institution a perduré et continue de se développer.
Peu d’ONG ou d’organismes mondiaux ont duré aussi longtemps et peu auraient pu survivre à deux conflits mondiaux, des boycotts pénalisants, une quasi-banqueroute, au terrorisme, au dopage et à d’autres scandales touchant à l’éthique. Toutefois, le CIO et les Jeux sont parvenus à résister aux menaces et à évoluer au fil de périodes agitées pour atteindre
le succès et la stabilité qui sont les leurs actuellement.
Quel est le secret de la longévité du CIO?
«Deux raisons à cela, estime le président Bach. La première, c’est que les valeurs établies par Pierre de Coubertin sont toujours importantes et le sont même plus encore à une époque de crise politique et financière. Nous avons vu comment ces valeurs ont conduit à la rénovation des Jeux après la Première et la Seconde Guerre mondiales.»
«La seconde raison c’est que le CIO, lors des moments les plus cruciaux, s’est toujours adapté aux temps modernes, indépendamment de sa tradition. Ceci signifie conserver les valeurs et les maintenir au plus haut niveau mais en adaptant le mode de promotion et d’interprétation de ces valeurs à l’époque donnée.»
Pour le prédécesseur de Thomas Bach, le président d’honneur du CIO, Jacques Rogge, cela se résume aux fondamentaux: inciter une génération d’athlètes après l’autre à poursuivre le rêve de participer aux Jeux Olympiques.
«Le CIO a pu non seulement survivre mais aussi s’épanouir en tablant sur des choses très simples», souligne le triple olympien belge en voile. «C’est le désir des athlètes de concourir avec les autres. Les athlètes souhaitent se retrouver au village olympique et concourir avec les meilleurs d’entre eux. C’est la base de tout, la poursuite de l’excellence et les valeurs universelles fondamentales.»
Ces valeurs de base n’ont pas été suffisantes pour convaincre les sceptiques en 1892, lorsque Coubertin appelle à la rénovation des Jeux Olympiques, créés par les Grecs en 776 avant notre ère et interrompus en 393 de celle-ci, les critiques jugeant l’idée absurde.
«Certaines personnes se sont indignées et m’ont voué à la damnation, m’ont accusé de blasphème et de désacralisation», se souviendra Coubertin plus tard.
Mais l’aristocrate français persévère et fait pression vigoureusement pour rassembler les soutiens autour du rêve auquel il tient tant. Lorsqu’il réunit un congrès extraordinaire à la Sorbonne à Paris en 1894, le vent tourne en faveur d’un Coubertin âgé de 31 ans. Ce qui avait été envisagé initialement comme une conférence sur l’amateurisme dans le sport est réintitulé: «Congrès international pour la rénovation des Jeux Olympiques».
Le congrès se réunit dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 16 juin 1894. Sept jours plus tard, le 23 juin, au cours de l’ultime séance, 79 délégués de 11 pays approuvent à l’unanimité la rénovation des Jeux.
Coubertin salue «la restauration d’une idée vieille de 2 000 ans qui aujourd’hui, comme par le passé, stimule toujours le cœur des hommes, car elle satisfait l’un des instincts les plus vitaux et, quoiqu’on ait pu dire sur le sujet, l’un des plus nobles».
Le congrès convient que les Jeux doivent se dérouler tous les quatre ans dans des lieux différents et Athènes est choisie pour accueillir les premiers Jeux Olympiques modernes en 1896. Les délégués votent une résolution sur l’amateurisme, ce qui n'ouvre les Jeux qu’aux sportifs non-professionnels, à l’exception de l’escrime.
Le congrès crée également le Comité international pour les Jeux Olympiques, composé de 12 membres à l’origine, avant de passer à 14 à la fin 1894, puis à 16 en 1895. C’est en 1901 seulement qu’est officialisé le nom actuel de l’organisation: Comité International Olympique.
Le Grec Demetrius Vikelas en est nommé premier président, fonction qu’il occupe durant deux ans avant d’être remplacé en 1896 par Pierre de Coubertin, qui restera en poste jusqu’en 1925.
De 1894 à nos jours, neuf présidents se sont succédé à la tête du CIO qui, avec les 95 membres actuels*, affiche un total cumulé de 570 membres.
Le président Bach établit un parallèle direct entre les défis auxquels Coubertin a été confronté dans les années 1890 et l’époque que le CIO et le monde traversent actuellement.
«Lorsque Pierre de Coubertin a fondé le CIO, sa vision et les valeurs de l’époque s’élevaient contre le nationalisme et l’animosité entre nations, dit-il. Il s’agissait d’amitié et de compréhension et de réunir les peuples. Il s’agissait de rendre le monde moins fragile.»
Plus d’un siècle plus tard, ces mêmes idéaux sont plus pertinents que jamais.
«C’est d’une certaine manière la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce qui concerne les Jeux Olympiques, considère le président Bach. Nous sommes témoins d’une poussée de nationalisme, de même que l’agression qui l’accompagne. C’est une occasion fantastique, car nous pouvons démontrer toute la pertinence de nos valeurs. Nous devons lutter d’autant plus pour la compréhension, le dialogue et le respect.»
Le président Bach mentionne le rôle du CIO dans les négociations qui ont amené les athlètes de la Corée du Nord et du Sud à défiler ensemble sous un même drapeau à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de PyeongChang 2018 et à constituer une équipe féminine de hockey sur glace. Les pourparlers se poursuivent quant à la possibilité que les deux Corées constituent des équipes communes à Tokyo 2020.
Tout au long de son histoire, le CIO est parvenu à traverser les crises mondiales et d’autres qui l’ont touché de près. Au début de la Première Guerre mondiale, Coubertin transfère le siège du CIO de France à Lausanne en 1915, attiré par le havre de sûreté qu’offre la neutralité de la Suisse. Le CIO est domicilié à la Villa Mon-Repos de 1922 à 1968, année de l’installation du CIO au château de Vidy sur les rives du lac Léman.
Les Jeux Olympiques sont annulés durant les deux conflits mondiaux, mais ils reprennent ensuite, ce qui souligne leur message persistant et puissant de paix et de bonne volonté internationale.
Les années 1970 et 80 se révèlent une période particulièrement épineuse dans l’histoire du CIO. L’attaque de la délégation israélienne à Munich en 1972, dans laquelle périssent 11 athlètes et entraîneurs israéliens ainsi qu’un policier allemand, représente l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire olympique. Puis ce sont les boycotts politiques successifs des Jeux de 1976, 1980 et 1984.
Au début des années 80, le CIO est sur le point de faire faillite. La situation est si peu réjouissante que Los Angeles est la seule candidate à l’organisation des Jeux de 1984. Mais LA 1984 représente un tournant, avec le succès de Jeux financés par des fonds principalement privés, qui se soldent par un excédent de 223 millions d’USD. Ils deviennent un modèle pour les Jeux suivants et incitent de nouveau les villes à organiser les Jeux.
Durant les 21 ans de son mandat, le président du CIO de l’époque, Juan Antonio Samaranch, a joué un rôle crucial en renforçant les Jeux et en restaurant fermement l’assise financière du CIO
Le lancement du programme TOP des partenaires olympiques en 1985 est un fait majeur qui amène nombre de sociétés multinationales parmi les plus connues du monde à soutenir les Jeux. Par ailleurs, le CIO négocie des droits de retransmission télévisée extrêmement lucratifs avec des diffuseurs mondiaux. En conséquence, les coffres du CIO se remplissent, ce qui garantit la stabilité financière du Mouvement olympique (ainsi, pour la période 2013 – 2016, les revenus du CIO ont atteint 5,7 milliards d’USD, principalement grâce aux droits de diffusion et de sponsoring, dont 90 % sont redistribués à l’ensemble du mouvement sportif).
La Solidarité Olympique a été créée il y a plus de 50 ans pour fournir une aide aux Comités Nationaux Olympiques, notamment ceux qui en ont le plus grand besoin au niveau financier. Sur la période 2017 – 2020, le programme versera plus d’un demi-milliard de dollars en faveur du développement des athlètes et de la formation des entraîneurs.
La décision de séparer les Jeux d’été des Jeux d’hiver en 1986 et de les programmer en alternance tous les deux ans, à compter de 1992, représente un autre tournant historique. En outre, afin de pouvoir compter sur les meilleurs athlètes du monde, le CIO ouvre les Jeux aux athlètes professionnels, ce qui amène la Dream Team américaine de basketball à participer aux Jeux de Barcelone 1992.
Mais cette période d’essor est de nouveau ébranlée à la fin des années 90 par le scandale de la candidature liée aux Jeux d’hiver de Salt Lake City 2002. Confrontés à de fortes critiques internationales et à une surveillance accrue, Samaranch et le CIO profitent de cette crise pour assainir l’organisation et décider de vastes réformes. Celles-ci comprennent la création d’une commission d’éthique et l’élection d’athlètes au CIO et au sein de sa commission exécutive.
«La crise de Salt Lake City a été un événement charnière», estime Jacques Rogge, qui a siégé à la commission d’enquête avant de présider le CIO de 2001 à 2013. «Cela a transformé le CIO.»
Depuis le scandale de Ben Johnson à Séoul 1988, le dopage est une question épineuse dans le sport mondial. Le CIO a donc pris la tête de la lutte antidopage en stockant et en réanalysant les échantillons prélevés sur les athlètes, avant de créer en 1999, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA). Et en 2018, il soutient la création de l’Agence de Contrôles Internationale (ACI).
Le CIO a également installé le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) en 1984, chargé de trancher les cas de dopage et les autres conflits du monde du sport. Pour garantir l’indépendance du processus, depuis Rio 2016, le CIO a délégué le pouvoir de sanctionner les cas de dopage au TAS et à sa division antidopage.
«Comme le vol, l’évasion fiscale ou la fraude, le dopage ne pourra jamais être éradiqué à 100 %, explique le président Bach. Ceci ne doit pas nous décourager mais nous encourager à faire mieux chaque jour.»
En 1993, le Musée Olympique, aboutissement du rêve de Coubertin de disposer d’un lieu dépositaire de l’histoire des Jeux Olympiques et du CIO, ouvre à Lausanne. En lien avec ce Musée, le Centre d’études olympiques offre une mine de matériaux de recherche pour les chercheurs, les étudiants et les universitaires.
L’engagement du CIO dans la diplomatie internationale a coïncidé au fil des ans avec le tissage de liens étroits avec l'ONU. En 1993, l’Assemblée générale de l’ONU approuve la résolution de raviver la Trêve olympique, initiative reprise depuis pour chaque édition des Jeux.
Le CIO reçoit le statut d’observateur permanent de l’Assemblée générale des Nations Unies en 2009, et en 2014, les Nations Unies reconnaissent formellement l’autonomie du CIO et du sport. L’ex-secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a été élu à la présidence de la commission d’éthique en 2017.
Les récentes décennies témoignent aussi de changements au programme des sports olympiques avec l’ajout du taekwondo, du volleyball de plage, du triathlon, du golf et du rugby à sept. Le surf, le skateboard, l’escalade, le karaté et le baseball/softball ont été inclus au programme de Tokyo 2020. Le break dance (ou «breaking») a été proposé pour Paris 2024. Pour les Jeux d’hiver, le snowboard a été introduit à Nagano 1998.
Les nouveaux sports correspondent à la volonté du CIO de rendre les Jeux toujours plus pertinents pour les jeunes, et le plus notable en ce sens est sans doute la création des Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) en 2007, projet ardemment défendu par Jacques Rogge. Trois éditions des JOJ d’été et deux d’hiver ont eu lieu depuis. Lors d’une décision historique, le CIO a voté en octobre 2018 l’attribution des JOJ de 2022 à Dakar (Sénégal), marquant ainsi la première compétition olympique à se tenir sur le continent africain.
Le CIO a aussi été à l’avant-garde de la promotion de l’égalité des sexes, en ajoutant de nouvelles épreuves pour les femmes et en portant le taux de participation des athlètes hommes et femmes aux Jeux à une quasi-parité. À Tokyo 2020, les femmes constitueront 48,8 % des athlètes, tandis que Beijing 2022 devrait afficher une représentation féminine de 45,44 %, un record pour des Jeux d’hiver.Depuis son élection en 2013, le président Bach a été très occupé par les réformes de l’Agenda olympique 2020, la feuille de route stratégique du CIO pour l’avenir des Jeux. Cela fait partie de la volonté du CIO de demeurer pertinent et d’adapter la vision de Coubertin aux tendances de la société actuelle.
Que penserait Coubertin, mort en 1937, des Jeux et du CIO aujourd’hui? Serait-il satisfait ou horrifié? Un peu des deux, répond le président Bach.
«D’un côté, il serait très heureux de constater que les Jeux sont aussi pertinents et qu’ils ont été adoptés par les temps modernes, explique-t-il. D’un autre côté, lorsque nous discutons de la réforme du programme sportif pour Tokyo, je me demande parfois s’il ne se retournerait pas dans sa tombe.
Mais dans l’ensemble, ajoute le président du CIO, je crois qu’il serait plutôt ravi.»