Changer le visage d’une ville

Bill Morris décrit comment les Jeux Olympiques et d’autres événements majeurs peuvent avoir un impact positif et à long terme sur la ville hôte.

Changer le visage d’une ville
© IOC

Chacune de mes visites au parc olympique de Londres 2012 génère chez moi autant d’ardeur que d’appréhension. Si ce trajet en métro sur la Central Line jusqu’à Stratford se traduit par un tel tourbillon d’émotions, c’est pour des raisons tant personnelles qu’académiques. Dans les deux cas, elles sont liées à l’impact à long terme des Jeux sur cette capitale mondiale, ou toute autre ville, car cela s’attaque à la problématique complexe du développement urbain durable.

Les milliers de personnes qui ont travaillé sur Londres 2012 (ou à d’autres éditions des Jeux) ont vécu une expérience stimulante, épuisante et euphorique qui les marqueront à jamais, sur le plan personnel comme professionnel. Et tout se retrouve incarné dans le parc olympique. C’est pourquoi je m’inquiète à chaque fois que je retourne au stade qui a vu l’extraordinaire cérémonie d’ouverture de Danny Boyle et les triomphes sportifs qui l’ont suivie, bercés par un festival remarquable de fierté nationale.

J’imagine ma détresse si un jour, en émergeant de Stratford Station, je trouvais ce lieu déserté, envahi par les herbes sauvages et balayé par les vents… Cela trahirait l’essence du capital humain investi dans les Jeux Olympiques de Londres 2012.

Au-delà de l’émotion, cela donne un aperçu de l’impact persistant de Jeux sur sa communauté urbaine. J’ai eu la chance de l’évaluer ces dernières années, à la fois dans le cadre de ma maîtrise à l’Université d’Oxford, puis en tant que membre de la commission d’enquête nationale britannique sur l’impact social des événements. Tout cela m’a donné l’opportunité d’analyser non seulement si les grands événements mondiaux pourraient être plus durables, mais aussi s’ils pouvaient servir de vecteurs de durabilité sociale et physique pour les communautés qui les accueillent.

Lors de mes études à Oxford, j’ai pris comme cas d’études principaux les Jeux de Londres et de Rio, tout en examinant les projets pour Paris, Los Angeles et Brisbane. J’ai adopté une approche mixte, mêlant analyse de documents existants et 36 entretiens avec des leaders de tous bords, travaillant dans l’accueil, l’organisation et l’évaluation de Jeux Olympiques d’été.

En parallèle, la commission d’enquête nationale (soutenue par le «Spirit of 2012 Trust») a passé 14 mois à étudier l’impact d’événements de tailles diverses, organisés aux quatre coins du pays en interrogeant participants, communautés, experts et chercheurs. Elle s’est concentrée sur les événements sportifs, mais aussi sur le programme britannique «City of Culture» et sur des événements nationaux comme le Jubilé royal. La question était la même: comment créer et optimiser une valeur positive durable, en usant comme catalyseur ces événements, et en particulier le plus grand d’entre eux: les Jeux Olympiques.

Ce qui nous ramène au quartier East End de Londres. En émergeant de la station de métro, je contemple le parc olympique Queen Elizabeth, dans lequel se côtoient des groupes très divers: adeptes du shopping, employés se dirigeant vers les tours rutilantes, jeunes urbains qui se rendent dans les galeries d’art et les centres culturels, familles cherchant le meilleur endroit pour pique-niquer, ainsi que des athlètes, fans et bénévoles arpentant les sentiers menant aux installations sportives.

© IOC

Une fois encore, mes craintes n’étaient pas fondées. Le parc fourmille de vie et arbore des grues qui préfigurent des développements futurs. Les urbanistes de 2012 ont créé cette nouvelle communauté au cœur d’un magnifique parc, bien desservi par les transports publics, afin de régénérer des friches industrielles polluées et oubliées depuis longtemps. Ils y ont bâti des logements sociaux et des projets immobiliers, des emplois variés, des écoles, des magasins, des outils technologiques, ainsi que des structures dédiées à la culture, au sport et à la santé; le tout, autour du premier parc urbain inauguré à Londres depuis des décennies. La plupart des observateurs et chercheurs estiment que ce parc olympique est une réussite et qu’il offre un modèle de durabilité urbaine.

Ce n’est hélas pas l’image qu’associent traditionnellement les médias à l’impact des événements majeurs. Quelles leçons peuvent donc être tirées de l’expérience du parc olympique Queen Elizabeth? Il s’agit tout d’abord du résultat d’une vision claire, sur le long terme. À l’aube du nouveau millénaire, le maire de Londres a uniquement soutenu la candidature de Londres 2012 car il y voyait une opportunité de mettre en place un programme de régénération sur 30 ans du quartier déshérité de l’East End. Vu l’étendu des besoins, il estimait que seul l’accueil d’un événement à résonnance mondiale lui permettrait d’assurer le soutien politique et les financements nécessaires.

Il a ensuite fallu créer des structures de gouvernance appropriées et dédiées, qui puissent diriger et rendre des comptes sur le projet – non seulement dans la phase initiale de construction, mais aussi sur son développement à long terme. L’Olympic Development Authority et le comité d’organisation des Jeux Olympiques ont œuvré lors de la phase de lancement, avant de transmettre le projet à l’issue des Jeux à la London Legacy Development Corporation qui en demeure l’instance de planification et de supervision, une décennie plus tard. Ces structures ont assuré des financements pérennes et une certaine indépendance face aux aléas de l’agitation politique.

Avec ces éléments, les témoignages recueillis lors de mes recherches et les conclusions de la commission d’enquête nationale, voici les conseils adressés aux futurs pays hôtes de Jeux Olympiques et d’autres événements majeurs:

  1. Définissez les besoins durables (physiques, sociaux et économiques) de votre communauté à long terme et évaluez avec précaution la mesure dans laquelle l’accueil d’un événement pourrait être le catalyseur dont vous avez besoin. Si c’est le cas, considérez les Jeux non comme un simple événement, mais comme le point pivot d’un programme de développement durable sur 20 ou 30 ans.
  2. Les Jeux Olympiques (et autres événements majeurs) ne peuvent pas être la panacée: établissez donc une liste restreinte et réaliste de cibles majeures de durabilité (santé publique, climat/ neutralité énergétique, transports publics, équité sociale, ou autres «Objectifs de développement durables (ODD) des Nations Unies» et dégagez un consensus sur l’objectif principal.
  3. Bâtissez des structures de gouvernance en équilibrant et intégrant les besoins de l’événement avec la planification à long terme et la cohésion sociale.
  4. Assurez-vous que les financements et les consensus politiques visent le long terme et non uniquement l’événement.
  5. L’événement principal doit être une réussite pour pouvoir générer un impact durable. La planification à long terme devrait y contribuer.

Mes recherches ont été indépendantes du CIO, mais il est de bon augure que le Mouvement olympique montre l’exemple dans l’adoption de plusieurs de ces principes, pas seulement en tant que conseils aux candidats potentiels, mais dans sa propre vision et planification des futurs Jeux. Les envisager comme des catalyseurs pour des communautés durables est non seulement une bonne nouvelle pour les villes, mais aussi pour assurer le succès et la durabilité des Jeux Olympiques futurs.

© Mark Mercer

Les lecteurs attentifs auront remarqué que j’ai soigneusement omis le mot «héritage». Si ce concept n’a jamais été plus pertinent, les personnes interrogées dans le cadre de mes recherches estiment toutes qu’il est galvaudé et qu’il ne reflète pas la longue période de planification qui s’étend avant aussi bien qu’après les Jeux, et qu’il est souvent employé de manière nébuleuse, a posteriori et pour «faire joli». Je laisse ceci à votre appréciation.

Maintenant que ce débat est lancé, je vais me préparer pour ma prochaine visite au parc olympique Queen Elizabeth…

Bill Morris a été directeur des Cérémonies, de l’Éducation et des Live Sites pour Londres 2012. Il est conseiller senior auprès du CIO depuis une décennie. Administrateur de l’association «Spirit of 2012», il a récemment obtenu une maîtrise en développement urbain durable à l’Université d’Oxford.

Les conclusions de la commission d’enquête nationale sur l’impact social des événements sont disponibles sur www.spiritof2012.org.uk (en anglais). Un exemplaire du mémoire de recherche de Bill Morris pour Oxford est disponible au Centre d’Études Olympiques.

Cet article est la version modifiée de la contribution d'une tierce partie, laquelle a été publiée dans la Revue Olympique. Les articles publiés dans la Revue Olympique ne reflètent pas nécessairement l'opinion du Comité International Olympique.