Unis par l'égalité - Nancy Hogshead-Makar
Triple médaillée d’or à Los Angeles en 1984, l’ancienne nageuse américaine Nancy Hogshead-Makar consacre depuis son énergie au combat pour l’égalité des sexes dans le sport et l'émancipation des athlètes. Elle milite pour ces causes en tant qu’avocate, auteur, professeur, oratrice, leader d’opinion, mais aussi fondatrice et PDG de Champion Women, une association à but non lucratif au service des jeunes filles et des femmes dans le sport.
Lauréate du Trophée "Femme et Sport" du CIO pour le continent américain en 2014 au titre de sa contribution exceptionnelle au développement, au soutien et au renforcement de la participation des femmes dans le sport, Nancy Hogshead-Makar est une personnalité influente qui se bat sans relâche contre le harcèlement, la maltraitance et la discrimination. Aujourd'hui encore, elle ne ménage pas ses efforts pour offrir aux femmes les opportunités et le soutien qu’elles méritent.
Sa foi inébranlable en l’égalité s’est enracinée au cours de ses jeunes années. Son talent hors du commun et son physique prodigieux lui permettent de battre régulièrement les athlètes masculins de son équipe de natation. Pourtant, ses performances n’ont pas toujours été reconnues à leur juste valeur par ses entraîneurs.
L’intéressée confirme : "À l’époque, je ne correspondais pas aux normes en vigueur. On me reprochait souvent d’être très musclée. À 15 ans, j’ai entendu mon entraîneur s’énerver contre un garçon : “Comment tu peux te laisser battre par une fille à l’entraînement ?” Je suis allée trouver mon entraîneur et je lui ai dit : “Écoutez, vous êtes en train de nous pourrir la vie à tous les deux. Je suis leur coéquipière. Vous ne pouvez pas jouer sur leur ego. Ils vont m’en vouloir”. Je dois admettre qu’il n’a plus jamais recommencé, ce dont je lui suis reconnaissante."
Son intérêt pour les questions d’égalité l’amène à passer un diplôme en sciences politiques et en études féminines à l’Université de Duke, en 1980. La suite de son parcours sera marquée par un discours prononcé par l’ancienne nageuse olympique Donna de Varona à Los Angeles, en 1984, devant plusieurs olympiennes. Il est alors question de Title IX, une loi fédérale de 1972 qui garantit aux femmes les mêmes opportunités que les hommes dans le sport universitaire. Nancy Hogshead-Makar se souvient de cette rencontre avec intensité : "Donna nous a dit : “Vous allez devenir célèbres. Mais qu’allez-vous faire de cette célébrité ?” Si j’en avais l’occasion, je dirais la même aujourd’hui à toutes les olympiennes."
Nancy Hogshead-Makar triomphe à Los Angeles en 100 m nage libre (un titre qu’elle doit cependant partager avec sa compatriote Carrie Steinseifer, suite à la première égalité de l’histoire de la natation olympique), en 4 x 100 m nage libre et en 4 x 100 m quatre nages. Elle décroche également l’argent dans le 200 m quatre nages.
Dans la foulée, elle abandonne la natation et, motivée par les paroles de Donna de Varona, décide de faire un stage au sein de l'association caritative Women’s Sports Foundation (WSF). Elle s’attaque alors à de nombreux problèmes, comme les mauvais traitements infligés par les entraîneurs ou l’application de la loi Title IX. Elle occupe différents postes au sein de la WSF jusqu’en 2014, date à laquelle elle prend ses fonctions de directrice des programmes de sensibilisation.
La même année, elle fonde Champion Women, une association qui lutte pour améliorer l’accès au sport et travaille sur des affaires de harcèlement sexuel, de maltraitance, de violence et de discrimination sexuelle, sportive ou pour cause de grossesse.
Son organisation compte parmi les nombreux partisans de la loi de protection des jeunes victimes d’abus sexuels et de la promotion d'un sport sécurisé. À titre personnel, elle a longtemps milité pour ces progrès. Promulguée en janvier 2018, cette loi oblige tous les membres du Mouvement olympique aux États-Unis à dénoncer les abus dont ils sont témoins. Elle offre également aux athlètes de tous âges une protection bienvenue.
"J’ai lancé Champion Women parce que je ne voulais pas que ma carrière se résume à travailler dans un cabinet et à poursuivre des écoles", explique notre interlocutrice. "Je cherchais des questions sur lesquelles nous pourrions avoir une influence. Il y a les procès et l’expertise juridique, mais il y a aussi d’autres façons d’amener le changement. On peut, par exemple, travailler auprès des procureurs généraux pour qu’ils poussent les écoles à offrir davantage de débouchés aux femmes dans le sport, ou demander à d’anciennes championnes olympiques de s’exprimer lors de réunions d’anciennes élèves."
Son engagement de longue date au service de la cause des femmes lui a valu la reconnaissance du CIO en 2014, sous la forme du Trophée "Femme et Sport" pour le continent américain. Bien que symbolique, cette récompense a beaucoup de valeur aux yeux de Nancy Hogshead-Makar : "C’est, de loin, le prix le plus prestigieux de ma carrière. Je fais partie de treize temples de la renommée et je suis titulaire d'un doctorat honoris causa, mais cette récompense compte plus que tout pour moi. Et c’est aussi le prix le plus lourd de ma collection !"
"Ce n’est jamais simple de militer pour le changement et de remettre en question le statu quo. C’est pour ça que la reconnaissance de ses pairs fait toute la différence. Je remercie le CIO de m’avoir accordé ce prix et de me permettre de faire encore bien plus que ce que j’ai réalisé jusqu’à présent."
L’histoire de Nancy Hogshead-Makar prouve que la politique a le pouvoir de protéger les femmes et de leur accorder un juste accès au sport. Sans la loi Title IX, par exemple, notre championne n’aurait sans doute jamais bénéficié des mêmes chances que ses collègues masculins. "Ce texte établit un lien entre le monde de l’éducation et celui du sport. Quand la loi dit que les femmes doivent avoir les mêmes opportunités que les hommes en matière d’éducation, ça vaut aussi pour l’athlétisme. J’en ai largement profité, d’autant que c’est arrivé au bon moment pour moi. Si j’avais été plus âgée de deux ans, je n’aurais jamais eu de bourse pour aller à l’université. J’ai donc voulu rendre un peu de ce qu’on m’avait donné."
Ce n’est jamais simple de militer pour le changement et de remettre en question le statu quo. C’est pour ça que la reconnaissance de ses pairs fait toute la différence.
L’ancienne championne olympique ne sait que trop bien ce que les victimes d’abus doivent endurer. Violée lors de sa deuxième année à l’Université de Duke, Nancy Hogshead-Makar a connu l’enfer pendant deux ans et demi, avant de monter sur le toit du monde à Los Angeles.
Après avoir surmonté cette terrible épreuve et réalisé ses rêves, elle souhaite aujourd’hui faire passer un message aux autres survivantes : "J’ai 56 ans et je veux que les jeunes femmes sachent que malgré ce qui leur est arrivé et les conséquences de ce drame sur le reste de leur vie... Je veux qu'elles sachent qu'elles peuvent toujours aller au bout de leurs ambitions, même si elles se sentent très mal pour l’instant, même si elles ne peuvent pas dormir et qu'elles ne sont plus elles-mêmes."
Le sport a joué un rôle important dans sa convalescence, au même titre que le soutien de ses proches. De retour à la piscine après une année sabbatique, elle a vécu une expérience cathartique : "Les spécialistes des traumatismes disent qu’un exercice physique intense peut contribuer au rétablissement. Pour moi, il était très important d’avoir un lieu où je pouvais laisser s’exprimer ma colère. J’ai utilisé cette rage pour aller encore plus vite. C’était une source d’énergie. Quand j'étais dans l’eau, je revivais cette expérience, mais l’issue était différente. C’est ce que j’ai fait pendant un an et demi et ça m’a fait énormément de bien."
"Le sport m’a rendu mon estime de moi. Il m’a rappelé que j’étais maîtresse de mon destin et que mon violeur n’avait aucune emprise sur moi. Partout dans le monde, des gens expliquent que le sport leur donne confiance en eux et la maîtrise de leur corps. En tant que victime d’un viol, ces deux facteurs ont joué un grand rôle dans mon rétablissement."
Cette terrible épreuve lui a également fait prendre conscience de la nécessité de mettre ces violences sur le devant de la scène, quitte à briser quelques tabous : "Si je parle de tout ça, c’est parce qu’il n’y avait pas de modèles féminins à mon époque. J’ai bien cherché, mais je n’ai pas trouvé de sportives qui ont accompli de grandes choses à l’issue de leur carrière."
Fort heureusement, la situation a évolué. Plusieurs athlètes, au premier rang desquelles la triple championne olympique Aly Raisman, ont témoigné dans l’affaire d’abus sexuels instruite contre l’ancien médecin de l’équipe américaine de gymnastique, Larry Nassar. Nancy Hogshead-Makar a été parmi les premières à saluer leur courage. "Les victimes d’abus n’ont plus honte aujourd’hui. Par le passé, ce sentiment de culpabilité les empêchait de parler. Elles se sentaient avilies en tant qu’êtres humains, mais en prenant la parole, Aly Raisman a tout changé. Ces femmes ont mis leur statut d’olympiennes et tout ce que le sport leur avait apporté au service de leur cause. Je suis très fière d’elles."
Interrogée sur la capacité du sport et de l’Olympisme à soigner, à responsabiliser, à faire bouger les choses et à accompagner le progrès social, elle nous livre son sentiment : "J’ai énormément de respect pour le Mouvement olympique, car je crois qu’il peut faire une grande différence. Lorsqu’une championne olympique parle d’un viol, d’une agression ou d’abus sexuels sans subir de répercussions, c’est un message d’espoir pour les femmes qui vivent dans d’autres pays et qui entendent qu’elles doivent épouser la personne qui les a violées. Les ramifications dépassent largement les frontières d’un seul pays. Tout ça donne du pouvoir aux femmes. Cela signifie qu’elles ont le pouvoir et la capacité de parler, qu’elles seront écoutées."
Ces questions seront au cœur du premier Forum "Olympisme en action" à Buenos Aires, les 5 et 6 octobre prochains. À cette occasion, les noms des lauréates du prix "Femme et Sport" 2018 seront dévoilés. Le Forum "Olympisme en action" proposera une discussion approfondie autour de la question du sport lors d'une table ronde consacrée aux femmes dans le sport et d'un atelier intitulé "Prévention du harcèlement et des abus dans le sport".
Nancy Hogshead-Makar reste convaincue que les athlètes ont un rôle important à jouer dans la réalisation des objectifs du forum. Plus généralement, elle nous livre son opinion sur les valeurs fondamentales de cet événement et ce que représente l’Olympisme à ses yeux : "Je crois qu’il s’agit avant tout d’identifier nos idéaux les plus nobles et de les laisser dicter notre conduite. Le Mouvement olympique, les Jeux Olympiques et le statut d’athlète olympique sont porteurs d’une certaine intégrité : il faut s’entraîner, être ponctuel et toujours tout donner. Cette intégrité est source de fierté et de noblesse. C’est aussi une forme de célébration de ce que l’humanité a de meilleur à offrir."
La triple championne olympique se montre tout aussi franche au moment d’évoquer le sens de l’initiative #UnitedBy : "Pour moi, c’est utiliser le sport comme moteur du progrès social, notamment via la participation des femmes dans le sport. Tous les pays du monde ont envoyé au moins une femme aux Jeux Olympiques à un moment ou à un autre. Environ 46 % des athlètes qui participent aux Jeux Olympiques sont des femmes, mais, au niveau administratif, dans les CNO et chez les représentants des athlètes, il reste des choses à accomplir. Il faut nous assurer que les femmes sont présentes dans des fonctions d’entraîneur à tous les niveaux."
Nancy Hogshead-Makar a consacré une bonne partie de sa carrière post-olympique à défendre et soutenir les autres. Selon elle, il reste encore beaucoup à faire, mais l’infatigable militante a un ultime message à adresser aux athlètes : "Vous êtes des olympiennes. Que vous gagniez ou non, vous restez des olympiennes. Vous êtes en position de force. Vous pouvez utiliser ce pouvoir pour réaliser de grandes choses. C’est ce que je vous conseille de faire."