Quarante ans après, le président du CIO, Thomas Bach, se souvient du boycott des Jeux Olympiques de Moscou en 1980
À l’approche du 40e anniversaire des Jeux Olympiques de Moscou en 1980, le président Bach revient sur la période qui a conduit à la décision de l’Allemagne de l’Ouest de se joindre au boycott de cette édition des Jeux. Il explique combien cette expérience l’a affecté lui en tant qu’athlète, et son importance décisive pour sa carrière de représentant d’athlète et de membre du CIO.
Le président Thomas Bach, vainqueur d’une médaille d’or en escrime aux Jeux Olympiques à Montréal en 1976, était le porte-parole des athlètes ouest-allemands dans le débat public sur la question de savoir si leur pays devait ou non se joindre au boycott. Finalement, le Comité National Olympique de l’Allemagne de l’Ouest fut l’un de ceux qui ne se rendirent pas aux Jeux à Moscou.
Mené par les États-Unis, ce boycott réduisit à 80 les pays qui prirent part aux Jeux de 1980 à Moscou, soit le plus petit nombre depuis 1956, dans le cadre d’une série de mesures de protestation contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979.
Quatre ans plus tard, l’Union soviétique mena un boycott de revanche des Jeux Olympiques à Los Angeles en 1984, ce qui réduisit également la participation dans certains sports.
Le président Thomas Bach se souvient des deux générations d’athlètes qui durent abandonner leurs rêves olympiques du fait de ces boycotts et de l’impact de cette expérience sur sa propre motivation, qui l’anime toujours aujourd’hui, d’offrir à tous les athlètes intègres du monde la chance de participer sans discrimination d’aucune sorte aux Jeux Olympiques, seule manifestation qui unit le monde en une compétition pacifique.
Cette interview reprend la transcription d’une vidéo disponible ici.
Q. Vous étiez le porte-parole des athlètes ouest-allemands dans le débat public sur le boycott de Moscou 1980 : quels souvenirs en avez-vous ?
R. C’était une période très dure, c’est un moment où faire entendre la voix des athlètes était quasi impossible.
D’une part, il a bien fallu admettre que les athlètes n’étaient pas vraiment audibles au sein des organisations sportives et, d’autre part, reconnaître que les organisations sportives, Comités Nationaux Olympiques ou même le CIO, avaient, quant à elles, une influence politique très limitée pour le dire de manière diplomatique, je pourrais même aller jusqu’à dire pratiquement aucune. Et d’abord au sein des athlètes, le débat était houleux. À la première réunion que j’ai présidée, à titre de président de ce que nous considérerions à présent comme la commission des athlètes, j’ai dû proposer de démissionner pour le cas où une majorité se dessinerait en faveur d’un boycott. Finalement nous nous sommes entendus et avons soutenu la majorité des athlètes car nous voulions aller à Moscou.
Ensuite dans le public, à l’époque, c’était parfois violent. Nous étions convaincus que nous nous battions pour une cause juste, mais j’ai été traité de communiste, de quelqu’un de responsable du sort de tous les peuples du bloc soviétique et j’en passe.
Non, cela n’a pas été facile. Et même le chancelier allemand lors d’une réunion... Il a organisé une réunion avec des militaires de haut-rang pour nous montrer sur la carte où étaient situés les tanks, les pipelines et tout le reste, tout en élaborant un scénario qu’il a conclu en disant quelque chose comme « et si vous voulez risquer une troisième Guerre mondiale, alors la meilleure façon, c’est d’aller à Moscou » ; ajoutant également qu’aucun athlète occidental, ni aucun homme d’État ne mettrait les pieds à Moscou avant longtemps. Deux mois plus tard, les premiers d’entre eux y étaient déjà. Donc l’expérience a été très pénible en effet.
Q. Qu’avez-vous ressenti une fois que l’Allemagne de l’Ouest a décidé de se joindre au boycott et quelles en ont été les conséquences pour vous ?
R. J’ai été extrêmement déçu que la voix des athlètes n’ait pas été entendue ; que je puisse même prononcer mon discours à la dernière assemblée générale du Comité National Olympique sans que personne ne m’écoute plus vraiment ; qu’il s’incline sous la pression politique de tous côtés et qu’il ne s’élève pas pour défendre les intérêts du sport.
Et par ailleurs, la réaction a été... cela fait vraiment mal et que peut-on faire pour qu’un tel boycott ne se reproduise pas pour les futures générations d’athlètes? C’est à ce moment-là que j’ai eu l’offre de Willi Daume, alors président du Comité National Olympique allemand, qui m’a demandé si j’étais prêt à entrer au Comité National Olympique en tant que membre individuel.
Et il a également modifié les statuts du Comité National Olympique pour que, en tant que représentant des athlètes, je devienne membre du comité exécutif. Et c’est la raison pour laquelle je lui ai immédiatement dit oui.
Ceci ne devrait jamais arriver de nouveau aux futures générations d’athlètes. Et c’est ce qui me motive toujours aujourd’hui : offrir aux athlètes intègres du monde la chance de participer aux Jeux Olympiques.
Q. Vous rappelez-vous ce que vous avez fait il y a quarante ans tandis que les Jeux se déroulaient et que vous ne pouviez y participer ?
R. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs. Je ne sais même pas si les Jeux ont été retransmis à la télévision allemande. J’ai quelques images des Jeux, mais je ne pourrais pas dire que je les ai suivis de près.
Q. Quarante ans plus tard, estimez-vous que le boycott de Moscou 1980 a donné quelque chose ?
R. Le boycott de Moscou n’a rien donné du tout. Et ceci a été admis également par tous les grands acteurs de la période, du moins en Allemagne, qui était là à l’époque et qui, déjà deux mois plus tard, au cours de conversations que j’ai eues avec eux m’ont dit : « Nous avons fait une erreur. Ce n’était pas la bonne chose à faire. » Et même le chancelier d’alors qui faisait vraiment pression sur nous à l’époque en faveur du boycott, cela lui a pris jusqu’en 2008, pour finalement reconnaître que c’était une erreur.
Et vous voyez bien les faits. L’armée soviétique, qui était la raison du boycott, est restée encore neuf ans en Afghanistan. Et les athlètes ont été touchés dans de nombreux pays, non seulement par le boycott de 1980, mais aussi celui de 1984, qui était le boycott de revanche.
Et donc vous avez eu en fait deux générations d’athlètes qui ont vu leurs rêves olympiques anéantis, après s’être préparés des années durant pour rien. Et être sanctionnés et punis pour quelque chose dont ils n’avaient rien à faire, et dont ils n’auraient jamais dû subir les conséquences.
Dès lors, quiconque pense à un boycott devrait tirer une leçon de cette histoire ; un boycott sportif ne sert à rien sinon à blesser les athlètes, et cela heurte les populations du pays également car ils sont privés de la joie de partager, de la fierté, du succès de leur délégation olympique.
Alors à quoi bon un boycott ? C’est contre l’esprit olympique. Cela s’oppose à toutes les valeurs que nous avons dans le sport et que nous défendons dans le sport.
Q. Quel est le rôle des Jeux Olympiques aujourd’hui ?
R. Le rôle des Jeux Olympiques est d’unifier le monde entier dans une compétition pacifique, sans discrimination, qu’elle soit raciale, qu’elle soit sociale, qu’elle soit culturelle, qu’elle soit politique. Et c’est ce que nous accomplissons.
Nous avons les athlètes de tous les 206 Comités Nationaux Olympiques et de l’équipe olympique des réfugiés du CIO unis dans cette compétition, qui vivent ensemble dans un village olympique, sans aucune forme de discrimination, qui échangent leurs points de vue, discutent. Et ainsi créent une atmosphère d’amitié et de compréhension, de respect et de solidarité. Et c’est ce que nous appelons l’esprit olympique.