L'athlète irlandais Ronnie Delany revit ce "merveilleux moment" des Jeux de Melbourne 1956
Ronnie Delany est sans doute la plus grande légende olympique de la République d'Irlande. En remportant la finale du 1 500 m à Melbourne en 1956, considérée comme l'épreuve regroupant le plus de talents de toute l'histoire des Jeux Olympiques, il est immédiatement entré dans l'histoire. Soixante-quatre ans plus tard, le moment n'a rien perdu de sa magie.
Aujourd'hui encore, c'est avec le plus grand respect que les amateurs d'athlétisme évoquent la finale du 1 500 m des Jeux de Melbourne 1956. "Ce fut probablement le meilleur peloton jamais assemblé", déclare Ronnie Delany, qui n'en a pas moins vaincu tous ses adversaires. "Et cela reste une belle course à regarder. L'ambiance était survoltée. D'ailleurs, le gars qui devait sonner la cloche pour le dernier tour était tellement enthousiaste qu'il en a oublié sa mission. Le stade était bondé et la course a vraiment commencé à partir de ce dernier tour."
Aujourd'hui âgé de 85 ans, l'athlète originaire de la République d'Irlande parle de la course avec tant de précision et d'enthousiasme que les 64 années qui le séparent de l'événement semblent s'être envolées. Et il n'exagère pas le niveau de la course. Parmi les 12 athlètes du peloton, on trouvait John Landy, grand favori australien et deuxième homme à courir le mile en moins de quatre minutes, qui avait établi le record du monde du 1 500 m en 1954 ; le Hongrois Laszlo Tabori, qui avait depuis battu le record de John Landy d'une seconde ; le Danois Gunnar Nielsen, qui avait égalé le record de Laszlo Tabori dans la même course de 1955 ; et le futur détenteur du record du monde, le Tchécoslovaque Stanislav Jungwirth. Participaient également trois "milers" britanniques émérites, sans oublier l'éblouissant athlète allemand, Klaus Richtzenhain. Face à tant de prestige, le jeune homme de 21 ans originaire d'Arklow passait totalement inaperçu.
"J'étais face à tous ces détenteurs du record du monde, tous ces grands "milers" et futurs champions", se souvient Ronnie Delany. "Moi, je n'avais montré aucun intérêt pour la course jusqu'à mes 18 ans, mais lorsque je suis entré à l'université aux États-Unis, mes temps de course étaient excellents."
Et d'ajouter : "Les Britanniques ont couru de façon très britannique : ils sont restés proches les uns des autres, pas loin du coureur de tête. Moi et les deux autres médaillés sommes restés en retrait pendant la plus grande partie de la course. Nous étions au coude à coude, mais pas au point de nous pousser ni de nous bousculer."
"John Landy a accéléré et est passé en tête, mais j'ai fait un dernier effort à 150 mètres de l'arrivée, ce qui m'a propulsé sur la dernière ligne droite. J'ai franchi la ligne d'arrivée les bras tendus, en souriant jusqu'aux oreilles. J'avais accompli mon destin. J'étais champion olympique."
Ronnie Delany se souvient de cette fameuse scène où, submergé par l'émotion, il est tombé à genoux en signe de prière sur la ligne d'arrivée. "J'étais très religieux", raconte-t-il. "J'ai reçu une éducation catholique et c'est instinctivement que je me suis laissé tomber au sol en remerciant Dieu pour le talent qu'il m'avait donné. J'étais très reconnaissant. Tous les autres concurrents sont venus me saluer et j'ai vu mes coéquipiers irlandais. C'était un très beau moment."
Pour Ronnie Delany, les Jeux Olympiques étaient une "grande aventure" à l'époque. "Tout était différent", confie-t-il. "L'avion dans lequel j'arrivais depuis les États-Unis ne pouvait voler qu'à environ 400 km/h et à 3 000 mètres d'altitude. Nous avons fait escale à Hawaï et aux îles Fidji sur le chemin de l'Australie. Des prêtres missionnaires irlandais étaient présents à bord de l'avion et ils m'ont donné leur bénédiction. Après avoir atterri à Sydney, nous avons dû prendre un autre petit avion."
"Melbourne était une ville merveilleuse. Nous avons été accueillis par une foule d'Irlandais qui nous ont offert des cadeaux, ce qui était très gentil de leur part. Nous formions une excellente équipe – beaucoup de boxeurs irlandais ont remporté des médailles cette année-là – et quand nous sommes arrivés au village [olympique], nous avons hissé un grand drapeau irlandais. Le commandant du camp était atterré et nous a demandé de le retirer, mais on a bien rigolé."
Malgré son âge et le niveau de ses adversaires, Ronnie Delany n'allait pas aux Jeux Olympiques pour faire de la figuration. "Je croyais en mes chances de victoire", déclare-t-il. "J'étudiais aux États-Unis et là-bas, l'important c'était de gagner. Ils ne plaisantent pas avec le sport ! L'ambiance était incroyablement compétitive. Je faisais du cross-country et des courses en salle et j'ai participé à la saison d'athlétisme en plein air et à des courses irlandaises. J'avais commencé tard, mais j'avais la course dans le sang.”
La victoire de Ronnie Delany a marqué la première médaille d'or de l'Irlande depuis 1932. Il faudra attendre 1992, 36 ans plus tard, avant que le pays n'en remporte une autre. Bien qu'il soit immédiatement devenu l'un des hommes les plus célèbres de sa patrie, les célébrations ont dû attendre.
"Je suis retourné directement aux États-Unis parce que j'avais des examens à passer et un semestre à terminer", précise-t-il. "J'avais dû demander la permission d'assister aux Jeux Olympiques et c'est donc après la fin de mon semestre que je suis retourné en Irlande. Les boxeurs ont dû être contents que je ne sois pas rentré tout de suite, car cela leur a donné l'occasion de fêter une nouvelle fois leur victoire."
"Un cortège de voitures m'attendait à l'aéroport de Shannon à Dublin et je suis monté dans une Mercedes convertible", ajoute-t-il. "C'était un moment merveilleux pour l'Irlande qui était un pays très pauvre à l'époque, avec beaucoup d'émigration. Ce fut une journée fantastique. À Meath, on m'a dit qu'un gamin nommé Paddy George aurait pu me battre aux Jeux Olympiques."
"J'ai parcouru toute la ville, rencontré le maire et écouté beaucoup de discours, dont celui de mon père, qui a paraphrasé Churchill avec ces mots : 'Jamais un seul homme n'a apporté autant de joie à autant de personnes'."
Ce moment magique fut pourtant le point culminant de la carrière sportive de Ronnie Delany. Lors des Jeux de Rome en 1960, il fut ralenti par une blessure. "Je n'étais pas en forme", reconnaît-il. "Quand j'ai perdu au 800 m, je savais que je ne pouvais pas courir le 1 500 m. Deux semaines plus tard, j'étais à nouveau un athlète de classe mondiale. Malheureusement, ce n'était pas le bon moment."
Il a ensuite eu une longue et brillante carrière, principalement dans le secteur de l'aviation. Père de quatre enfants et grand-père de 15 petits-enfants, il a donné son nom à un lotissement et plusieurs routes. Il a beau être le plus célèbre olympien de son pays, partout où il va en Irlande, tout le monde l'appelle simplement 'Ronnie'.
"Les gens m'arrêtent encore aujourd'hui dans la rue pour parler de Melbourne", s'amuse-t-il. "Cette victoire a rendu le public heureux. Je me souviens d'être allé à la Coupe du monde [de football] en 1990 avec des Anglais et des Américains pour soutenir l'équipe irlandaise et tous les supporteurs vêtus de vert et de orange criaient : 'Ron ! Comment ça va, Ronnie ?’ Je suis vraiment reconnaissant envers le public qui m'a soutenu, il a toujours été merveilleux."
Le fait que le pays ait gagné peu de médailles ne le dérange pas. "Les médailles ne sont pas faciles à gagner, et encore moins les médailles d'or", fait-il remarquer. Et de conclure : "Si l'on prend un pays moyen de la taille de l'Irlande, le ratio est probablement de l'ordre de quatre ou cinq millions de personnes. Il n'y a pas eu tant de Jeux Olympiques que ça. C'est pourquoi gagner une médaille d'or est un honneur rare."