L'art et le sport : la vision de Pierre de Coubertin est toujours d'actualité !
Sur une initiative de Pierre de Coubertin, désireux d'allier "le muscle et l'esprit" aux Jeux, sept éditions de 1912 à 1948 ont comporté des épreuves olympiques en peinture, sculpture, littérature, musique et architecture. Après leur disparition, les programmes culturels proposés aux Jeux ont prolongé avec succès la vision du rénovateur des Jeux.
C'est dans un article intitulé "l'Olympiade romaine'' publié en première page du journal Le Figaro daté du 5 août 1904 que Pierre de Coubertin, 10 ans après la refondation des Jeux, explique que "l'heure est venue de franchir une étape nouvelle et de restaurer l'olympiade dans sa beauté première. Au temps de la splendeur d'Olympie - et plus tard même, quand Néron, vainqueur de la Grèce, ambitionnait de cueillir sur les rives de l'Alphée des lauriers toujours enviés -, les lettres et les arts harmonieusement combinés avec le sport assuraient la grandeur des Jeux Olympiques. Il doit en être de même à l'avenir."
Si les deux colonnes de la une du Figaro ont pour titre "l'Olympiade romaine", c'est que les membres du CIO viennent de désigner la capitale italienne comme organisatrice des Jeux Olympiques de 1908. Ainsi, poursuit Coubertin, il est désormais "possible et désirable d’unir dans les fêtes futures, comme ils l’avaient été dans les fêtes d’antan, les muscles et la pensée (...). Aux Romains de nous donner maintenant l’olympiade-type et de rouvrir le temple du sport aux anciennes compagnes de sa gloire." Il conclut : "Peut-être, d’ailleurs, que les artisans de la plume et du pinceau que nous aurons conviés nous sauront gré quelque jour d’avoir rouvert à leurs talents anxieux de renouveau des sources oubliées de noblesse et de beauté."
En mai 1906, Coubertin organise à Paris la "conférence consultative des arts, des lettres et des sports" à la Comédie-Française. Il poursuit avec vigueur son idée auprès de la soixantaine de participants, parmi lesquels trente artistes et cinq membres du CIO. On lira dans la Revue olympique de janvier 1910 qu'en conclusion et à l'unanimité "fut approuvé le projet d'instituer cinq concours d'architecture, de sculpture, de peinture, de littérature et de musique destinés désormais à faire partie de chaque olympiade au même titre que les concours athlétiques. Les sujets choisis, seule condition requise, seraient inspirés par l'idée sportive ou en rapport direct avec les choses du sport". Les œuvres primées "pourraient être exposées, exécutées ou représentées au cours des Jeux".
Pierre de Coubertin médaillé d'or en poésie sous pseudonymes
Les Jeux Olympiques de 1908 n'iront pas à Rome comme prévu, mais à Londres. Les organisateurs des Jeux de la IVe olympiade dans la capitale anglaise ne trouvent pas le temps d'organiser un concours artistique. C'est donc à Stockholm en 1912 qu'il a lieu pour la première fois, selon les principes établis à Paris six ans plus tôt.
Devant les réticences des organisateurs suédois, Coubertin organise lui-même ces concours d'art 1912 et... s'y inscrit sous deux pseudonymes (Georges Hohrod et Martin Eschbach) dans la section poésie. "Hohrod & Eschbach" présentent leur "Ode au sport" et remportent la médaille d'or. C'est d'ailleurs la seule médaille attribuée en "littérature mixte", alors que les podiums sont complets dans les autres catégories : "architecture olympique", "musique", "peinture" et "sculpture".
Les concours d'art se poursuivent dans les Jeux suivants et prennent une belle ampleur à Paris en 1924 avec 23 nations représentées et 189 œuvres proposées, puis Amsterdam en 1928 avec 1 150 œuvres en architecture, peinture, et sculpture et 62 compositions musicales et travaux littéraires avec des sous-catégories en plus des cinq principales. De plus, l'exposition de ces travaux a lieu au Stedelijk Museum d’Amsterdam et attire la foule. Il en va de même à Los Angeles en 1932 avec des artistes de 31 nations, plus de 1 000 œuvres en compétition, moins de sous-catégories et une exposition au Los Angeles Museum couronnée de succès.
Puis viennent les Jeux de Londres 1948 où divers problèmes jettent une ombre sur les concours artistiques. Il y a la multiplication des sous-catégories : on trouve notamment en musique le concours de "Musique instrumentale et de chambre" et celui "de performance vocale" ou encore, le nouveau concours de "gravures ", ce qui dilue quelque peu la capacité des jurés à distinguer les œuvres de qualité. Il y a le fait qu'elles sont exposées au Victoria and Albert Museum où le prix d'accès est élevé, empêchant un large public de venir les admirer. Il y a enfin... des artistes professionnels qui pourront revendre leur production, en contradiction avec l'amateurisme en vigueur pour les compétitions sportives. Bref, les concours d'art des Jeux de Londres 1948 ne suscitent pas un grand intérêt et les œuvres produites ne sont pas considérées comme de grande qualité.
Des champions tout terrain
Alors que ces épreuves artistiques vont être abandonnées, pour laisser place aux "programmes culturels" que l'on connaît de nos jours, il y a plusieurs choses à retenir de ces sept éditions des Jeux. En termes de médailles, le Suisse Alex Walter Diggelmann s'en adjuge trois (or, argent et bronze) en peinture, en 1936 et 1948. L'écrivain danois Josef Petersen est trois fois médaillé d'argent en littérature : 1924, 1932 et 1948.
Plusieurs artistes en compétition ont également participé aux épreuves sportives et deux d'entre eux, l'Américain Walter Winans et le Hongrois Alfred Hajos ont connu les podiums sur le terrain sportif et dans le domaine artistique. Winans est champion olympique du "tir au cerf courant à coup double" à Londres en 1908, puis en argent par équipes dans la même spécialité au "coup simple" à Stockholm 1912 où il gagne également l'or avec sa sculpture équestre "An American Trotter".
Quant à Hajos, double champion olympique en natation à Athènes en 1896 (100 m et 1 200 m nage libre), on le retrouve dans le concours d'architecture à Paris en 1924 où il est primé avec son comparse Dezső Lauber (médaille d'argent) pour les plans d'un stade.
Par ailleurs, Avery Brundage, président du CIO de 1952 à 1972, a participé aux épreuves de pentathlon et de décathlon à Stockholm en 1912 avant de recevoir une "mention honorable" en littérature pour son sujet "The Signifiance of Amateur Sport"' à Los Angeles en 1932. Enfin, le Britannique John Copley, qui s'adjuge l'argent en gravure à Londres en 1948 à l'âge de 73 ans, est de fait le plus vieux médaillé olympique de l'histoire.
Les programmes culturels, éléments incontournables des Jeux Olympiques
Après les Jeux de Londres, de nombreuses discussions aboutissent à la disparition des concours d'art aux Jeux, mais en 1954, le CIO décide que chaque comité d'organisation mettra en place un programme artistique et culturel, et cela commence par une exposition des beaux-arts aux Jeux de Melbourne en 1956. Dès lors, les programmes culturels deviennent un élément incontournable des célébrations olympiques, ce qui est reflété aujourd'hui par le chapitre 10 des contrats signés entre le CIO et les villes organisatrices des Jeux : "En complément à l’atmosphère festive des Jeux Olympiques, le programme culturel des Jeux Olympiques inclut des projets et des événements qui présentent les cultures locale, nationale et internationale, favorisent le dialogue interculturel et célèbrent les valeurs olympiques pour toucher le public le plus large possible."
"Il permet de mobiliser une grande partie de la population du pays hôte et des visiteurs venus du monde entier en faveur de l’esprit des Jeux et de l’Olympisme, y compris les jeunes et les personnes ayant d’autres intérêts que le sport. Le programme culturel favorise le développement à long terme de projets culturels ayant une valeur d’héritage significative ; il est couronné par un festival culturel spécifique organisé pendant les Jeux Olympiques. (...) Le programme doit trouver son point d’orgue dans un festival culturel qui se déroulera au minimum pendant toute la période d’ouverture des villages olympiques"…
La recommandation 26 de l'Agenda 2020 du CIO insiste sur le fait "d''allier davantage le sport et la culture", et propose notamment "la mise en place d'artistes en résidence" durant les Jeux. Ainsi, lors de ceux de Rio en 2016, et pour la première fois, l'artiste contemporain JR, l'écrivain Tilman Spengler et l'artiste numérique Gerald Andal sont en résidence durant l'événement. Par exemple, JR propose trois gigantesques images de sportifs en action installées sur des échafaudages et visibles de partout à Flamengo, Barra de Tijuca et Botafogo. Il lance aussi le projet "Inside Out", où tous les acteurs des Jeux, mais aussi les spectateurs et habitants posent sur un fond à pois. Des milliers de visages. L'expérience se poursuit au Musée Olympique de Lausanne.
Et à PyeongChang en 2018, l"Olympic Art Projet" réunit de façon inédite quatre olympiens également artistes. Ils réalisent notamment des séries de courts-métrages vidéo et animent des ateliers de peinture au village olympique.
Ensuite à Buenos Aires… pour marquer le Forum Olympisme en action et les Jeux Olympiques de la Jeunesse 2018, le CIO a commandé à l'artiste conceptuel argentin Leandro Erlich la création de Ball Game, une installation de grande envergure qui invitait un public varié sur place et en ligne à participer à une expérience partagée inspirée par les valeurs olympiques, et à se rassembler à travers l'art dans un esprit olympique d'amitié et de respect.
La vision de Pierre de Coubertin pour qui "les lettres et les arts harmonieusement combinés avec le sport assurent la grandeur des Jeux Olympiques" est plus que jamais d'actualité, et de nouvelles initiatives dans le domaine culturel nous attendent dans les Jeux futurs.