Les Jeux modernes sujets aux soubresauts de l'histoire
En 124 ans, depuis leur rénovation par Pierre de Coubertin et jusqu’à la décision de reprogrammer les Jeux Olympiques de Tokyo à 2021, les Jeux Olympiques n'ont jamais été reportés. Mais les deux guerres mondiales du XXe siècle ont provoqué l'annulation de plusieurs éditions. Revenons sur ces moments liés aux soubresauts de l'histoire moderne.
Berlin 1916
Le 4 juillet 1912, lors de la 15e Session du CIO à Stockholm, le CIO attribue la sixième édition des Jeux modernes à Berlin ; Pierre de Coubertin envoie un télégramme à l'empereur Guillaume II pour l'avertir de cette désignation.
Un stade de 30 000 places est construit à l'ouest de Berlin, dans le quartier de Grunewald. Il est destiné à devenir un véritable complexe sportif, appelé à être, comme le raconte l'historien olympique Volker Kluge, "un site central qui sera le centre spirituel du sport allemand". Le 8 juin 1913, le "Stade de l'Allemagne" est inauguré à l'occasion des célébrations des 25 ans de règne de l'empereur Guillaume II.
Le programme des Jeux est divisé en trois segments : "la semaine des Jeux" (28 mai au 4 juin), la "semaine du stade" (1er au 10 juillet) et la "semaine de la voile et de l'aviron" (12 au 21 août).
Les préparatifs vont bon train, jusqu'à l'organisation d'épreuves tests les 27 et 28 juin 1914. Mais le dimanche 28 juin, à Sarajevo, l'archiduc François Ferdinand, successeur du trône d'Autriche-Hongrie, et sa femme sont assassinés, ce qui conduit par le jeu des alliances au déclenchement de la Première Guerre mondiale.
En raison de ce conflit meurtrier, les Jeux de Berlin n'auront pas lieu. Durant la guerre, Pierre de Coubertin installe le siège du CIO à Lausanne tout en conservant le décompte des olympiades : 1916-1920 correspond à la VIe. Quant au complexe sportif à Grünewald, il est par la suite détruit, et le stade olympique des Jeux de 1936 qui existe encore de nos jours après rénovation, sera construit sur le même site.
Tokyo et Sapporo, 1940
De la même façon qu'en 2013, lorsque Tokyo a été désignée hôte des Jeux 2020 après le tsunami dévastateur de mars 2011, la capitale japonaise s'est portée candidate pour ceux de 1940 en soulignant qu'elle avait ainsi la chance de se relever d'un terrible tremblement de terre (le séisme du Kantō) survenu en 1923. La candidature est portée par le légendaire Jigoro Kano, le fondateur du judo et le premier membre japonais du CIO. La ville est désignée lors de la 36e Session du CIO à Berlin en 1936.
Les Jeux sont censés célébrer les 2 600 ans depuis l'intronisation du premier empereur mythique du Japon, Jimmu, mais ils deviennent rapidement intenables après le déclenchement de la guerre sino-japonaise en 1937. Ainsi, le 16 juillet 1938, le membre japonais du CIO Togukawa Soyeshima écrit au comte de Baillet-Latour, président de l'institution : "nous regrettons que les hostilités prolongées, sans perspective de paix immédiate, décident de l'annulation de Tokyo". Le Japon abandonne également les Jeux d'hiver, prévus dans la ville de Sapporo, sur l'île du nord de l'archipel (Hokkaidō).
Le CIO choisit alors d'attribuer les Jeux d'été 1940 à Helsinki et ceux d'hiver à Saint-Moritz, avant qu'il ne décide de les organiser à Garmisch-Partenkirchen. Mais ceux-ci n'auront pas lieu en raison du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939.
Tokyo est finalement devenue la première ville asiatique à accueillir les Jeux Olympiques en 1964, et Sapporo la première ville asiatique à accueillir ceux d'hiver en 1972.
Londres et Cortina d'Ampezzo, 1944
Nous sommes à Londres en juin 1939, lors de la 39e Session du CIO. Les bruits de bottes nazies résonnent déjà en Europe, mais la Seconde Guerre mondiale ne commencera qu'à partir du 1er septembre avec l'invasion des forces armées du IIIe Reich en Pologne. Londres, alors désignée pour organiser les Jeux de 1944, s'impose devant les candidatures de Rome (Italie), Detroit (USA), Lausanne (Suisse). Mais tout comme la France, la Grande-Bretagne va entrer en guerre contre l'Allemagne, moins de trois mois plus tard. Le conflit mondial qui laissera le continent en ruines ne s'achèvera qu'en 1945 avec la capitulation nazie. Les Jeux d'hiver 1944 devaient quant à eux se tenir à Cortina d'Ampezzo.
Finalement, Londres accueille bien les Jeux pour la deuxième fois, quarante ans après ceux de 1908 et trois ans après la fin du conflit mondial. Les Jeux de 1948 se déroulent dans la capitale britannique encore meurtrie par les bombardements et seront connus comme "ceux de l'austérité". Ils se disputent sans l'Allemagne et le Japon, mais ils redonneront une flamme d'espoir à un monde en reconstruction.
Les Jeux d'hiver retourneront à Saint-Moritz en 1948, seront disputés à Oslo en 1952, puis ils iront à Cortina d'Ampezzo en 1956.
Munich 1972
À une occasion, les Jeux n'ont pas été reportés, mais suspendus. Lors des Jeux Olympiques de Munich 1972, au matin du 5 septembre, un groupe terroriste palestinien fait irruption dans le pavillon israélien du village olympique et prend des otages. Ce drame qui coûtera la vie à onze athlètes, entraîneurs, juges et arbitres israéliens ainsi qu'à un policier ouest-allemand, provoque l'interruption des Jeux durant 34 heures. Le lendemain, une cérémonie est organisée en mémoire des victimes innocentes, au stade olympique, devant quelque 80 000 spectateurs, au son de la "Marche funèbre" de la symphonie n°3 de Beethoven. Avery Brundage, président du CIO, dit alors : "The Games must go on" (les Jeux doivent continuer"). Le mouvement sportif international refuse de plier devant le terrorisme et l'esprit olympique qui porte les notions de paix, de partage et d'unité, prend le dessus. Les Jeux reprennent. Par la suite, la sécurité sera toujours une priorité aux Jeux, en particulier concernant la protection du village olympique.