Arriver à la hauteur de Mondo : les trois athlètes derrière le Suédois racontent comment ils prévoient de le rattraper
Dans cette deuxième partie de notre série, l'ancien champion olympique Renaud Lavillenie, le double champion du monde Sam Kendricks et le triple médaillé en Championnats du monde Piotr Lisek parlent de vaincre le record du monde actuellement détenu par Armand 'Mondo' Duplantis et dévoilent ce qu'ils préfèrent dans le saut à la perche…
Renaud, Sam et Piotr, que devez-vous faire pour rattraper Mondo ?
Renaud Lavillenie [RL] : Pour être honnête, je ne sais pas. Je pense que pour l'instant je ne saute pas assez haut pour pouvoir ne serait-ce que prétendre être capable de le battre.
Sam Kendricks [SK] : Quand on doit vaincre un titan, on s'attaque généralement à ses genoux. Donc, dans notre cas, nous devons trouver sa faiblesse. Quelles sont les limites de son statut de demi-dieu ? Il semble actuellement imbattable. Ce n'est pas une mauvaise chose, j'aime voir ça dans le sport, mais il est impossible d'être au sommet indéfiniment. C'est un fait. Je ne sais pas pendant encore combien de temps cela va durer pour lui, mais il donne la sensation que l'on peut croire en lui. C'est vraiment cool.
Il arrivera un point entre le record du monde et le 6 m où la compétition deviendra si difficile qu'il commencera à rater ses sauts. Ça ne sera peut-être pas à 5,80 m, ni 5,90 m, ou même 6 m (il passe déjà cette barre assez facilement), mais il commencera peut-être à avoir du mal à franchir une barre au-dessus des 6 m, même lors d'un bon jour, et c'est à ce moment-là que l'on pourra gagner.
Piotr Lisek [PL] : Il est vraiment très difficile de rivaliser avec Mondo en ce moment. Comme je l'ai dit précédemment, je sais que je peux m'améliorer et faire mieux. Je vais m'entraîner encore plus pour améliorer ma technique et plus particulièrement ma vitesse. Mais ça ne veut pas pour autant dire que je réussirai à l'égaler.
Renaud, qu'est-ce que ça vous a fait de voir Mondo franchir 6,15 m lors de la rencontre de la Ligue de diamant à Rome récemment ?
RL : C'était assez fou comme événement, l'ambiance était étrange parce qu'il n'y avait pas de public ni de foule. Mais il a réussi à se concentrer. Son saut était tout bonnement incroyable. J'étais content d'être là pour le voir.
Et Sam, qu'avez-vous ressenti en perdant contre Mondo à Lausanne, même en ayant passé la barre des 6 m ?
SK : Avec ma barre de 6,02 m de haut, je suis le perdant qui a sauté le plus haut de l'histoire. Personne n'avait jamais sauté aussi haut et quand même perdu auparavant. C'est un titre qui me correspond assez bien ça, le plus grand perdant du monde. Je ne détiendrai peut-être jamais de record du monde, mais je serai celui qui aura fait le plus suer son détenteur. C'est pas mal.
Mondo, aimez-vous être celui en tête, celui que les trois autres essayent de renverser ?
Armand Duplantis [AD]: C'est comme ça pour l'instant. C'est juste la réalité de la situation. Les deux dernières années, c'était peut-être plutôt moi qui courrais après Sam, ou Piotr, ou moi et Piotr derrière Sam. J'imagine que tout ça a un peu changé maintenant. Je ressens dorénavant un peu plus de pression pour les rencontres, car tout le monde s'attend à ce que je gagne tout le temps. C'est d'autant plus de pression quand Sam est présent, car il est capable de franchir les 6 m comme il veut. C'est donc bien sûr plus difficile mentalement, mais je pense que je m'en suis assez bien sorti jusqu'à présent.
Y a-t-il une limite à la hauteur de vos sauts ?
RL : Oui, je pense qu'il y en a une, mais nous n'avons aucune idée où elle se situe. Mondo met la barre un peu plus haut à chaque fois, il prouve que son corps est capable d'aller très haut. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que Mondo est en mesure de franchir 6,20 m dans les prochaines compétitions et années. Mais passer 6,25 m, voire 6,30 m, est tout à fait autre chose, parce que nous ne sommes pas capables d'ajouter 10 cm à cette hauteur. Mais on ne sait jamais, c'est ça la beauté du sport. Rien n'est écrit, il faut attendre pour savoir. Des athlètes comme lui peuvent nous réserver de grandes surprises.
Une limite n'empêche pas forcément de progresser, elle est seulement un indicateur de ce qu'il faut changer.
PL : Seul Mondo sait où se trouvent ses limites. Oh, j'allais oublier, l'oncle Renaud [Lavillenie] connaît lui aussi la vue depuis ces hauteurs. Mais il est difficile de dire où se situe la limite absolue. Actuellement, je pense que la plus grande limite est dans la tête, dans la psyché des athlètes et non pas dans leurs compétences physiques.
AD : J'essaye de ne pas m'imposer de limites. Qui sait ? Il y a toujours de l'espace pour s'améliorer, peu importe à quelle hauteur vous sautez. Dans mon cas, je pense que le meilleur reste à venir.
Qu'est-ce que vous aimez dans le saut à la perche ?
RL : Presque tout. Tout d'abord, comme c'est une discipline individuelle, je sais que le résultat ne tient qu'à moi et que je ne compte sur personne d'autre. Quand vous vous tenez sur la piste d'élan lors d'un événement, vous savez que tout ne dépend que de vous. Vous devez faire le bon choix au bon moment. J'aime cette précision. Enfin, et c'est peut-être le plus important, c'est un sport amusant.
SK : Ce que j'aime a évolué au fil des années. Au début, cette discipline m'apportait un rôle, un but, une place dans l'équipe. Je contribuais à quelque chose. Je n'étais pas assez bon pour faire autre chose, mais j'avais ça pour moi. Puis c'est devenu un moyen pour moi de repousser mes limites, de me rendre compte de ma force. Personne d'autre ne pouvait m'imposer de limites. J'étais maître. Maintenant, c'est pour moi une compétition que l'on ne peut retrouver nulle part ailleurs. C'est ça que j'adore.
PL : Ce que je préfère c'est le moment ascendant, comme dans une montagne russe.
AD: Quand je saute bien, que je fais bon usage de la technique, j'ai comme un rythme et c'est facile. Attention, sauter à la perche n'est pas facile, c'est même parfois très, très compliqué. On a parfois l'impression que rien ne va. C'est un sentiment très particulier et un timing que l'on ressent parfois, mais que l'on peut perdre tout aussi rapidement. Quand je ressens ça et que je suis vraiment à l'aise sur la piste, j'ai la certitude que je ne peux pas rater mon saut. C'est devenu ma raison de vivre.
À suivre dans la partie 3 : La vie loin du tapis… Armand Duplantis, Renaud Lavillenie, Sam Kendricks et Piotr Lisek nous dévoilent tout