Repousser les limites : les quatre perchistes ayant franchi le saut de 6 m de hauteur reviennent sur leurs exploits
Dans ce premier article d'une série en trois parties, Armand Duplantis, Renaud Lavillenie, Sam Kendricks et Piotr Lisek, quatre des six athlètes actuels ayant réussi à passer la marque historique des six mètres, révèlent comment ils réussissent à atteindre des hauteurs vertigineuses que beaucoup pensaient inatteignables.
Le Suédois Armand ‘Mondo’ Duplantis, le Français Renaud Lavillenie, l'Américain Sam Kendricks et le Polonais Piotr Lisek incarnent la génération dorée du saut à la perche masculin. Alors qu'avant 1985 et le légendaire Sergey Bubka, personne n'avait jamais réussi à passer les 6 mètres en saut à la perche, ces cinq dernières années, les quatre perchistes ont non seulement franchi plusieurs fois les 6 m, mais les ont également dépassés.
L'indétrônable Mondo Duplantis détient actuellement le record du plus haut saut jamais franchi. L'athlète de 20 ans a réalisé un saut extraordinaire de 6,17 m en salle en Pologne en février dernier, qu'il a amélioré d'un centimètre à Glasgow très peu de temps après. Il a continué cette série de records en franchissant le plus haut saut en plein air de tous les temps à 6,15 m en septembre de la même année à Rome.
Renaud Lavillenie, dont le record en salle vient d’être surpassé par le Suédois , vise une troisième médaille olympique aux Jeux de Tokyo. Il a déjà gagné l'or à Londres 2012 et l'argent à Rio 2016. Le double champion du monde en titre, Sam Kendricks, se montrera sans aucun doute un puissant adversaire. Enfin, Piotr Lisek, triple médaillé en Championnats du monde avec un saut à 6,02 m en 2019, est également un adversaire de taille dont le talent n'est plus à prouver.
Les quatre hommes sont actuellement au sommet de leur discipline et semblent en apprécier la vue...
Que ressent-on quand on saute à plus de 6 m de haut ?
Mondo Duplantis [MD] : La barre des six mètres a vraiment quelque chose de spécial. C'est comme une barrière dorée en saut à la perche. Je ne m'en suis toujours pas lassé, loin de là. C'est juste incomparable. J'ai grandi en regardant tout le monde franchir la barre des 6 m et en espérant qu'un jour, ça serait à mon tour. D'être là où j'en suis aujourd'hui et d'avoir eu la chance de passer plusieurs fois cette barre... J'ai l'impression que c'est à chaque fois un peu plus fort.
Renaud Lavillenie [RL] : Franchir 5,98 m ou 6,02 m n'est évidemment pas juste une histoire de 4 cm de différence. On ressent quelque chose de tellement fort à ce moment-là, c'est tout bonnement fou. Pour la plupart des athlètes, la barre des 6 m constitue un record national. C'est une sorte de club privé. Franchir les 6 m c'est accéder à un nouveau club, à un nouvel espace, car peu de personnes dans le monde ont réussi cet exploit. Donc c'est vraiment exceptionnel comme moment.
Sam Kendricks [SK] : Sauter très haut, ridiculement haut, plus haut que 6 m, ça n'a pas de sens, mathématiquement, dans votre tête. Il faut croire dur comme fer à ce que l'on s'apprête à réaliser pour réussir à s'élever aussi haut. Et il faut vraiment se donner, à un niveau tout à fait inédit auquel personne ne peut s'entraîner.
L'atmosphère d'un tournoi vous semble-t-elle différente lorsque vous y participez tous les quatre ?
MD : Nous avons tous envie que toute la bande soit là, que tout le monde fasse de beaux sauts pour que ça nous motive à aller encore plus haut. Mais à Lausanne [pour la rencontre de la Ligue de diamant de septembre 2020], il n'y avait plus que Sam [Kendricks] et moi à partir de la barre de 5,87 m, donc nous nous sommes poussés l'un et l'autre à sauter plus haut. Nous aurions adoré qu'il y ait plus de personnes avec nous, mais avoir quelqu'un à ses côtés est toujours super amusant, peu importe qui.
Nous nous amusons toujours quand nous sommes tous ensemble, même si une fois sur la piste, c'est très dur de sauter et de gagner.
SK : Absolument. Dans ces moments-là, on a envie de franchir des barres hautes pour ne pas décevoir les autres. Quand nous sommes tous rassemblés à un même événement, je ne me prépare pas à une journée facile, mais à une difficile. J'ai envie d'être mis au défi. Je veux que ces mecs sautent haut pour me pousser à sauter encore plus haut… Quand je participe à des rencontres aux côtés de Mondo et que je ne fais pas de très bonnes performances, ça fait mal. Je veux que ma présence le pousse à faire mieux et je sais qu'il en est de même pour lui. C'est pour ça que je l'apprécie autant.
Piotr Lisek [PL] : C'est une vraie source de motivation pour nous. Il n'y a rien à cacher. Il faut toujours donner le meilleur de nous-mêmes. Chacun d'entre nous doit puiser sa motivation et son imagination quelque part, parce que nous devons avoir un très bon mental pour rivaliser avec les autres. Je fais de mon mieux pour prendre toujours autant de plaisir à sauter à la perche qu'au début de mon aventure. Ça n'a jamais été un travail pour moi, c'est resté une passion.
Sam, vous êtes arrivé en tête aux derniers Championnats du monde à Doha en 2019. Qu'avez-vous ressenti ?
SK : Tous les deux ans, nous nous retrouvons pour un championnat et, même si Mondo détient actuellement le record du monde, aucun de nous ne peut simplement passer un coup de fil et dire : "envoyez-moi ma médaille d'or". Nous sommes obligés de sauter pour la gagner.
Au fil des décennies, de nombreux perchistes sont entrés dans la légende et ont dominé la discipline. Ceux qui la dominent encore ont beau détenir des records du monde ou des titres de championnats, tous vous diront que rien n'est inscrit et qu'une victoire ne nous appartient pas. C'est une discipline dans laquelle l'honneur règne ; il imprègne notre façon d'exercer ce sport. C'est super. Nous sommes en quelque sorte une fratrie dans laquelle le respect est bien plus important qu'un championnat. Doha a certainement été la rencontre la plus difficile à laquelle j'ai participé jusqu'ici. Mais c'était aussi l'une des plus amusantes.
Qu'est-ce qui est essentiel pour réussir à sauter haut ?
MD : Plusieurs choses, car c'est une manœuvre assez compliquée. Outre la technique, je pense que le plus important est le mental. C'est ce qui différencie un bon perchiste d'un très bon. Quand je réalise de belles performances, Sam, Piotr et Renaud réalisent de belles performances eux aussi. Nous avons tout simplement confiance en nous. Nous sommes confiants et à l'aise sur la piste, c'est très important. C'est même crucial, surtout lorsque vous vous propulsez à 6 m dans les airs. Il faut se faire confiance. On ne peut pas avoir une seule seconde d'hésitation, car elle pourrait troubler tout le timing du saut.
RL : Pour moi, deux éléments sont essentiels. Tout d'abord la vitesse. En général, en athlétisme, la vitesse est cruciale pour réussir. Je sais que la vitesse est l'un de mes meilleurs atouts. Ensuite, il faut avoir la meilleure technique possible pour ce jour en particulier. C'est parfois difficile à identifier. En effet, certains jours la météo est différente ou vous vous sentez différemment physiquement, mais vous devez être capable de vous adapter à chaque fois. Si je réussis à passer autant de sauts, c'est parce que j'ai un très bon feeling avec la perche et je sais que si je réussis à garder cette sensation, j'arriverai à sauter pendant encore longtemps.
PL : En saut à la perche, on n'a jamais fini d'apprendre. La vitesse, la technique, et réussir à tout rassembler pour sauter constituent un challenge continu.
À suivre dans la partie 2 : Arriver à la hauteur de Mondo : les trois athlètes derrière le Suédois racontent comment ils prévoient de le rattraper