Pierre de Coubertin et Paris 1924 : une histoire de cœur

Les Jeux de la VIIIe Olympiade ont incarné la vision de Pierre de Coubertin pour le plus grand spectacle sportif du monde, dont certaines idées restent pertinentes encore aujourd’hui. 

Pierre de Coubertin et Paris 1924 : une histoire de cœur
© IOC

Par George Hirthler

Les Jeux Olympiques de Paris 1924 furent le chant du cygne de Pierre de Coubertin. Maître de l’art théâtral, il avait préparé la scène pour son départ des années auparavant. Lorsqu’il avait annoncé sa retraite en 1921, dans une lettre poignante envoyée à ses collègues du CIO, il leur avait demandé qu’ils lui accordent un dernier vœu, «qu’une faveur exceptionnelle soit faite à [sa] ville natale, Paris» en lui accordant l’édition 1924, tout en nommant Amsterdam ville hôte des Jeux de 1928. Il savait que le CIO ne lui refuserait pas de célébrer l’apogée de son œuvre olympique historique dans la capitale du pays pour lequel il avait proclamé sa « passion folle » à l’âge de 12 ans.

S’il aimait le Mouvement olympique, qu’il avait lancé à la Sorbonne 30 ans plus tôt, Coubertin vouait un amour encore plus grand à la France. Il écrivait continuellement son histoire, cherchait à promouvoir sa stature internationale et intégrait sa langue et ses valeurs au cœur du Mouvement olympique. En outre, il admirait par-dessus tout le succès de la IIIe République, au service de laquelle il a mis très jeune son intelligence et ses talents afin de contribuer à la réforme de l’éducation nationale française dans les années 1880.

En fait, à l’origine, sa motivation pour restaurer les Jeux Olympiques modernes était ancrée dans l’espoir que cet événement puisse couronner de gloire son pays natal. Les fouilles allemandes entreprises dans la cité antique d’Olympie de 1874 à 1880 l’ont d’ailleurs mené à écrire en 1909: «Rien dans l’histoire ancienne ne m’avait rendu plus songeur qu’Olympie. Cette cité de rêve (…) dressait sans cesse devant ma pensée d’adolescent ses colonnades et ses portiques. L’Allemagne avait exhumé ce qui restait d’Olympie; pourquoi la France ne réussirait-elle pas à en reconstituer les splendeurs?»

En 1915, il apportait un nouveau gage d’amour à sa patrie en rejoignant l’armée française pour défendre sa nation lors de la Grande Guerre, mettant entre parenthèses les devoirs de sa présidence olympique après avoir fait déménager le siège du CIO de Paris pour la sécurité paisible offerte par Lausanne, protégée par la neutralité suisse. À 52 ans, il était trop âgé pour aller au front: il a donc travaillé pour le Ministère de la guerre, au Département de la propagande, et a voyagé dans les régions pour donner des discours visant à stimuler l’esprit de corps français. Bien qu’il ait lancé un mouvement destiné à promouvoir la paix entre les nations, Coubertin ne pouvait se résoudre à être pacifiste lorsque le sort de la France était engagé.

De retour à Paris en juin 1924 pour mettre la touche finale à sa carrière olympique, émotions et pensées se bousculaient chez lui à l’aube de clore ce chapitre de sa vie. Patriote jusque dans sa fierté, il estimait que Paris – la capitale mondiale de la culture – apposerait un sceau d’immortalité sur le travail de toute une vie et assurerait une place permanente au calendrier international pour son mouvement mondial promouvant l’amitié et la paix à travers le sport. Après la Grande Guerre, Coubertin avait offert une nouvelle résurrection aux Jeux Olympiques, à Anvers en 1920, une édition aux accents militaires par nécessité, suite aux ravages du conflit. Il espérait désormais que Paris pourrait proposer une célébration de l’élite de l’athlétisme et de la culture qui surpasserait les six précédentes Olympiades et concrétiserait enfin sa vision extraordinaire.

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Tout s’annonçait pour le mieux: la cérémonie d’ouverture était programmée le 5 juillet et les équipes de 45 nations s’installaient déjà dans le nouveau village olympique, une innovation française symbolisant l’unité mondiale que les Jeux cherchaient à promouvoir. Une affluence record était prévue, avec 3 089 athlètes, dont 135 femmes.

Mais avant que les épreuves ne débutent, il convenait de célébrer dignement le 30e anniversaire de la création des Jeux Olympiques modernes, à l’endroit même où ils étaient nés. Dans la cour d’honneur de la Sorbonne et au milieu d’une foule dense, Coubertin et ses collègues du CIO ont accueilli le président de la République française fraîchement élu, Gaston Doumergue. En signe de gratitude envers la ville hôte et le pays, Coubertin lui a offert un écrin contenant deux médailles d’or: sur la première, gravée 30 ans plus tôt, figurait l’inscription «Le Congrès International de Paris proclame le rétablissement des Jeux Olympiques, 23 juin 1894». La seconde commémorait l’occasion: «Les nations assemblées célèbrent le trentième anniversaire de l’Olympisme rénové, 23 juin 1924».

Ce soir-là, le président français a donné un dîner au Palais de l’Élysée pour Coubertin et le CIO, durant lequel il a porté un toast et exprimé son admiration officielle pour le Mouvement olympique. Quelques jours plus tard, au cours d’une autre réception organisée à l’Hôtel de Ville par le maire et le préfet de la Seine, Coubertin a exprimé sa gratitude. Remerciant Paris pour avoir hissé les Jeux Olympiques vers de nouveaux sommets, il a toutefois rappelé qu’indépendamment de ce qui se produirait lors des jours qui suivraient, son œuvre globale se poursuivrait: «L’océan du sport semble vivre des fluctuations, tout comme l’océan marin», déclarait-il, mais «le sport est devenu international et nous pouvons donc espérer que ce mouvement ne s’arrêtera pas, car s’il lui arrivait de fléchir en un point, il serait revigoré en un autre.»

Avant de conclure son discours par une proclamation puissante: «Longue vie à Paris!»

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Une fois les Jeux ouverts, la compétition s’est distinguée par son excellence. Johnny Weissmuller, le nageur américain qui brillerait à Hollywood en incarnant Tarzan, établissait un record olympique sur 100 mètres en battant la marque de l’Hawaïen Duke Kahanamoku, qui avait remporté l’or lors des deux précédentes éditions. Paris mettait également à l’honneur Paavo Nurmi, le coureur qui remporterait neuf médailles d’or olympiques dans sa carrière, ainsi que les coureurs Eric Liddell et Harold Abrahams, immortalisés dans Les Chariots de feu. Bien qu’il ait exprimé son opposition à la participation des femmes aux Jeux Olympiques, le baron ne l’a jamais bloquée et le nombre d’athlètes féminines participant aux Jeux a été multiplié par six sous sa présidence. L’édition 1924 a même marqué un nouveau précédent dans ce domaine, ce que Coubertin a semblé célébrer en assistant au tournoi de tennis féminin. Accompagné de son neveu Christian de Navacelle et de sa nièce Marie-Marcelle de Coubertin, il a vu la championne française Julie Vlasto s’incliner en finale face à la sensation américaine Helen Wills. Âgée de 18 ans, la jeune femme remporterait entre autres huit titres à Wimbledon et deviendrait la première sportive américaine à atteindre une renommée internationale.

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Si Coubertin a eu maille à partir avec certaines autorités sportives françaises avant les Jeux, il ne fait aucun doute que Paris 1924 a couronné le «rénovateur», en concluant son ère dans sa ville de naissance avec le plus beau festival olympique jamais organisé. L’année suivante, lors du Congrès du CIO à Prague, en Tchécoslovaquie, le baron monterait sur le podium de l’Hôtel de Ville et demanderait à ses collègues de poursuivre son œuvre après son départ.

Lors de ces adieux, Coubertin a exprimé sa gratitude, tout en adressant une série de mises en garde. Il a exhorté ses collègues à protéger plusieurs principes, dont l’universalité des Jeux Olympiques. «Est-il besoin de rappeler qu’ils ne sont la propriété d’aucun pays ni d’aucune race en particulier et qu’ils ne peuvent être monopolisés par des groupements quelconques. Ils sont mondiaux; tous les peuples y doivent être admis sans discussion, de même que tous les sports y doivent être traités sur un pied d’égalité sans souci des fluctuations ou des caprices de l’opinion.»

Son message continue de transmettre de nos jours une immédiateté morale qui reflète les qualités intemporelles de sa vision olympique, que Paris et la France sont parfaitement indiquées pour célébrer, à l’époque comme aujourd’hui.

L’auteur américain George Hirthler a écrit The Idealist, une fiction historique sur la vie de Pierre de Coubertin et son époque. Il a reçu la médaille Pierre de Coubertin en 2022.

Cet article est la version modifiée de la contribution d'une tierce partie, laquelle a été publiée dans la Revue Olympique. Les articles publiés dans la Revue Olympique ne reflètent pas nécessairement l'opinion du Comité International Olympique.I