Le "Titre IX", ou pourquoi les Américaines sont parmi les meilleures footballeuses du monde
L'équipe féminine américaine de "soccer" s'est constitué en une trentaine d'années le plus beau des palmarès sur les scènes mondiale et olympique. À l’origine se trouve une loi fédérale votée en 1972, le "Titre IX", accordant les mêmes moyens aux femmes qu’aux hommes dans les programmes sportifs scolaires et universitaires. Donna de Varona, ancienne championne olympique de natation et présidente de la Coupe du monde féminine de la FIFA 1999, est un témoin privilégié de cette évolution.
Donna de Varona est une personnalité majeure du sport américain. Double championne olympique de natation à Tokyo en 1964, journaliste sportive à la télévision, elle est à l'origine, avec la joueuse de tennis Billie Jean King, de la "Women's Sport Foundation" qui promeut les activités sportives des femmes aux États-Unis. Elle a été présidente du comité d'organisation de la Coupe du monde féminine de la FIFA 1999 et est membre de la commission des femmes dans le sport du CIO, pour ne citer qu'une partie de son extraordinaire parcours.
"On me demande souvent les raisons pour lesquelles j'ai arrêté la compétition en natation à l'âge de 17 ans. J'ai battu quelque 18 records du monde, remporté 37 titres nationaux et gagné deux médailles d'or olympiques. Le tout comme une athlète adolescente des années 1960, une époque turbulente connue pour ses pionnières mais pas franchement pour que les filles en maillot de bain aient le moindre impact sur un changement durable. La réponse à cette question est simple : la loi fédérale connue sous le nom de "Titre IX" n'existait pas à mon époque. Le sport féminin universitaire de haut niveau, qui passe aujourd'hui à la TV quasiment au quotidien, offrant également un chemin vers les plus belles institutions académiques, n'était pas là pour aider les athlètes féminines à prolonger une carrière au sommet de leurs performances et de leurs prouesses physiques."
Mais tout va changer dans le cadre des amendements pour l'éducation (Education Amendments) votés par le Congrès américain en juin 1972 où figure la loi fédérale "Titre IX" qui stipule qu’"aucune personne ne devra être, aux États-Unis, sur la base de son sexe, exclue de participer, se voir refuser les bénéfices ou être soumise à discrimination concernant tout programme éducatif ou activité recevant une assistance financière fédérale."
Alors que, comme l'explique Donna De Varona, "au début des années 1970, environ 50 000 hommes arrivaient à l'université avec des bourses sportives, comparé à environ 50 femmes, et qu'au lycée, seulement une femme sur 27 pratiquait une activité sportive", les effets du Titre IX se sont avérés considérables dans bien des domaines, et le sport en particulier, puisque peu à peu, les femmes vont pouvoir bénéficier de bourses sportives universitaires comme les hommes et notamment briller dans le cadre de la NCAA qui organise les populaires compétitions nationales.
Donna De Varona a été invitée à faire partie d’un groupe de discussion lors de l’"Equal Playing Field Summit 2019" qui a été organisé par Equal Playing Field le 5 juillet à Lyon avant la finale de la Coupe du monde féminine. Ce sommet a réuni des leaders d’opinion, des décideurs, des acteurs et des spécialistes du milieu footballistique afin de discuter et de partager des solutions sur des enjeux bien réels, parmi lesquels la mise à disposition d'un environnement sûr pour la pratique sportive, une représentation équilibrée des deux sexes et l'intégration des droits de l'homme dans le football.
Donna De Varona a mis en avant l'engagement du CIO à faire tomber les barrières qui empêchent encore les femmes et les jeunes filles de faire du sport et d'être représentées à tous les échelons du mouvement sportif. À cet égard, elle a expliqué le travail de mise en œuvre du projet d’analyse du CIO sur la question de l’égalité des sexes, lequel examine le sujet de manière approfondie et comprend 25 recommandations axées sur cinq thèmes : le sport, la gouvernance, la représentation, le financement et les ressources humaines.
Le CIO était également représenté dans un autre groupe de discussion qui a mis en lumière la prévention du harcèlement et des abus dans le sport. Le référentiel pour la protection des athlètes élaboré par le CIO à l’intention des Fédérations Internationales et des Comités Nationaux Olympiques y a été présenté et examiné.
Des centaines de milliers de jeunes Américaines se mettent au "soccer"
Le football américain et le baseball, deux des principaux sports contribuant à l'identité nationale américaine, ont des attributs de virilité dans l'imaginaire collectif, ce qui n'est pas le cas du "soccer", le sport n° 1 en Amérique du Sud, en Europe, en Afrique, mais pas aux États-Unis en ce qui concerne les hommes. Ainsi, hors de toute forme de sexisme, des centaines de milliers de jeunes Américaines vont se mettre à pousser le ballon dès le lycée. "Un grand sport pour les femmes, avec de très bons entraîneurs, un sport collectif où elles se soutiennent mutuellement, où elles se créent des modèles", explique Donna De Varona.
Un incroyable vivier se met ainsi en place pour arriver à la brillante vitrine, la "USWNT" (United States Women's National Team), la meilleure équipe nationale au monde depuis les débuts des deux plus importantes compétitions planétaires : la Coupe du monde féminine de la FIFA (1991) et le tournoi femmes des Jeux Olympiques (1996).
La Coupe du monde féminine est créée par la FIFA en 1986 après plusieurs tournois internationaux comme le "Mundialito" (de 1981 à 1988) et la première édition a lieu en République populaire de Chine en novembre 1991. Elle réunit douze équipes et les États-Unis de la superstar Mia Hamm, pur produit du cursus universitaire, l'emportent en finale face à la Norvège, 2-1. Le CIO intronise le football féminin aux Jeux d'Atlanta en 1996, avec une règle différente par rapport aux hommes : si les joueurs qui disputent les Jeux doivent être des "espoirs" (c'est-à-dire âgés de moins de 23 ans avec trois exceptions), il n'y a aucune restriction de ce type pour les femmes, qui peuvent donc aligner les mêmes équipes au Mondial et aux Jeux. La USWNT s'adjuge la première médaille d'or devant 76 000 spectateurs au Stanford Stadium d'Athens en battant la Chine 2-1.
Un nouveau tournant avec la Coupe du monde de la FIFA 1999
Un nouveau moment très important pour le football féminin se produit en 1999 lors de la troisième Coupe du monde disputée aux États-Unis. "La plus belle expérience sportive de ma vie", dit Donna De Varona, qui fut la présidente du comité d'organisation. "Personne ne croyait que nous pourrions organiser une Coupe du monde dans les plus grands stades des États-Unis. Et nous l'avons fait". Les Américaines jouent la finale face à la Chine au Rose Bowl de Pasadena le 10 juillet devant plus de 90 000 spectateurs et 18 millions de téléspectateurs. Elles s'imposent aux tirs au but (score nul à la fin du temps réglementaire) sur un dernier tir réussi de Brandi Chastain, dont la course folle en retirant son maillot pour fêter ce succès est restée célèbre. De nouvelles vocations naissent aux États-Unis dans la foulée de ce deuxième triomphe planétaire.
Génération après génération, les équipes féminines américaines s'imposent aux Jeux Olympiques en 2004, 2008 et 2012, sont finalistes en 2000 (battues par la Norvège aux tirs au but) et ne quittent jamais le podium jusqu'au couac des Jeux de Rio 2016 où elles chutent en quarts de finale face à la Suède, là aussi aux tirs au but. Au milieu de ces succès, Carli Lloyd se fait une place à part, puisqu'elle marque tous les buts de son équipe lors des finales 2008 face au Brésil (1-0) et 2012 contre le Japon (2-1). Les Américaines ne quittent pas non plus le podium en Coupe du monde : finalistes en 2011, troisièmes en 1995, 2003 et 2007, elles gagnent leur troisième titre mondial en 2015 au Canada en battant le Japon 5-2 avec un triplé de la capitaine Carli Lloyd dans les seize premières minutes du match dont un extraordinaire but en forme de lob marqué depuis la moitié de terrain : la joueuse du match et la meilleure joueuse de ce Mondial.
En France en 2019, l'équipe de la nouvelle superstar du soccer "made in USA", Alex Morgan, se présente à nouveau favorite parmi les 24 équipes engagées et Carli Lloyd est toujours là. Après la défaite en quarts de finale aux Jeux de Rio 2016, elle avait dit : « Vous feriez bien de croire qu’en 2019 en France et en 2020 aux Jeux de Tokyo, nous reviendrons pour gagner l’or ». Le 7 juillet 2019 à Lyon, les partenaires de la capitaine Megan Rapinoe s'imposent en finale de la huitième Coupe du monde féminine de la FIFA, 2-0 face au Pays-Bas et accrochent une quatrième étoile à leur maillot. Il fallait bien prendre les propos de Carli Lloyd à la lettre. Prochain défi aux Jeux olympiques 2020 !
Dans une perspective plus générale, Donna de Varona conclut : "Dans l'arène olympique, les femmes américaines ont continué à dominer, perpétuant l'héritage de leurs devancières sportives. Spécialement durant les Jeux d'été, elles brillent grâce aux fantastiques équipements et à l'entraînement offert par les programmes sportifs des universités. De récentes recherches de Ernst and Young indiquent que 94 % des femmes qui travaillent à des postes de direction dans les 500 premières entreprises américaines ont disputé des compétitions sportives et 50% l'ont fait au niveau universitaire. Le lien entre les opportunités sportives offertes et les succès obtenus plus tard dans la vie ne peut pas être plus clair et offre à la base une puissante indication de comment une politique efficace peut impacter la culture, la société, les travailleurs et, au bout du compte, l'économie dans son ensemble. Le Titre IX a libéré le potentiel de la moitié de la population américaine, pas seulement sur le terrain de jeu, mais dans tous les métiers.... "