Santé mentale : Comme Teddy Riner avec sa psychologue Meriem Salmi, découvrez comment gérer la peur de perdre ou la défaite ?

Par Julie Trosic
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Dato Matsoukatov of Team Cyprus (Blue) reacts after losing during their Judo Men's -73kg Semi-Final match against Faye Njie of Team Gambia on day five of the Birmingham 2022 Commonwealth Games on August 02, 2022 in Coventry, England. (Photo by Mark Kolbe/Getty Images)
Photo de Photo by Mark Kolbe/Getty Images 2022

Découvrez comment les psychologues du sport Meriem Salmi et Coline Régnauld travaillent sur la peur de perdre avec les plus grands athlètes français. 

Si les victoires sportives font souvent les gros titres, les athlètes de haut niveau doivent aussi gérer la peur de la défaite, qu’elle soit logique ou inattendue. Gagner ou perdre, c’est parfois le raccourci utilisé pour parler de résultats sportifs. Mais dans le sport de haut niveau, la réalité est plus complexe que cette dichotomie simplifiée.

Selon Coline Régnauld, psychologue du sport à l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP), même si les sportifs pratiquent des disciplines différentes, ils sont tous confrontés aux mêmes problématiques. À savoir, une forte exigence de performance et un rythme soutenu de compétitions.

Sans oublier le rapport entre la famille et les entraîneurs d’une part, et avec les partenaires d'entraînement d’autre part, qui peuvent aussi parfois venir renforcer la pression que certains sportifs peuvent se mettre.

« On place sur eux des attentes qui sont très élevées et qui sont aussi justifiées parce qu'on attend d'eux une haute performance », explique-t-elle.

Dans ce contexte, comment accompagner un athlète de haut niveau qui doit faire face à une défaite importante dans sa carrière ? Comment l’aider à prendre du recul sur cet échec, se reconstruire et anticiper le retour à la compétition afin de mieux rebondir ?

Découvrez dans cet article le travail mis en place par Coline Régnauld pour aider les athlètes à mieux gérer leur déception après une défaite, en identifiant notamment les facteurs de l’échec.

Après sa défaite surprise contre la Polonaise Magdalena Frech, 69e mondiale (4-6, 6-7), la joueuse de tennis française Caroline Garcia s’est exprimée à ce sujet.

« Ce n’est qu’un deuxième tour de l’Open d’Australie, je joue une fille moins bien classée que moi, pourquoi je me mets dans des états pareils ? », s’interrogeait-elle d’une voix tremblante en conférence de presse, les larmes aux yeux.

Meriem Salmi, qui accompagne Teddy Riner depuis une vingtaine d’années, a également confié à Olympics.com comment elle a aidé le grand champion de judo à digérer sa défaite au Paris Grand Slam 2020, alors qu’il était invaincu depuis dix ans !

Enfin, le lutteur américain Jordan Burroughs, sacré champion olympique à Londres 2012, apporte son expérience sur ce sujet, en tant qu’athlète mais aussi en tant qu’entraîneur de son fils aîné Beacon. Car l’un comme l’autre ont dû apprendre à perdre.

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La gestion de la déception et du regard des autres après une défaite

Selon Coline Régnauld, toute la vie des sportifs de haut niveau tourne autour de l'entraînement et de la compétition. Par conséquent, quand le résultat n'est pas celui attendu, il est difficile à accepter.

« Déjà, ce qu'il faut gérer c'est effectivement la déception d'avoir perdu », explique-t-elle.

Mais également le regard des autres : celui des entraîneurs, des partenaires d'entraînement, des adversaires et même de la famille. « La gestion du regard des autres peut-être parfois compliquée, parce que quand on est très attendu, il y a peut-être plus de peur de décevoir. »

Elle précise qu’une défaite peut aussi affecter considérablement l'estime et la confiance en soi des athlètes. Ce qui peut créer de l’anxiété, du stress à l’idée qu’un échec puisse se produire de nouveau au moment de retourner en compétition.

L’accompagnement que Coline Régnauld met en place consiste d’abord à comprendre ce qui s'est passé pour pouvoir identifier les facteurs susceptibles d’avoir joué sur l'échec ou la contre-performance. Il s’agit ensuite de mettre en place des stratégies qui seront développées à l'entraînement pour que l’athlète soit capable à l’avenir d'y faire face.

« Tous les sportifs disent toujours que lorsqu'on les attend sur une performance, il y a toujours plus de pression que quand ils arrivent en tant qu'outsiders », ajoute Coline Régnauld. « Par conséquent, ils sont beaucoup plus libérés dans leurs performances ».

À l’inverse, elle explique que quand ils sont attendus, ils auront davantage tendance à avoir des pensées automatiques qui vont venir un peu « parasiter » leur performance.

Elle prend alors l’exemple des judokas sur le tatami : « Toute leur attention est focalisée sur ces pensées automatiques qui viennent les sortir de leur combat et qui [par conséquent] ne leur laissent pas forcément la place pour être davantage dans l'instant présent ».

Selon elle, il s’agit donc d'aider aussi les athlètes à « développer le travail sur la pleine conscience et sur l'instant présent pour accepter les pensées qui peuvent venir et les laisser passer ». Ainsi, ils peuvent ensuite se reconcentrer sur ce qu'ils ont à faire sur le tapis, sur leurs points forts et sur ce qu'ils veulent mettre en place pendant la compétition.

Meriem Salmi, psychologue de Teddy Riner : « Il y a des choses plus graves dans la vie que de perdre une compétition »

Meriem Salmi côtoie Teddy Riner depuis qu’il a 14 ans. Et quand on lui demande comment le judoka français a géré les défaites les plus importantes de sa carrière, elle a l’art de relativiser et à juste titre.

« Alors, d'abord, il n'y a pas eu de 'défaite' aux Jeux Olympiques : il a eu une médaille de bronze et une médaille d'or en équipe », précise-t-elle en faisant référence à Tokyo 2020.

Puis, elle raconte la première fois qu'il a perdu au Paris Grand Slam, en 2020. « Ce qui est exceptionnel, ce n'est pas cette défaite, c'est le fait que pendant dix ans, il n'ait pas perdu. C'est ça qu'il faut souligner. [Rires] »

« Ce jour-là, au Tournoi de Paris, il a dit devant la presse : 'Depuis l'âge de 14 ans, je travaille avec ma psy pour savoir que je peux perdre. Je sais que je peux perdre.' »

Elle confirme qu’effectivement les athlètes peuvent perdre, mais cela ne leur enlève en rien leur valeur. Dans cette logique, il s’agit selon elle de travailler sur l’acceptation de la défaite.

« Pour pouvoir gagner, il faut savoir que l'on peut perdre. Sinon, on va sur le frein, on est inhibé. C'est très désagréable à envisager, mais c'est la réalité du sport. »

Parfois, les gens lui disaient de ne pas s’inquiéter pour Teddy, car il allait gagner. « Mais je ne m'inquiète pas, déjà. Parce que même s'il perd, on va se relever ! », a-t-elle déclaré.

Meriem Salmi souligne que ce n'est pas un drame humain de perdre une compétition. Par le passé, elle a travaillé auprès de personnes sans abri dans la rue, ce qui lui permet de dire en toute connaissance de cause qu’il y a effectivement des situations beaucoup plus graves dans la vie. Et c’est la raison pour laquelle il est important pour elle de ne pas travailler uniquement dans le milieu du sport, pour toujours relativiser.

Consciente que les athlètes peuvent vivre la défaite comme un drame, elle tente de leur faire prendre conscience de leur valeur personnelle pour les aider à mieux se relever.

« Ce jour-là, l'autre a été meilleur. C'est vrai, c'est dur, mais ce n'est pas un désastre. Tu es quelqu'un de courageux, de consciencieux, de travailleur, d'intelligent. Tout ce que tu as fait a une valeur, ne l'oublie jamais ! Et oui, aujourd'hui, tu n'as pas eu cette médaille. Mais tu n'es pas quelqu'un qui a raté. […] Non, tu as tout fait pour y arriver. Reconnais ça, c'est très important ! »

Pour Meriem Salmi, la seule chose sur laquelle nous pouvons avoir prise dans la vie, c'est cette exigence sur nous-mêmes. « Le reste, c'est la loi du sport et ça peut être très cruel... »

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Le lutteur américain Jordan Burroughs porte un nouveau regard sur la défaite grâce à son fils Beacon

Le champion olympique de lutte Jordan Burroughs, sacré à Londres 2012 dans la catégorie 74 kg, a eu une impression de déjà-vu en juillet 2023, lorsque son fils aîné de 9 ans, Beacon, a connu sa première défaite. En effet, il avait vécu la même chose deux semaines plus tôt, lors du tournoi « Final X » aux États-Unis.

Mais, contrairement à lui qui a perdu des compétitions importantes, en faisant face à l’humiliation devant des foules de spectateurs, son fils n’avait jamais éprouvé le sentiment d’une défaite auparavant. Portant un regard attendri sur son protégé, il estime que les attentes qui pèsent sur Beacon sont injustement élevées du fait qu’il soit le fils d’un champion. Selon Burroughs, cette pression supplémentaire a rendu sa première défaite encore plus difficile à gérer.

« Je crois qu’il comprend que ce sport n’est pas uniquement synonyme de victoires. Gagner, c’est amusant et on se sent bien en quittant la salle le jour-même ! Mais on ne pratique pas la lutte uniquement pour les médailles, mais pour se forger une personnalité tout au long de notre carrière. »

La défaite de son fils a résonné comme un écho pour Jordan Burrough. « J’ai pleuré à chaque fois que j’ai perdu », admet-il. Mais avec le recul, il reconnaît que c’est au fil de sa pratique de la lutte qu’il a pu progressivement adopter un nouveau regard sur la défaite.

« On veut gagner à chaque fois, mais on comprend que ce n’est pas vraiment possible. Très peu de personnes terminent leur carrière en étant invaincues dans leur sport. Certains athlètes considérés comme les meilleurs de tous les temps – Serena Williams, Tom Brady, Tiger Woods, Michael Jordan, Michael Phelps – ont tous perdu une compétition... Je pense que les victoires ont plus de poids que les défaites. Peu importe comment on termine, on ne peut pas oublier la beauté de l’ensemble de notre œuvre. »

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