Santé mentale : L’immense impact d’une blessure longue sur le mental d’un athlète, avec deux psychologues du sport

Découvrez le témoignage de deux psychologues du sport sur l’impact d’une blessure longue psychologique chez un athlète de haut niveau. Coline Régnauld, psychologue à l’Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance (INSEP), et Meriem Salmi, qui accompagne notamment Teddy Riner depuis 20 ans, se sont confiées à Olympics.com à ce sujet.

8 minPar Julie Trosic
Alexander Zverev of Germany on crutches following an injury against Rafael Nadal of Spain during the Men's Singles Semi Final match at the 2022 French Open
(Ryan Pierse, 2022)

Nombreux sont ceux qui se souviennent de la détresse du tennisman allemand Alexander Zverev, lors du tournoi de Roland-Garros 2022, au moment de sa blessure à la cheville qui l’a éloigné des courts pendant plusieurs mois.

La thématique du retour au sport après blessure intéresse Coline Régnauld depuis plusieurs années. En février 2021, dans le cadre d'une journée à l'INSEP dédiée à la recherche de la performance à travers la blessure et la prévention, elle avait présenté un projet mené avec Alexis Ruffault concernant la création de batterie de tests mesurant des indicateurs psychologiques. Elle a également été citée à ce sujet dans le n° 27 de Réflexions Sport, publié en décembre 2021.

Quant à Meriem Salmi, psychologue et psychothérapeute depuis 40 ans, elle a pu constater pendant sa carrière que les périodes de blessure longue favorisent l’émergence de troubles psychopathologiques (voir plus bas). Connue pour accompagner Teddy Riner depuis une vingtaine d'années, elle suit également d'autres sportifs de haut niveau comme Axel Clerget (judo), Mélina Robert-Michon, Alexandra Tavernier et Rénelle Lamote (athlétisme), Ysaora Thibus (escrime), Élodie Clouvel et Valentin Belaud (pentathlon moderne), entre autres.

Découvrez comment ces problèmes peuvent bouleverser la santé mentale des athlètes et comment un suivi psychologique adapté au sport peut les aider à gérer ce contexte délicat.

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Sentiment d’isolement, anxiété, stress, gestion de la douleur et des émotions…

Depuis qu’elle travaille en tant que psychologue au pôle médical de l’INSEP, Coline Régnauld accompagne tous types de sportifs et, malheureusement, la blessure fait partie de leur carrière. Elle a ainsi pu voir que certaines thématiques peuvent ressortir en cas de blessure.

Tout d’abord, les athlètes ont l'impression de se sentir un peu isolés car, lorsqu’ils sont blessés, ils sortent du groupe : ils ne s'entraînent pas avec tout le monde. Pour eux, c'est compliqué parce que les autres continuent à avancer et à faire des compétitions, et pas eux. Par conséquent, ils ratent des échéances.

« C'est assez difficile pour [les athlètes de haut niveau], aussi bien dans leur projet sportif que dans l'image qu'ils ont d'eux-mêmes, car […] tout leur quotidien et toute leur vie [sont] organisés autour de l'entraînement, de la pratique sportive, mais surtout de la compétition. Donc quand ils ne peuvent pas faire de compétition, s'entraîner c'est assez compliqué pour eux. »

Coline Régnauld a également observé que ce contexte peut créer de l’anxiété chez les athlètes blessés. « Anxiété parce qu'ils ont l'impression de prendre du retard et aussi anxiété sur la reprise par peur que ça fasse mal, ou peur de se refaire mal. » Dans ce cas, elle parle de « catastrophisation de la douleur » : à la moindre petite sensation, il va y avoir un peu cette crainte d’une récidive de la blessure.

Pour certains athlètes ayant subi une blessure assez violente, il peut y avoir aussi un peu de stress à l'idée de reprendre le sport, de refaire une chute ou de se blesser à nouveau.

« Notamment, il y a certains sportifs que j'accompagne qui n'ont pas pu s'entraîner ni faire de compétition pendant un an, ce qui est très compliqué pour eux », confie Coline Régnauld. « Donc quand ils reprennent, ils veulent reprendre très fort. Et comme ils n'ont pas forcément envie d'adapter [leurs efforts] parce qu'ils sont déjà sortis du groupe, ça vient recréer des sur-blessures ou de nouvelles petites blessures. »

Ainsi, elle explique que ça peut de nouveau générer de l'anxiété chez eux, du fait que le scénario de l'année précédente pendant laquelle ils ne se sont pas entraînés risque de recommencer...

Parmi les sportifs suivis par Coline Régnauld, il y a eu un cas de blessure au sein de l'équipe de France dans un sport d’opposition. Privée de compétition l'année dernière, cette athlète vise une nouvelle qualification dans l'équipe pour espérer participer aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Dans son cas, il s’agit de travailler sur la gestion de l'anxiété à l'idée de se blesser ou de ne pas réussir à se qualifier et sur toutes les pensées automatiques qui peuvent venir impacter négativement sa performance. Sans oublier la confiance en soi, la concentration et la régulation des émotions pour performer le jour J dans l’espoir de faire partie des athlètes sélectionnés pour les JO.

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Meriem Salmi : « Les blessures longues, propices à l’émergence de troubles psychopathologiques »

Selon Meriem Salmi, les blessures longues peuvent notamment provoquer des troubles anxieux et des épisodes dépressifs. Ainsi, elle explique que ce n'est pas la blessure, la douleur ou l'intervention chirurgicale en elle-même, mais ce que ça représente pour un athlète de très haut niveau. « C'est toujours traumatisant une blessure longue : c'est plein de questions, plein d'incertitudes, plein d'impatience, plein de frustrations. »

Et pourquoi plus particulièrement chez ces athlètes-là ?

« Il est important de rappeler que l’histoire qu’ils entretiennent avec leur sport est avant tout une histoire passionnelle, une histoire d’amour. Précisons que dans les sports olympiques, la plupart ne gagnent pas d'argent. [D’ailleurs,] on retrouve les mêmes éléments entre la passion amoureuse et la passion du sportif : il y a des hauts, des bas, c'est dur, on pleure, on en a marre, on a envie de tout lâcher, on trouve ça injuste, etc. Et, en fait, c'est leur identité d’être sportif. »

Meriem Salmi ajoute qu’il est notamment important de travailler sur cette notion d’identité des athlètes car lorsqu’ils ne peuvent plus pratiquer leur sport, c’est très douloureux. Certains peuvent même avoir l'impression de ne plus exister, de disparaître. Ainsi, certaines personnes parlent parfois de ‘petite mort’.

Si ce sentiment intervient principalement en fin de carrière, une blessure grave – comme les ligaments croisés qui nécessitent huit mois d’arrêt pour revenir – implique une pause suffisamment longue pour induire des choses complexes sur le plan psychologique. D’où l’importance d’accompagner ces athlètes, mais aussi de travailler psychologiquement sur le fait qu’ils ne sont pas que des sportifs. Ils existent avant tout comme êtres humains. Il est essentiel de prévenir les troubles pendant et après blessure, mais aussi pour leur après-carrière.

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La gestion psychologique du temps « perdu » et la valeur des athlètes

Aujourd’hui professionnelle en libéral, Meriem Salmi a longtemps travaillé à l’INSEP par le passé et préconisé la nécessité d'avoir un psychologue dans les structures de réathlétisation, par exemple, pour accompagner les sportifs afin qu'il n'y ait pas une réparation uniquement physique, mais aussi psychologique.

« Souvent j'entends des sportifs me dire : 'On m’a dit qu’il n’y avait plus rien, que j’étais prêt physiquement. Pourtant j’ai beaucoup d’appréhension'. Oui, mais mentalement, [l'athlète en question] n'est pas prêt. La blessure s’accompagne aussi psychologiquement. Parfois, elle laisse des séquelles. Il est important de traiter les conséquences que la blessure a engendrées, notamment les doutes, les incertitudes, les peurs de se reblesser. »

Elle explique ainsi que les athlètes se précipitent parfois pour revenir, car ils ont peur de perdre leur place ou de ne pas être à la hauteur pour retrouver leur statut en équipe de France notamment.

« Souvent, ils ont dans leur tête 'Il faut que je rattrape le temps perdu.' J'entends tout le temps ça : 'j'ai perdu du temps'. »

En tant que psychologue, elle estime qu’il est important de pouvoir leur expliquer ceci : « Non, on ne perd pas de temps car on va travailler des choses qu'on ne peut pas travailler justement quand tu es en compétition, quand tu dois enchaîner. [Car dans ces moments-là,] on ne peut pas faire un travail de fond. »

Grâce à ce temps de recul, les sportifs de haut niveau travaillent sur eux grâce à des techniques qui leur permettent de s'apaiser. Selon Meriem Salmi, c'est également le moment de travailler entre autres sur les questions identitaires, notamment le fait qu'ils ne sont pas que des sportifs et que leur valeur ne dépend pas que d’une médaille.

« Autrement dit, ce n'est pas parce que tu n'as pas de médaille que tu ne vaux rien. Parce que c'est souvent leur représentation [et celle] que renvoie ce monde-là. »

« On vaut quelque chose, qu'on ait gagné ou pas : le parcours qu'on réalise, les efforts qu'on fournit, ça a une valeur. Oui, c’est vrai que ça n'aboutit pas toujours, mais ce n'est pas pour autant qu'on ne vaut rien. »

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