Santé mentale dans le sport de haut niveau : Teddy Riner a été le premier ambassadeur de la psychologie, selon Meriem Salmi

Le 10 octobre, c’était la Journée mondiale de la santé mentale. Parce que cette thématique est cruciale dans le sport de haut niveau malgré certains tabous qu’elle peut soulever, découvrez les témoignages de deux psychologues du sport : Meriem Salmi, qui accompagne notamment Teddy Riner depuis 20 ans, et Coline Régnauld, qui travaille à l’INSEP.

11 minPar Julie Trosic
La psychologue Meriem Salmi et le judoka français Teddy Riner 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) célèbre chaque année la Journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre, en mettant l’accent sur une problématique spécifique. Cette année, la campagne ciblait notamment les droits de chacun en matière de santé mentale.

Mais que recouvre le terme « santé mentale » dans le contexte du sport de haut niveau ?

Pour répondre à cette question malgré certains tabous sur le sujet, deux psychologues du sport se sont confiées à Olympics.com.

Meriem Salmi a débuté sa carrière il y a 40 ans auprès d’adolescents en difficulté, avant de diriger trois centres de soins en addictologie et une équipe de prévention en intervenant notamment dans la rue. Fille de boxeur, elle est impliquée dans le domaine du sport à de nombreux égards depuis longtemps. Après avoir travaillé en tant que responsable du suivi psychologique à l’Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance (INSEP), elle accompagne des sportifs de haut niveau tels que Teddy Riner et Axel Clerget (judo), Mélina Robert-Michon, Alexandra Tavernier et Rénelle Lamote (athlétisme), Ysaora Thibus (escrime), Élodie Clouvel et Valentin Belaud (pentathlon moderne), entre autres.

Coline Régnauld a d'abord travaillé en entreprise pour réaliser des bilans de compétences et des évaluations psychologiques dans le cadre des recrutements et des évolutions de carrière. Ancienne nageuse, elle a toujours été intéressée par le domaine du sport et en particulier la population des sportifs qu’elle considère très riche et très diversifiée. Depuis 2021, elle est l’une des quatre psychologues qui travaillent au pôle médical de l’INSEP.

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Meriem Salmi : « Aujourd'hui je suis sollicitée, mais avant la santé mentale n'intéressait absolument personne, c'était plutôt rejetée »

Pour commencer, la psychologue et psychothérapeute Meriem Salmi, connue pour accompagner Teddy Riner depuis qu’il a 14 ans, aime bien revenir à une définition qui est acceptée par tout le monde sur ce qu’est la santé.

Celle de l'OMS : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

Donc la santé n'est pas uniquement physique, c’est un état général à considérer de manière globale : par exemple, une blessure aura évidemment un impact sur la santé mentale d’une personne.

Selon Meriem Salmi, Hippocrate était plus moderne que nous car, dans ses textes, il décrivait de manière extrêmement moderne comment quelqu'un doit être appréhendé par un soignant. « Il ne parle pas que de maladies, il ne parle pas que de physique, il ne s'attache pas qu'aux symptômes : il s'attache à la famille, à l'environnement et à la partie psychologique », a-t-elle expliqué.

« Et c'est comme ça que je travaille. Vous voyez, les choses à l'ancienne sont plutôt modernes puisque, maintenant, on revient à ces questions de santé mentale alors qu'elles ont été négligées – ou avaient même disparu – pendant des siècles. »

Par ailleurs, le fait que le terme « psychologue » soit également un adjectif (contrairement à « médecin » , « avocat » ou « maçon ») suppose que tout le monde peut être psychologue. Ce qui crée des biais cognitifs et des représentations qu’il faut modifier, selon elle. « Psychologue, ce n'est pas juste écouter. On a fait de qualités humaines une profession. Et tout ça va induire des freins pour que les gens viennent nous voir. »

« Quand vous allez voir un médecin, vous ne vous sentez pas nul ou fragile : vous y allez parce que vous avez un souci de santé physique. Eh bien, vous allez voir un psychologue non pas parce que vous êtes nul ou fou, mais parce que vous avez un souci de santé mentale... Donc il y a un regard très biaisé, péjoratif, insultant et méprisant. »

La santé mentale dans le contexte des sportifs de haut niveau

Pour croiser les regards d’experts, Olympics.com a également interrogé Coline Régnauld, psychologue au pôle médical de l’INSEP.

Selon elle, la santé mentale d’un athlète regroupe tout ce qui concerne son bien-être, à savoir aussi bien son projet sportif, que son projet personnel et son projet socio-professionnel.

« C'est aussi de pouvoir faire en sorte que les trois projets puissent cohabiter et que le sportif puisse se retrouver le mieux possible [non seulement] dans chacun de ses projets, mais aussi dans l'intégralité, dans l'agencement des trois projets. »

Teddy Riner, premier ambassadeur de la psychologie

Meriem Salmi tient à préciser que Teddy Riner a été le premier ambassadeur de la psychologie dans le sport de haut niveau en France. « Il faut se rappeler d'une autre époque où personne ne parlait, et des précurseurs dans le domaine. J'aime bien rappeler les gens qui ont ouvert la voie. [Rires] Il faut leur remettre une part de ce mérite, de cette avancée. »

« C'est courageux quand tout le monde se moque de vous parce que vous dites que vous êtes accompagné. Il avait quatorze ans […], il n'était pas connu et il se prenait raclée sur raclée sur le tapis… »

Selon elle, les rugbymen Pascal Papé et Mathieu Bastareaud ont également parlé de santé mentale dans des milieux qui étaient considérés très masculins. Et ce, avant que Michael Phelps ne se confie à ce sujet. Mais ces sportifs qui parlent pour faire bouger les lignes, on les a d'abord peu écoutés.

Meriem Salmi explique que la santé mentale a été longtemps négligée, voire rejetée. Et c'est d'autant plus vrai dans le milieu sportif où elle était considérée comme antinomique avec des champions qui étaient censés être très forts. Ainsi, le monde sportif a vécu la santé mentale comme une attaque à son égard, car ce sujet tabou allait à l'inverse des représentations qu'on avait du champion invincible, donc inhumain.

Elle précise que même dans les plus grands mythes de demi-dieux, les colosses invulnérables avaient tous des failles. Achille et son talon d'Achille, par exemple.

Pour Meriem Salmi, les athlètes de haut niveau ont une tolérance à la souffrance hors norme, sur le plan physique comme psychologique. Ces capacités peuvent les amener à se retrouver dans des situations de vulnérabilité – voire de danger – pour leur santé mentale. Les mondes d'excellence obligent ces sportifs à aller dans ces zones à risques et à dépasser fréquemment leurs limites pour réaliser des performances d'exception. « Et c’est ça qui les rend plus vulnérables et plus fragiles », a-t-elle ajouté.

Coline Régnauld, psychologue à l’INSEP : un message important à faire passer aux athlètes de haut niveau

Auprès des sportifs de haut niveau, le travail des psychologues de l’INSEP consiste non seulement à réaliser des bilans psychologiques dans le cadre de la surveillance médicale réglementaire (SMR), mais également des suivis psychologiques et des suivis en préparation mentale. Tous les ans, les athlètes font un bilan psychologique. À l'issue de ce rendez-vous, ils se voient proposer un suivi en préparation mentale ou un suivi psychologique. Une demande peut aussi être faite pour l’accompagnement de leur choix.

Dans ce contexte, Coline Régnauld explique que de nombreux sportifs peuvent parfois être un peu réticents à l'idée d'aller voir un psychologue. Cette consultation peut encore être perçue comme un signe de faiblesse, notamment dans certains sports avec une culture plutôt masculine.

Elle a remarqué que les hommes utilisent souvent l’axe de préparation mentale pour venir faire un suivi, alors qu'ils abordent parfois tout sauf ça. Selon elle, les femmes sont un peu plus prêtes à demander un suivi psychologique. D'ailleurs, ce constat est confirmé par ses statistiques : sur les 63 athlètes qu'elle accompagne cette année (au moment de la rédaction de cet article), il y a 10 hommes pour 4 femmes en préparation mentale, contre 36 femmes et seulement 13 hommes en suivi psychologique.

« [Personnellement], ça m'est complètement égal de savoir par quelle porte ils rentrent [suivi psychologique ou préparation mentale] : le plus important c'est que, s'il y a besoin d'un suivi, il y en ait un. »

Face au grand nombre de sportifs qui ont un peu d'appréhension à l'idée de voir un psychologue, Coline Régnauld précise que c'est tout à fait légitime d'avoir besoin de consulter un professionnel, qu'il n'y a pas de souci avec ça, car leur quotidien d’athlètes de haut niveau est assez difficile.

« Parfois, aller parler avec quelqu'un qui va être plutôt neutre et bienveillant, qui va respecter la confidentialité (parce qu'effectivement on ne va pas aller raconter aux entraîneurs et aux partenaires d'entraînement ce qu'il se passe), ça peut être bien aussi », a-t-elle déclaré.

Justement, l’un des seuls athlètes à faire un suivi psychologique avec elle semble convaincu des bienfaits d’un tel accompagnement. « C'est un moment où il vient avec plein de nœuds et on en discute ensemble. Et puis il repart et tous ses nœuds sont défaits. Donc ça lui fait du bien et il se sent beaucoup plus allégé. »

Selon elle, ce combattant peut ainsi décharger ses craintes, la pression en compétition, les problèmes de concentration et de fatigue. Il s’agit notamment de travailler sur la régulation de ses émotions.

« Ce n'est pas parce qu'ils viennent voir un psychologue que ça veut dire qu'ils ne vont pas bien, ou qu'ils ont un problème. Et ce n’est pas non plus parce qu'ils viennent voir une ou deux fois un psychologue qu'ils sont obligés de faire un suivi à vie et que ça ne va pas pouvoir s'arrêter. »

Mathieu Bastareaud avec le XV de France lors d'un match des VI Nations contre l'Angleterre

(2019 Getty Images)

Meriem Salmi : « Il faut être formé pour entrer dans la tête de quelqu'un »

Selon Meriem Salmi, même si on a l’impression de connaître son athlète, les spécificités du sport de haut niveau nécessitent d’avoir des spécialistes de la santé mentale et de la psychologie clinique dans ce domaine. Elle qui est dans la tête des athlètes de haut niveau depuis 30 ans, elle sait qu’il faut être formé pour ça.

« Je ne connais rien d'autre, je n'ai aucune autre compétence : je ne sais pas coacher, je ne suis pas médecin, [ni] kiné. Mon métier est déjà assez compliqué », explique-t-elle.

« Les représentations liées au métier de psychologue ont créé des flous et entraîné des dysfonctionnements. Mon problème n’a jamais été que l’on ne reconnaisse pas mon métier, mais plutôt les conséquences que cela engendre. Ne pas avoir accompagné psychologiquement ces sportifs de haut niveau a fait que nous sommes passés à côté de beaucoup de souffrances, ce dont témoignent aujourd’hui de nombreux athlètes. »

Il s’agit ainsi de détecter les troubles psychopathologiques et de définir des stratégies de prévention et de soins pour former. « À un moment donné, j'avais plus de 60 % des athlètes qui étaient orientés par des entraîneurs. […] Donc on est capable de faire ça. Et évidemment, ces gens ont permis de préserver la santé mentale de ces sportifs. »

Pour Meriem Salmi, on peut facilement passer à côté d’un problème de santé mentale, car il n'est pas forcément visible « Un sportif de haut niveau qui va très mal ne va pas s'allonger sur un canapé et pleurer toute la journée : il va aller à l'entraînement et va même être performant. »

C’est un public particulier avec des capacités hors normes sur le plan physique mais aussi psychologique. Il est donc plus difficile de détecter ces troubles psychopathologiques.

Aujourd’hui encore, elle tient à ne pas accompagner uniquement des sportifs. « Tous les gens sont intéressants et j'ai besoin d'être alimentée par plein de [personnes] différentes, de milieux [divers]. C'est fondamental pour moi et ça me permet aussi de ne pas être complètement absorbée, [car] plus on devient expert, plus on devient incompétent parce qu'on est limité à un seul domaine d’expertise. »

Enfin, Meriem Salmi évoque un footballeur qui l’a consultée récemment. « C'est la première fois de ma carrière : un athlète qui va bien, qui vient me voir. Je n'ai jamais eu ça. Tous les gens qui viennent me voir sont des gens qui ne vont pas bien. Donc je me dis 'Waouh ! Là quand même...' Je m'interroge... Surtout dans le milieu du football, où c'est vraiment à l'ancienne et qu'il faut vraiment faire avancer les choses. »

Pour elle, ce sont des petits signaux positifs, même si elle considère qu'après 30 ans de carrière c’est trop long...

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