Ysaora Thibus sur la santé mentale : « L’athlète est souvent vu comme une personne infaillible, mais ce n’est pas le cas »

Ysaora Thibus est l'une des tireuses les plus attendues des Jeux européens 2023. Numéro 1 mondiale en fleuret et championne du monde en titre, la Française est dans la forme de sa vie. Mais après les JO de Tokyo 2020, en 2021, elle a pourtant connu la dépression. Pour Olympics.com, elle est revenue sur cette période délicate et sur les clés qui lui ont permis de la traverser.

5 minPar Nicolas Kohlhuber et Guillaume Depasse
Ysaora Thibus aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020
(2021 Getty Images)

Trois podiums en Coupe du monde et deux médailles en Grand Prix : l’année 2023 est la plus fructueuse de la carrière d’Ysaora Thibus. Une telle régularité lui permet de se présenter aux Jeux européens 2023, où les Championnats d'Europe d'escrime par équipes ont lieu (21 juin - 2 juillet), en tant que numéro 1 mondiale.

Mais avant de vivre une saison aussi brillante, la fleuretiste française a traversé une période bien plus compliquée à la fin de l’année 2021. Après les Jeux Olympiques de Tokyo 2020, elle a été victime d’une dépression.

« On a remporté la médaille d'argent par équipes, mais je n'ai pas encore remporté mon objectif individuel : je n'ai pas décroché de médaille. J'étais vraiment très déçue et j'ai passé une phase un peu compliquée au niveau mental où j'ai eu, en posant un peu les mots sur ce qui s'est passé, une dépression », confiait-elle lors d'une interview exclusive avant d'attaquer la saison, en février dernier à l'INSEP.

« J'ai eu du mal à retrouver la motivation pour revenir à l'entraînement. C'étaient mes troisièmes Jeux Olympiques et j'avais eu des phases un peu comme ça avant, où le résultat pesait énormément et où j'avais eu du mal à rebondir rapidement. Mais cette fois-ci, cela m'a vraiment atteint. »

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Retrouver les émotions de l'enfance pour être un adulte plus performant

La déception de sa performance individuelle a été accompagnée de doutes. Quand les résultats espérés ne sont pas là, c’est sa présence même dans son sport qui était accompagnée d’interrogations. Ysaora Thibus avait pourtant déjà une vingtaine de médailles internationales à son palmarès, mais pas celle qui était si chère à ses yeux… Plus qu'une médaille, c'est sa boussole qui était perdue. Sans elle, les raisons de continuer l'escrime n'étaient plus aussi évidentes.

Elle ne cache pas que plusieurs mois lui ont été nécessaires pour trouver les réponses à ses remises en question et reprendre la bonne direction.

Grâce à un accompagnement et à une introspection, elle a découvert que le plaisir ne résidait pas dans les résultats mais dans les émotions. Revenir à l'essentiel est la clé pour elle et surtout un moyen d'échapper à la pression qui accompagne ses sorties au plus haut niveau.

« La pression est un peu inévitable mais en fait, on doit faire le tri de ces choses là. Il y a des choses qui sont autour, qui nous appartiennent pas nécessairement quand on arrive sur une compétition et retrouver le sens de pourquoi on fait ça [est important]. Cette passion de l'enfant qui a commencé à faire le sport tout jeune, juste pour s’amuser », analyse celle qui a préféré l'escrime à la danse en étant plus jeune.

La Guadeloupéenne avait été séduite par le sentiment de liberté que lui offrait le fleuret, et c'est à nouveau ce après quoi elle court.

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Parler de sa dépression pour aider d'autres à athlètes à aller mieux

Parler de sa dépression n’est pas un tabou pour Ysaora Thibus, c’est même un besoin. Alors que la santé mentale des athlètes est encore trop souvent négligée, l'escrimeuse de 31 ans a décidé de prendre la parole pour se sentir mieux et casser certains stéréotypes.

« Le fait d'avoir parlé avec des gens autour de moi, d'avoir été bien suivie par une psychologue, d'avoir pu parler de sentimental... Je pense que ça, c'était aussi un objectif important pour moi. Ouvrir le sujet sur cette problématique dans le sport, parce que ce n'est pas quelque chose dont on parle fréquemment. »

« L'athlète est souvent vu comme une personne infaillible, qui doit traverser toutes ces épreuves sans rien dire, sans se plaindre. Et ce n'est pas le cas parce que j'en ai parlé aussi avec d'autres athlètes et ça les touche aussi. Donc j'avais envie qu'on puisse en parler et pourquoi pas mettre en place des choses pour aider d'autres athlètes. »

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Un bien-être mental nécessaire pour appréhender Paris 2024 de la bonne manière

L’aspect mental est d’autant plus important pour Ysaora Thibus qu’elle vise un quota pour participer aux Jeux Olympiques de Paris 2024.

La période de qualification a commencé le 3 avril 2023 et chacune de ses sorties internationales comptera dans cette optique jusqu’au 1er avril prochain. Au bout, il y a la possibilité de participer aux JO à domicile, quelque chose qui est loin d’être anodin.

La championne du monde en titre de fleuret femmes en a conscience et sait qu’évoluer devant son public est habituellement source d’un stress supplémentaire. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle.

« Je pense que je suis une personne qui fonctionne avec ses différentes émotions et je travaille dessus. Arriver à faire le tri, évacuer le stress quand il arrive... Mais ce qui est marrant, c'est que lorsque je ne suis pas du tout stressée, ce n'est pas nécessairement un bon signe non plus. Je pense que c'est le fait que je m'investisse énormément dans ça et que j'ai à cœur de faire les choses bien. »

Stress ou pas, les résultats actuels d’Ysaora Thibus prouvent que si la tête va, tout va.

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