Ysaora Thibus : « Des actions concrètes pour faire avancer l’égalité hommes-femmes »
À l’occasion de la Journée internationale des femmes du 8 mars 2023, Olympics.com a rencontré l’escrimeuse Ysaora Thibus, une championne du monde engagée dans la lutte pour l’égalité hommes-femmes. Créatrice du média Essentielle Stories, qui donne la parole aux sportives ayant connu des difficultés dans leur carrière pour « montrer les femmes qui se cachent derrière les résultats », la Française veut faire bouger les lignes du sport féminin.
Lorsqu’Ysaora Thibus a décroché le titre de championne du monde de fleuret 2022, elle a fait la une du célèbre journal français l’Équipe.
« Mais dans les médias traditionnels, j’ai constaté qu’il y avait peu de représentation et de visibilité pour le sport féminin », remarque la tireuse de 31 ans.
Alors pour toutes celles qui n’ont pas la chance de recevoir la même attention médiatique, elle a créé Essentielle Stories, un média qui « met en lumière les histoires des sportives de haut niveau ».
Pour la Journée internationale des femmes 2023, dont l’une des thématiques est DigitALL : Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes, quoi de plus pertinent que de raconter l’histoire d’une Française qui se bat pour l’égalité hommes-femmes en utilisant le digital pour agir.
Olympics.com s’est rendu à l’INSEP, où s’entraîne la championne française, pour en savoir plus sur son projet et ce qui l’a motivée à créer cette plateforme.
Ysaora Thibus : « Parler des sujets spécifiques aux femmes »
« Si ça prend du temps dans d'autres sphères médiatiques, pourquoi ne pas utiliser les réseaux sociaux pour parler directement aux personnes intéressées par le sport féminin ? », s’interroge-t-elle.
Ysaora Thibus a rapidement répondu à cette question en créant Essentielle Stories sur Instagram en 2020. Pendant les périodes de restrictions liées au Covid, elle publiait des discussions vidéos avec des athlètes comme Estelle Mossely sur l'impact de la maternité pour une athlète de haut niveau ou avec Johanne Defay sur les attentes marketing.
Elle a ensuite pu échanger avec la superstar aux sept titres olympiques Allyson Felix à propos de l’échec dans une carrière de haut niveau ainsi que la maternité, puis raconté les histoires de Rouguy Diallo ou encore Marie Patouillet dans un format visuel et original.
« Il y a beaucoup de choses derrière le simple fait de gagner une médaille et j'avais envie de parler de ces échecs. Mais aussi des problèmes autour de la santé mentale ainsi que les sujets spécifiques aux femmes comme la maternité, les règles et la performance », explique-t-elle.
Élodie Clouvel, vice-championne olympique de pentathlon moderne à Rio 2016, participait à une séance photo pour Essentielles Stories lorsqu’Olympics.com s’est rendue à l’INSEP. Elle est convaincue que ce genre d’initiatives permet de faire avancer la situation.
« C'est vrai qu'aujourd'hui ça évolue beaucoup, mais on a encore du chemin à parcourir. À son niveau, [Ysaora] fait avancer les choses et je trouve ça génial. »
Agbégnénou, Williams, Felix ou Mossely : la maternité, un événement désormais fréquent mais toujours compliqué
Ces dernières années, de plus en plus d’athlètes ont pris la décision de suspendre un temps leur carrière de sportive de haut niveau pour donner naissance à un enfant, comme Clarisse Agbégnénou, Serena Williams, Estelle Mossely ou encore Allyson Felix. Rares auparavant, ces événements sont désormais plus fréquents, et Ysaora Thibus est certaine que si toutes les parties prenantes s’impliquent pour faciliter la décision et le retour au plus haut niveau, tout le monde serait gagnant.
« Pas mal de choses ont été faites ces dernières années et on voit bien qu'il y aeu des dysfonctionnements. Une athlète féminine se pose vraiment la question de faire une pause dans sa carrière pour avoir un enfant. Et si elle en a la possibilité, [comment] revenir au haut niveau. Ce n’est pas une décision facile. Et ce serait beaucoup plus simple si les clubs, les entraîneurs et les fédérations étaient sensibilisés et pouvaient mettre en place un environnement plus favorable pour que l'athlète puisse prendre cette décision dans les meilleures conditions. »
En 2021, une convention collective concernant le sport féminin a été signée pour les handballeuses, afin de garantir une meilleure protection sur les questions de salaire et de maternité. Cette même année, la FIFA a également introduit un congé maternité avec des protections sociales. La Fédérération anglaise de rugby a quant à elle accordé à leurs athlètes un congé maternité de 26 semaines, avec un salaire complet alors que la Fédération internationale de bobsleigh et skeleton permet aux nouvelles mamans de conserver leur place en Coupe du monde sans besoin de se qualifier de nouveau, tout comme la WTA (Association des joueuses de tennis) qui en plus d'un classement protégé, leur accorde un statut de tête de série conservé après une pause grossesse.
Mais si la situation évolue, ces dispositions sont encore rares dans le sport professionnel.
« Le fait que les politiques s'emparent aussi de ce sujet, que ce ne soit plus un tabou et qu'il y ait des choses mises en place, ça facilite le retour à la performance et c'est gagnant/gagnant pour tout le monde. »
Thibus : « Mettre en lumière d’autres athlètes féminines »
En couple avec l’escrimeur américain Race Imboden, double médaillé de bronze olympique, Thibus confie que l’égalité hommes-femmes et l’inclusion au sens large sont des « discussions qui animent notre relation » et qu’ils essaient « de faire avancer les choses ».
Embrace Equity (Adoptez l’équité, en français) est d’ailleurs l’autre thématique de la Journée internationale des femmes 2023 et Thibus estime que l’égalité hommes-femmes « concerne tout le monde et que les hommes et les femmes doivent avancer ensemble ».
À Paris 2024, la parité hommes-femmes sera respectée du côté des athlètes, une première dans l’histoire des Jeux. « C’est une belle évolution », assure-t-elle. « Il y a aussi des progrès à faire avec toutes les personnes qui sont impliquées dans le sport, notamment le staff. »
« Avoir des représentantes femmes qui puissent parler des problématiques d'athlètes féminines. Je pense aussi à Laura Georges à la Fédération française de football, qui travaille sur la parité pour les arbitres femmes dans le foot. Tous ces éléments font aussi partie du sport et je pense qu'ils peuvent encore évoluer. »
Pour Thibus, les qualifications pour les Jeux commencent le 21 avril lors de la Coupe du monde de Poznan, où les premiers points comptant pour le classement olympique seront délivrés, avec en ligne de mire les Mondiaux de Milan, cet été, où elle défendra son titre acquis l’année dernière.
Mais en parallèle, comptez sur elle pour mener l’autre combat qui lui est cher afin que le sport féminin obtienne toute la reconnaissance qu’il mérite avec, comme dans sa carrière sportive, des objectifs tangibles.
« C’est la première chose que j’ai voulu mettre en place : une action concrète. Humblement, à mon échelle pour mettre en lumière d’autres athlètes féminines que je trouve inspirantes et parler d’autres choses, d’autres sujets dont je n’avais pas nécessairement entendu parler dans les médias. »