Romain Heinrich, pilote de bobsleigh aux commandes de sa destinée
En lice en Coupe du monde de bobsleigh à Winterberg (Allemagne), les 11 et 12 décembre, le bobbeur français Romain Heinrich a discuté avec Olympics.com et se dit heureux d’être devenu pilote après un court passé de pousseur. Il définit les différences fondamentales entre les deux postes de la discipline et explique pourquoi il se plaît aux manettes.
Romain Heinrich est désormais aux commandes de sa carrière.
Arrivé « sur le tard » dans le bobsleigh alors qu’il avait déjà 21 ans, le Français a déjà disputé deux éditions des Jeux Olympiques en changeant de rôle entre les deux. Il était en effet pousseur à Sotchi 2014 avant de devenir pilote pour PyeongChang 2018.
C’est toujours en tant que pilote qu’il va se présenter à Winterberg, en Allemagne, les 11 et 12 décembre, pour la Coupe du monde, et aux Jeux Olympiques de Beijing 2022 dans l’espoir de s’immiscer parmi les meilleurs bobbeurs de la planète. Mais pousseur ou pilote, Heinrich – qui aura 32 ans fin janvier – est tout d’abord un passionné acharné de son sport, comme Olympics.com a pu le constater en discutant avec lui lors d’un entretien exclusif.
Des débuts en terre inconnue
« Je suis tout de suite tombé amoureux des sensations », lance-t-il dans notre interview alors qu’il prend son petit-déjeuner avec sa petite amie, la Suissesse Nadja Pasternack, elle aussi bobbeuse. « Le bob, c'est vraiment un sport particulier qui est complet. C'est ce qui me plaît. »
Débarqué de l’athlétisme et en particulier du lancer du poids, c’est en 2011 que la Fédération l’identifie comme futur talent du bobsleigh et lui propose de s’essayer à cette discipline qui lui est alors inconnue. « J'avais une base de force qui était déjà très bien travaillée », explique-t-il. « Il fallait que je travaille un peu plus ma base de sprint et de vitesse. Mais comme j'avais un entraînement athlétique qui était déjà très spécifique, une reconversion était possible dans ce sport. »
Quelques années plus tard, après avoir fini 18e au bob à 2 et 15e au bob à 4 aux Jeux de Sotchi 2014 en tant que pousseur, et sans doute pour rassasier sa faim de devenir un bobbeur complet, Heinrich réalise une nouvelle reconversion, cette fois au sein même de son sport.
En effet, au lendemain des JO, il franchit un cap et s’essaie au pilotage. Si pousseurs et pilotes forment le même équipage et se retrouvent dans la même embarcation, les deux postes présentent de fortes distinctions, tant au niveau de la préparation physique que des qualités requises lors des courses.
Une préparation aux antipodes
« L’été, on va s'entraîner de la même manière », précise-t-il à propos de la préparation des pousseurs et des pilotes. « On va faire à peu près 15 heures de préparation physique par semaine, essentiellement de la musculation, du sprint, du travail de pliométrie, de bondissement. Tout ça pour développer l'explosivité. »
« L’hiver, les pousseurs vont maintenir un travail très foncier alors que nous, les pilotes, on fait du développement des réflexes, de la mémoire, des capacités cognitives, de tout ce qui est vision périphérique, prise de décisions, réflexes », poursuit-il. « On va aller marcher dans la piste de bob et regarder les différents virages, mémoriser les trajectoires qu'on va vouloir prendre pendant la descente. »
Et c’est exactement ce qu’il est allé faire au mois d’octobre, sur la piste de Yankin qui se trouve « dans une catégorie à elle toute seule », selon lui, et qui va accueillir les épreuves des JO de Beijing 2022. « J'ai pris beaucoup de notes », explique-t-il à propos du site de bobsleigh situé à environ deux heures de Pékin qu’il a, par ailleurs, trouvé « absolument exceptionnel ». « Pour chaque virage, j'ai fait un maximum de descriptions sur mes sensations, les erreurs que j'ai pu commettre et qu'il ne faut plus que je commette. Ensuite, il y a des sensations que j'ai essayé d'imprimer de manière cognitive. »
Des sensations dont il va devoir se souvenir plusieurs mois plus tard, chose qu’il estime assez normale dans son sport. « Ce n'est pas très gênant », rassure-t-il. « On se souvient bien trois mois après. »
Pilote un jour, pilote toujours
Après une préparation aussi spécifique, Heinrich avoue qu’il ne regrette pas une seconde son rôle de pousseur. Il dit même n’être prêt à lâcher pour rien au monde les manettes du pilote.
« Quand on a goûté aux joies du pilotage, c'est difficile de redonner la responsabilité à quelqu'un d'autre », argumente-t-il. « Je l’ai fait ponctuellement de repasser pousseur, mais je me suis rendu compte que dans la descente, j’étais plus en train de me demander si le pilote prenait les bonnes trajectoires plutôt que de bien faire le rôle de pousseur. Aujourd'hui, je suis à l'avant du bob et j'y reste. »
Au-delà des responsabilités, Heinrich raconte aussi qu’un pilote a un rôle extra-sportif encore plus poussé. « Le pilote est vraiment à l'interface avec la Fédération pour monter en place le projet car une stratégie de saison dépend aussi du ressenti et des besoins du pilote. C'est aussi lui qui connaît et qui règle son matériel parce que les sensations de pilotage dépendent vraiment des choix effectués sur le matériel. »
De grandes ambitions pour le bob français à Pékin
En bob à 2, l’épreuve lors de laquelle Heinrich devrait être logiquement accompagné de Dorian Hauterville, avec lequel il a remporté la médaille de bronze aux Championnats d’Europe 2019, les instances françaises ont annoncé un objectif plutôt clair : Top 5, ambition médaille.
Si Heinrich sait que la première place est vraisemblablement vouée à l’Allemand Francesco Friedrich, double champion olympique en titre et multiple champion du monde, il estime que la France a la possibilité d’aller accrocher l’une des deux autres places du podium à condition que les Tricolores se mettent en confiance pendant la saison de Coupe du monde avant les Jeux.
« J'ai toujours pensé que la régularité amenait la performance », dit-il. « Donc si on est capable de bien se placer tout au long de l'hiver, ça veut dire que le jour-J, on peut se permettre l'exploit. En revanche, si on veut être sur le podium, il faudra qu'on réussisse absolument tout et que toutes les planètes s'alignent pour nous dans le sens où on n'a pas la meilleure poussée du circuit, on n'a pas forcément le meilleur bob du circuit, ni le meilleur pilotage du circuit. Mais par contre, si on est capable d’assurer une performance très solide sur les trois paramètres, c'est possible que ça passe. En tout cas, on y croit. »
Il peut effectivement y croire puisque depuis le début de la saison, il a connu une belle progression sur l’étape d’Innsbruck (Autriche) avec notamment un Top 10 en bob à 4 et un record… de poussée malgré l’absence de son pousseur attitré, Hauterville, blessé. À Altenberg, le week-end suivant, ils n'ont pu obtenir que la 17e place, mais ils auront l'occasion de viser une nouvelle percée dans le classement lors de la Coupe du monde de Winterberg, toujours en Allemagne, les 11 et 12 décembre pour deux épreuves de bob à 4.
La saison olympique de l’équipe de France est donc entre de bonnes mains.