Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes : la judokate Léa Buet parle pour « mettre des mots sur les maux »
Le 25 novembre, c’est la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. À cette occasion, la judokate Léa Buet s’est confiée à Olympics.com à propos du viol* qu’elle a subi pendant son adolescence en France. Quelques années plus tard, elle s’est expatriée au Sénégal où elle a trouvé une terre d’accueil pour se reconstruire. Découvrez son témoignage poignant qui souligne l’importance de parler des abus sexuels dont les femmes sont trop souvent victimes.
À l’occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le 25 novembre, Olympics.com a interviewé la judokate franco-sénégalaise Léa Buet (-52 kg) pour lui donner la parole sur ce problème sociétal qu’elle a vécu de plein fouet.
Selon elle, il y a beaucoup trop de femmes qui se font violer : « C'est horrible quand on voit le nombre de personnes qui sont venues me dire 'moi, je l'ai vécu' ! Et ça me fait même peur de me dire qu'il y [en] a autant… »
Découvrez son histoire à la fois touchante et inspirante.
Comment Léa Buet a brisé son silence
Née en Bretagne, Léa Buet a commencé le judo à l’âge de 7 ans, est entrée en sport-études à 13 ans, à Rennes, avant de devenir Championne de France à 15 ans. À cette époque, elle côtoyait Teddy Riner, Ugo Legrand et Automne Pavia sur les tatamis. Mais cette progression fulgurante est stoppée nette après les violences sexuelles* qu'elle subit l’été qui a suivi son titre national : elle se blesse à répétition (ligament croisé, épaule), alors qu’elle n’avait jamais eu de soucis physiques auparavant. Elle découvrira plus tard que son corps s’exprimait à sa place.
« Et puis à mes 21 ans j'ai explosé : j'ai fait une tentative de suicide et je me suis retrouvée à l'hôpital psychiatrique car je ne voulais pas parler », confie-t-elle avec le recul. « Parce que je n'ai pas tenté d'essayer, j'ai vraiment tenté de réussir... [Rires] »
Léa Buet explique qu’il y a plusieurs phases : parfois ce sont des appels à l'aide et, dans d’autres cas, il s’agit de vraies volontés d’en finir.
Au bout de quinze jours d’hospitalisation, elle a fini par briser son silence...
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Léa Buet a fui son passé douloureux en trouvant refuge au Sénégal
Léa Buet a voulu revenir sur les tatamis par la suite, mais des bruits ont couru sur ce qui s'était passé.
« Je n'avais pas la capacité à l'époque de faire face au regard des gens et d'assumer ce que j'avais vécu. J'ai réussi à tenir un an en France. Et puis, j'ai eu besoin d'avoir un nouvel espace. »
Son meilleur ami d'origine franco-sénégalaise lui a alors rappelé qu’elle avait toujours été attirée par le continent africain, et plus particulièrement l'Afrique de l'Ouest, notamment pour la musique. C’est ainsi qu’elle a décidé de partir au Sénégal.
Elle raconte : « Je devais faire six mois/un an, mais finalement je suis partie avec mon kimono. Comme les musiciens qui partent avec leurs instruments de musique, nous on part avec notre kim' [Rires]. Je ne le disais pas à l'époque, mais je suis plus partie pour le monde de la musique que pour le monde du sport : j'organisais des évènements électro. »
Tombée amoureuse du pays de la Teranga (hospitalité sénégalaise, en wolof), Léa Buet a commencé à apprendre la langue et s’est décidée à rester sur sa terre d’accueil. À tel point qu’elle a obtenu sa nouvelle nationalité en 2015 pour reprendre sa carrière en défendant les couleurs du Sénégal, corps et âme.
Elle a ensuite fait une pause sportive pendant cinq ans pour se consacrer exclusivement à son association, Adjimé, qui vise à démocratiser et professionnaliser les arts martiaux au Sénégal. Outre la construction de cinq dojos, ce projet a notamment permis de donner du matériel sportif neuf (trois containers d’équipements pour huit sports différents) et d’organiser des formations ainsi que des stages internationaux pour créer des ponts entre les athlètes africains.
Léa Buet : « Trouver le courage de sortir de cette spirale infernale qu’est l'autodestruction »
Selon Léa Buet, on ne parle pas assez de l’impact d’un viol chez les personnes qui ont subi un tel traumatisme, hommes en femmes confondus. Ainsi, elle explique que les tentatives de suicide concernent « près de 90 % des victimes d’abus sexuels ».
« C'est [extrêmement] important de pouvoir canaliser les colères et les violences qu'on a en nous. »
Aujourd’hui, elle souligne l’importance de pouvoir en parler librement pour permettre aussi à d'autres personnes de s'en sortir : « Ça m'a beaucoup manqué d'avoir des personnes sur lesquelles m'appuyer, pour trouver le courage de sortir de cette spirale infernale qu’est l'autodestruction. »
Pour Léa Buet, ça a d’abord été une autodestruction par le sport à cause de son sur-entraînement. Elle fait d’ailleurs le lien aujourd’hui avec toutes ses blessures de l’époque, et notamment cinq opérations en l'espace de six ans !
La judokate sénégalaise ajoute que le viol peut aussi entraîner des dépendances : « Quand j'ai arrêté le sport, je suis tombée dans les drogues, assez longuement. Et ma volonté de reprendre le sport, c'était aussi de me soigner de tout ça. Quand je dis drogue, je ne dis pas que la fumette […] : tout ce qui peut vous envoyer très loin pour éviter de penser à vous », avoue-t-elle avec le sourire.
« Je l'assume aujourd'hui, parce que je trouve qu'on n'en parle pas assez, comme si c'était quelque chose qui ne nous concernait pas. Alors que j'ai vu tellement de gens touchés, de différents milieux sociaux... »
À 34 ans, Léa Buet ne se cache plus et va enregistrer prochainement un album de rap pour « mettre des mots sur les maux », confie-t-elle en riant.
Le retour du boomerang : Léa Buet a repris sa carrière pour Paris 2024
Il y a deux ans, Léa Buet a vécu une rencontre directement liée à son viol*, ce qui lui a fait « un effet boomerang assez violent ».
C’est alors que le judo l’a rappelée à l’ordre pour lui faire prendre conscience d’une « énorme frustration » : de ne jamais être allée au bout de son projet sportif. Elle décide donc de reprendre sa carrière, pour elle cette fois-ci, et de mettre de côté tout ce qu’elle faisait pour les autres.
« Ce n'est pas évident de faire une introspection et un gros travail psychologique », précise-t-elle en indiquant avoir été suivie par une psychologue.
« J'ai investi sur ma carrière, et surtout sur moi, en me disant que j'allais […] travailler de mieux en mieux avec moi-même et travailler sur mon passé qui était un peu là comme un vortex. »
En parallèle, pour continuer à évoluer au niveau sportif, Léa Buet s’est entourée d’une équipe de choc : Karim Seck (directeur technique national du judo au Sénégal), Loïc Korval (entraîneur de l'Académie de Dakar en charge de la préparation des Jeux Olympiques de la Jeunesse 2026 et ancien membre de l’équipe de France de judo) et Mickaël Borot, préparateur mental après sa carrière internationale en taekwondo.
Depuis le printemps 2023, Léa Buet a pu enchaîner une tournée sur le continent africain où elle a notamment remporté deux titres : à l'Open de Tunis en mars et à celui de Niamey en juin. L’occasion pour elle de chanter l’hymne national du Sénégal avec fierté.
Avec ces résultats qui la portent actuellement à la 46e place au classement olympique, elle espère gagner de précieux points après sa médaille de bronze à l’Open de Hong Kong ce samedi 25 novembre en vue d’une qualification pour les Jeux de Paris 2024.
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Léa Buet : « Il est temps d'arrêter de se taire »
Dans la continuité de sa préparation olympique, Léa Buet a récemment pris une licence de judo au club de Château-Gontier-sur-Mayenne, où elle est entraînée par Rodrigue Chenet, qui accompagne aussi la Camerounaise Vanessa Mballa et l'Ivoirienne Zouleiha Dabonné.
Dans ce contexte, elle a parlé ouvertement de son viol* dans un article publié par Ouest-France en octobre 2023. Un mois plus tard, elle revient sur son ressenti.
« J'ai attendu longtemps, car au début je ne voyais pas comment le [dire]. »
Aujourd’hui, Léa Buet avoue ne plus avoir envie de mentir sur son parcours et les raisons qui l’ont ramenée en Bretagne : « À un moment donné, on est obligé d'assumer. Beaucoup de gens me disaient 'Il ne faut pas parler'. Je me suis dit que ce n'est pas à moi d'avoir honte. Car ce que j'ai vécu, c'est une société malade qui génère ça. Il est temps d'arrêter de se taire. Et si les gens sont mal à l'aise avec ça, c'est peut-être qu'ils ont un travail à faire avec eux-mêmes... »
« Je pense que ça fait partie d'une forme de reconstruction, car c'est sorti comme si j'en avais besoin. Et j'ai eu un soulagement presque instantané, comme si j'avais lâché un poids énorme. Oui, je me suis libérée de quelque chose. »
« Et je me suis rendu compte qu'en plus ça faisait du bien aux autres : j'ai eu beaucoup de témoignages, beaucoup d'échanges depuis – et pas que des victimes, des parents aussi, qui parfois sont perdus et ne savent pas comment réagir. »
« Il y a peu de chances que je sois championne olympique, ça c'est certain. Mais si au moins je peux permettre par ce rêve olympique d'aider des gens, je pense que ce sera pour moi la plus grande des réussites. »
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*Ndlr : Aucune poursuite ou procès judiciaire n'a eu lieu à ce jour.