Jennifer Jones, meilleure curleuse canadienne : « Ce n’est pas une question de reconnaissance »
Lors d’un entretien exclusif avec Olympics.com, la championne olympique de Sotchi 2014, qui représente le Canada à Beijing 2022, s’est exprimée à propos de son statut de meilleure joueuse de curling canadienne de tous les temps, ainsi que du soutien de sa famille dans sa quête de l’or olympique.
Jennifer Jones a remporté tous les titres possibles et imaginables en curling femmes.
La championne olympique de Sotchi 2014 possède également deux titres mondiaux, six médailles d'or du tournoi national canadien des Scotties Hearts, deux médailles d'or des essais olympiques canadiens et plusieurs victoires de Grand Slam de curling.
Et elle s'apprête à tenter de remporter un nouveau titre olympique, dès jeudi 10 février lors du début du tournoi féminin de curling aux Jeux Olympiques de Beijing 2022.
En 2019, la native de Manitoban a été élue par de nombreuses chaines de télévisions, journalistes et anciens camarades de curling, meilleure joueuse de curling de tous les temps. Mais lors d’une entretien exclusif avec Olympics.com en amont des Jeux Olympiques de Beijing 2022, Jones a avoué que ce n’est pas la chose principale dont elle souhaiterait que les gens se souviennent lorsqu’elle décidera d’arrêter sa carrière sportive.
« Ce n’est pas une question de reconnaissance, de prix ou de plus haute marche du podium. C’est l’amour du jeu », expliquait Jones.
« Je veux qu’on se souvienne de moi comme d'une vraie passionnée de mon sport, qui a aimé jouer et qui a essayé de repousser les limites de ce qu’était le curling chez les femmes. »
« Si je pouvais avoir ne serait-ce qu’un petit impact sur l’avenir du curling au Canada, ou même dans le monde, cela vaudrait bien plus pour moi [que le statut de meilleure joueuse canadienne de tous les temps]. »
Cela ne veut pour autant pas dire qu’elle n’apprécie pas cette reconnaissance.
« C’est probablement l’une des récompenses les plus chargées en émotions que j’ai reçue, principalement parce que ce sont mes paires qui m’ont élue », avouait-elle.
« Je me souviens qu’une de mes filles m’a regardée et m’a dit, "ils ont dit que tu étais meilleure que n’importe qui d’autre", elle était tellement heureuse. C'était vraiment une belle leçon d'humilité pour moi d'être dans le même groupe que toutes ces personnes et ensuite d'être élue meilleure joueuse, c'est un événement dont je me souviendrai toute ma vie. »
Voir le calendrier détaillé des matchs de curling femmes à Beijing 2022
Se préparer pour ses deuxièmes Jeux Olympiques d’hiver
Beijing 2022 seront les deuxièmes Jeux Olympiques de Jones. À Sotchi 2014, elle était la capitaine de l’équipe qui a remporté l’or, sans concéder une seule partie en chemin.
Ce triomphe est pour elle le plus beau titre de sa carrière.
« C’est la crème de la crème, celle qui est la plus difficile à remporter, surtout pour le Canada », poursuivait-elle. À l’inverse de beaucoup de nations, le Canada détermine quelles équipes se rendront aux JO et aux Championnats du monde via des compétitions de sélections.
« Nous avons essayé tant de fois d’aller aux Jeux Olympiques, et échoué aux essais et n'avons pas été sélectionnées pour représenter le Canada aux Jeux. C'est difficile d’être sélectionné. »
« Une fois qu’on a réussi à se rendre aux JO, on voulait tellement bien faire et aller jusqu’au bout. Nous avons joué à notre meilleur niveau durant ces Jeux. Nous avons déjà vécu ce moment incroyable de monter sur la plus haute marche du podium, devant nos familles et voir le drapeau canadien se dresser, et j’espère que nous aurons la chance de le revivre. »
Parmi tous les membres de l'équipe Jones, composée de la vice-skip Kaitlyn Lawes, la seconde Jocelyn Peterman, la lead Dawn McEwen, et la remplaçante Lisa Weagle, Beijing 2022 marquera la 10e apparition olympique. Seule Peterman fera ses débuts olympiques dans la capitale chinoise. Jones, Lawes et McEwen faisaient partie de l’équipe victorieuse à Sotchi, Lawes a également remporté l’or en double mixte à PyeongChang 2018 et Weagle était membre de l’équipe femmes qui a représenté le Canada en République de Corée.
« Il n’y a pas besoin d’avoir de l’expérience pour gagner, mais cela ne fait pas de mal non plus parce qu’on ne sait jamais comment on va se sentir et à quoi le tournoi va ressembler », expliquait Jones.
« Nous avons l’avantage d’avoir tous les cas de figure, avec Jocelyn qui n’a jamais été aux Jeux et qui a donc un œil neuf sur l’expérience olympique avec toute l’énergie positive et l’engouement qui va avec. Et nous avons nos expériences passées des grosses rencontres et des Jeux Olympiques. Lisa a également une autre perspective de l’événement avec son expérience olympique. Donc nous essayons de réunir toutes ces forces pour créer un plan d’attaque incroyable pour Pékin, où nous allons mettre à profit toutes nos expériences et notre enthousiasme. »
Le soutien de sa famille
Comme la plupart des curleurs, Jones n’est pas sportive de haut niveau à temps plein. Elle partage sa vie sportive avec une carrière d’avocate et de conférencière en motivation. Elle a également deux enfants qui auront six et dix ans en 2022. Il lui faut donc jongler entre sa famille, son travail et son sport.
« Je ne sais même pas si c’est possible de trouver un équilibre », répondais Jones, très pragmatique. « J’ai l’impression que les gens essaient constamment d’atteindre un équilibre. »
« Mais pour moi, j’essaie juste de vivre le moment présent dans chaque chose que je fais. Quand je m’entraîne sur la glace, je me donne à 100 %, je m’entraîne et je joue au curling, sans me sentir coupable de me donner à fond. Et quand je suis avec ma famille, c’est pareil, j’essaie de leur donner 100 % de mon attention et de mon temps. »
Jones est mariée avec un autre curleur olympien, triple champion du monde, Brent Laing. Ils sont donc régulièrement en déplacement pour des compétitions.
« Ma mère est incroyable », avouait Jones. « Elle s’occupe de mes enfants quand mon mari et moi sommes en compétitions. Sans son soutien, nous ne pourrions pas faire cela. »
Jones ajoutait : « Quand je regarde mes enfants, je ne me sens pas coupable parce qu’ils pensent véritablement que rien n’est impossible. Si on travaille dur, nos rêves peuvent devenir réalité. Et s’ils pensent cela, c’est parce qu’ils nous ont vu, mon mari et moi, travailler dur et avoir la chance de réaliser nos rêves. Mon mari était à PyeongChang, j’étais à Sotchi, nous serons tous les deux à Pékin. »
« Je pense qu’ils croient qu’ils peuvent simplement s’inscrire pour les Jeux Olympiques », riait Jones. « Donc je pense que ce n’est pas une question d’équilibre, mais plutôt de vivre l’instant présent et ne pas se sentir coupable des choix que l’on a fait. »
Après la victoire de Jones face à l’équipe de Tracy Fleury, à l’issue d’une manche additionnelle, lors de la finale des essais olympiques canadiens, Laing a appelé leurs enfants en visio, qui regardaient le match depuis chez eux. Cet appel fût un moment incroyablement touchant durant le tournoi.
« Mes enfants me donnent un regain d’énergie insoupçonné. Ils me poussent à donner le meilleur de moi-même et à ne jamais abandonner parce que je veux qu’ils aient bon exemple à suivre. Je veux qu’ils comprennent que si on donne son maximum, on se sentira toujours heureux et reconnaissant, sans avoir aucun regret. »
« Ils étaient si heureux… Isabella m’a raconté que lors du 10e end, quand nous n’avons pas réussi à marquer le point, elle a dit à grand-mère que ce n’était pas grave puisque nous le marquerions au 11e. Je lui ai dit de toujours garder cette façon de penser et que nous ferions de notre mieux. »
Apprendre à apprécier chaque expérience
Quand on lui demande qu’elle est sa plus grande force, Jones répond, après un petit temps de reflexion, qu’elle remercie ses parents pour la philosophie qu’ils lui ont enseignée quand elle était petite.
« Ma mère était infirmière en oncologie et mon père était la personne la plus enthousiaste et joyeuse que je connaisse. C’est dans ce cadre que j’ai grandi », poursuivait Jones.
« Cette partie de moi représente vraiment mon âme. Nous allons nous amuser à Pékin. Nous allons apprécier chaque instant peu importe ce qu’il se passe. Et je pense que cette manière de voir les choses m’a toujours aidée lors dans rencontres de curling à forts enjeux. Cela m’a aidé à être une mère. »
« Cela m'a aidé à trouver mon équilibre, parce que cela permet d’être présent, dans le moment et de vraiment apprécier toutes les choses qui nous sont arrivées dans la vie. J'essaie de transposer cela dans notre équipe de curling, dans ma vie en général. »
Jones va essayer de garder cette philosophie durant Beijing 2022 avec Lawes, Peterman, McEwen et Weagle.
« Je pense que nous avons toutes beaucoup travaillé dans cette équipe pour trouver nos places et les façons de tirer le meilleur de chacune, que ce soit moi ou une autre fille de l’équipe », expliquait-elle par rapport à son statut de skip.
« Mais je suis la meneuse de l’équipe et c’est moi qui donne le ton. Donc je veux que nous allions là-bas en étant raccord sur le fait que nous devons prendre du plaisir et profiter au maximum de l’expérience. »
« Après, j’espère que tout se mettra convenablement en place et que nous puissions faire des tonnes de jolis coups et nous verrons à la fin de la semaine où nous en sommes. »