Anaïs Chevalier-Bouchet, le retour au sommet d’une « super maman et super sportive »

Maman d’une petite Emie depuis octobre 2019, la biathlète Anaïs Chevalier-Bouchet, déjà une médaille (d'argent) aux Jeux de Beijing 2022, prouve qu’il est possible de revenir au plus haut niveau de son sport après avoir soumis son corps d’athlète aux difficultés d’une grossesse. Olympics.com est partie à sa rencontre.

7 minPar Emma Hingant
Anais Chevalier-Bouchet competing in the World Cup 4x6km mixed relay at Oberhof in January 2021
(Millo Moravski/Agence Zoom/Getty Images)

Est-il possible d’allier sport de haut niveau et maternité ?

Faire subir à son corps des contraintes physiques au cours d’une grossesse, stopper ou freiner son activité sportive, chambouler ses habitudes et son organisation… La décision de faire un enfant ne se prend jamais à la légère, mais encore moins lorsque l’on est une athlète de haut niveau.

Anaïs Chevalier-Bouchet, elle, a sauté le pas. Médaillée de bronze aux Jeux Olympiques d’hiver de PyeongChang 2018 avec le relais féminin en biathlon, elle a accouché d’une petite Emie en octobre 2019 avant de revenir au plus haut niveau de son sport dès la saison suivante. Avec le relais mixte français, elle a déjà remporté une médaille d'argent aux Jeux Olympiques de Beijing 2022 et elle s'apprête à disputer le 15 km individuel, le lundi 7 février.

Olympics.com a discuté en exclusivité avec la biathlète pour savoir comment elle a vécu sa grossesse. Et surtout comment elle a réussi à revenir physiquement et retrouver le haut niveau, inspirant ainsi d’autres athlètes qui pourraient hésiter à prendre la décision d’une grossesse alors qu’elles sont encore en activité, comme elle a auparavant été inspirée par sa compatriote et coéquipière Marie Dorin-Habert, quadruple médaillée olympique deux fois maman alors qu’elle était en activité.

Nous avons également parlé au Dr Carole Maître, médecin-gynécologue du sport à l'INSEP (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance) et vice-présidente de la commission médicale du CNOSF, pour comprendre ce qui se passe dans le corps d’une femme lors de la grossesse.

Les contraintes d’une grossesse

Si elles veulent des enfants, les femmes athlètes pensent souvent qu’elles doivent faire un choix : attendre la fin de leur carrière pour fonder une famille ou prendre un risque en ne sachant pas dans quel état physique et mental elles vont pouvoir revenir après une période pendant laquelle elles ont non seulement fait subir des contraintes importantes à leur corps, mais également sans activité intense.

Anaïs Chevalier-Bouchet, elle, s’est jetée à l’eau et a vu son corps de femme enceinte changer. « J'ai perdu énormément de muscles, c'était assez hallucinant, […] je n'avais plus un corps de sportive », explique Anaïs, qui avoue aussi avoir eu du mal à accepter de voir son corps changer avec notamment une prise de poids obligatoire pour faire grandir un bébé. « Quand on est sportive, on a vraiment conscience de son corps [...] et je pense qu’on est toujours en contrôle de ce qu'on fait et là, finalement, les choses nous échappent un peu. »

Dr Maître, en charge du suivi gynécologique des sportives de haut niveau à l’INSEP, explique aussi les autres transformations qui se produisent. « Après l'accouchement, l'utérus met deux mois à retrouver son volume dit normal. Il y a ce qu'on appelle une involution, c'est-à-dire une diminution du volume utérin, qui est majeur les deux premiers mois. »

C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de reprendre une activité intense, comme la course à pied ou les déplacements rapides, juste après un accouchement. Surtout que pendant plusieurs mois, les futures mamans ont freiné leur activité auparavant intense.

Continuer une activité, la priorité

En effet, outre la perte musculaire, l’acceptation du changement, le manque de sommeil ou encore les changements gynécologiques, les athlètes doivent aussi composer avec les problèmes liés à la diminution de leur activité physique. Selon une étude menée en 2017 par l'université de Liverpool en Angleterre, deux semaines d'inactivité pourraient entraîner une perte de condition physique de 4 %, avec perte de masse musculaire et diminution de la VO2 max. D'autres recherches montrent que la VO2 max – le débit d'oxygène maximal qu'une personne peut absorber lorsqu'elle fait de l'exercice – diminuerait de 10 % dans les quatre semaines suivant l'arrêt de tout exercice.

Heureusement, les athlètes ne stoppent pas tout pendant une grossesse. « Elles vont garder du travail en endurance à environ 80 % de la fréquence cardiaque maximale, à 70 % au dernier trimestre », explique Dr Maître. « Tout ça implique une adaptation de l'entraîneur et du staff technique car on n'est pas dans un entraînement de compétition, la dépense d'énergie est moindre. »

La médecin-gynécologue des sportives se veut aussi rassurante quant à la possibilité de revenir au top après une grossesse. « Dans ces conditions-là, il n'y a pas de risque de perte de performance à six mois du post-partum. Parce qu'on se retrouve avec le poids, la masse musculaire et la capacité cardiorespiratoire qu'on avait avant la grossesse. »

Du travail de fond indispensable

Anaïs s’est donc attelée à revenir en réalisant un travail de fond après l’accouchement. « J’avais eu une blessure au dos et j’avais déjà dû me remuscler une bonne fois pour toutes tous ces muscles profonds », explique Anaïs qui a aussi été très à l’écoute des sage-femmes au sujet des risques liés à la faiblesse du périnée et des abdominaux profonds. « Il faut vraiment que tu ressentes ce périnée, le remuscler, sentir les différentes couches. J'ai fait beaucoup d'exercices de respiration. Il faut prendre conscience de contracter à un endroit et pas un autre. »

« Et après, tout le travail abdominal, les muscles profonds, transverses, obliques et Cie., oui, ça a été un petit peu long, mais franchement, je pense que le corps est quand même bien fait et qu’il revient vite. Il retrouve vite ses marques. »

Elle affirme aussi avoir appris beaucoup de choses sur son corps. « J’ai appris à tout point de vue. Déjà, au niveau de la douleur. Quand on fait du sport, on se fait mal, mais ça va en fait », sourit-elle au souvenir de son accouchement. « Ça m'a ouvert les yeux là-dessus : beaucoup de choses sont mentales et le corps peut supporter beaucoup plus qu'on ne croit. »

Encore plus forte à son retour

Le travail physique réalisé par Anaïs a en tout cas porté rapidement ses fruits puisque six mois après son accouchement, elle reprenait l’entraînement avec ses coéquipières de l’équipe de France avant de retrouver la compétition internationale pour les débuts de la Coupe du monde 2020/21, à Kontiolahti en Finlande, le 28 novembre 2020.

Un peu plus d’un an après avoir mis au monde Emie, elle signait un top 10 en individuel. Cinq jours plus tard au même endroit, elle décrochait son premier podium depuis son retour, une deuxième place au sprint 7,5 km. Puis elle remettait ça avec le relais féminin le 5 décembre. En 2020/21, elle a obtenu six podiums en Coupe du monde, en plus de ses deux médailles (l’argent au sprint, le bronze en poursuite) aux Mondiaux de Pokljuka en Slovénie en février 2021.

En Coupe du monde 2021/22 avant les JO, elle est déjà montée sur six podiums – dont deux victoires en relais féminin – et pointe à la neuvième place du classement général. Preuve donc qu’un retour au plus haut niveau est possible si la sportive maman réalise les efforts nécessaires. « Elles sont fantastiques et magnifiques », assure la gynécologue Dr Maître. « Ce sont des super mamans et des super sportives. »

Déjà détentrice d'une médaille collective à Beijing 2022, Anaïs vise désormais une première médaille individuelle aux Jeux Olympiques. Mais elle sait aussi relativiser ses résultats depuis ce jour heureux où Emie est venue au monde. « Ça m'a apporté pas mal de recul », dit-elle. « Les Jeux Olympiques, c'est un objectif, j'ai travaillé pour et je veux une médaille. Mais si je rentre sans, ce ne sera pas l'échec de ma vie parce que j'ai autre chose à la maison. C'est mon métier, ma passion, j'ai envie de réussir, mais ce n'est que du sport. »

Évidemment, si elle pouvait ramener plusieurs médailles à sa petite Emie qui l’attend à la maison, la décision de fonder une famille et les sacrifices physiques qu’elle a dû consentir auront sans doute encore plus de valeur.

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