Les fratries ne sont pas inhabituelles dans le monde du biathlon.
Bien évidemment il y a les célèbres frères Boe, les Wierer, les sœurs Oeberg ou encore les frères Claude, mais il n’existe aucune famille de biathlètes comme les Suisses Selina, Elisa et Aita Gasparin.
Avant que les Gasparin n’arrivent dans la discipline, leur pays n’avait jamais remporté de médaille olympique en biathlon, ni même d’étape de Coupe du monde. La Suisse n’avait d’ailleurs pas de relais féminin à engager en Coupe du monde.
C’est grâce aux efforts de la pionnière Selina, soutenue par la suite par ses deux sœurs, inspirées par ses succès, que la Suisse est aujourd’hui une vraie nation du biathlon et le nom de Gasparin, un synonyme de la discipline.
Rencontre avec ces précurseurs à l’histoire unique, qui sont l’épine dorsale du biathlon suisse.
Les Gasparin : une découverte fortuite
Comme de nombreux enfants nés dans les Alpes, Selina a commencé à faire du ski au moment où elle a appris à marcher.
Préférant le ski de fond au ski alpin, il aura fallu du temps pour que l’ainée de la famille ne commence à faire des compétitions, passant d’un club de ski pour enfant à l’équipe régionale puis au final, l’équipe nationale.
Un été, alors qu’elle revenait de son école en Norvège, une visite à Andermatt à tout changé. Là-bas, Selina a eu l’opportunité de tirer à la carabine pour la première fois et elle a tout de suite sentie comme un coq en pâte :
« C’était un coup de foudre ! », expliquait la star du biathlon à Biathlon World. « J’étais tellement enthousiaste qu’ils m’ont proposée de venir m’entraîner avec l’équipe nationale. Le premier jour, ils m’ont tendu une de leur carabine et m’ont dit : "Maintenant, tu es une biathlète." »
De retour en Norvège, Selina a continué de s’entraîner en ski de fond comme elle le faisait avant, mais durant son temps libre, elle se rendait également au stand de tir pour se perfectionner, devenant meilleure de jour en jour.
Alors que Selina développait ses nouveaux talents outre-manche, la cadette de la famille, Elisa, s’essayait elle aussi au biathlon en Suisse. L’une de ses amies lui avait proposé d’essayer avec elle et elles ont commencé la discipline en s'amusant.
Pour Aita, rejoindre le biathlon a été plutôt évident au fur et à mesure que ses sœurs s’impliquaient dans ce sport. Mais il lui restait une grande décision à prendre.
Aita était déjà une talentueuse gymnaste et skieuse de fond, donc au départ, le biathlon n’était pas le choix le plus naturel, mais ses sœurs l’ont vite convaincue du contraire :
« Quand mes sœurs m’ont offert une carabine à 16 ans, lors de ma confirmation, mes grands-parents italiens ont été choqués », expliquait la plus jeune des trois sœurs à Biathlon World. « Ils ne comprenaient pas bien en quoi ce sport consistait et aucun de mes proches non plus en réalité. »
Mais désormais, elles étaient toutes les trois de vraies biathlètes.
Les sœurs préférées du biathlon : un exemple à suivre
Chacune des sœurs a fait son entrée dans le circuit de Coupe du monde de biathlon : Selina en 2005, Elisa en 2010 et Aita en 2014.
En tant qu’ainée et meneuse, Selina a débuté la liste des « premières fois ». Elle est devenue la première Suisse à participer aux Jeux Olympiques en biathlon à Vancouver 2010. En 2013, elle a remporté la toute première étape de Coupe du monde pour son pays.
Mais le plus grand accomplissement de Selina et de ses sœurs est survenu aux JO de Sotchi 2014, où l’ainée est entrée dans l’histoire par deux fois.
Elles ont non seulement été la première équipe de relais féminin olympique à être composée de trois sœurs, mais Selina a aussi brillé en individuel, en devenant vice-championne olympique du 15 km, remportant au passage la toute première médaille olympique suisse de biathlon.
Depuis ce moment incroyable, la fratrie, toujours unie, n’a fait que gagner en puissance.
En 2019, les sœurs Gasparin, avec leur coéquipière Lena Häckl, sont montées sur leur tout premier podium de Coupe du monde en relais féminin à Östersund en Suède. Un moment historique pour la Suisse qui marquait aussi le début d’une belle histoire d’équipe.
Ce relais féminin est ensuite monté à deux reprises sur le podium de Coupe du monde en 2020. En individuel, Selina a également poursuivi ses succès avec une seconde place en poursuite à Kontiolahti.
Selina Gasparin : biathlon, maternité et pionnière
Être un modèle de biathlon à la fois pour ses sœurs et pour son pays n’est pas une mince affaire, mais c’est une responsabilité que l’ainée des Gasparin à pris à bras le corps tout au long de sa vie.
En réalité, le plus grand challenge de la biathlète de 37 ans n’a pas été d’ouvrir la voie pour les autres, mais de rester au sommet tout en devenant mère.
Avant sa médaille d’argent historique à Sotchi, Selina songeait à raccrocher la carabine à la fin de la saison pour fonder une famille. À son retour de Russie, ses envies de maternité étaient inchangées mais son goût pour la victoire était bien différent. Désormais, elle voulait les deux.
Résolue à revenir au meilleur niveau après la naissance de son premier enfant, ce n’est qu’après avoir donné naissance qu’elle s’est rendue compte que son corps avait changé.
« Comment je me suis sentie lors de mon premier entraînement après avoir donné naissance à ma première fille Leile, en février 2015 ? Pire qu’une débutante ! J’étais faible, en surpoids et épuisée. Je n’ai même pas réussi à faire un footing de 10 minutes », racontait Gasparin à Swiss Olympic Team, à propos de sa vie après l’accouchement. « Les sensations dans mon corps étaient complètement différentes de celles qu’on peut ressentir après une blessure. »
Pourtant, Gasparin a persévéré et en octobre, elle était à la fois de retour dans le circuit de Coupe du monde et maman.
« Je n’ai jamais abandonné mon projet. J’avais besoin de défis à ce moment-là. Et par chance, après des débuts très compliqués à l’entraînement, j’ai rapidement refait des progrès. »
Ce qui a aussi frappé la triple olympienne furent les attitudes et la réalité qu’elle a subies durant sa grossesse.
« Quand j’ai parlé pour la première fois de mon projet de famille à mon entraîneur, juste après la saison olympique, il m’a dit : "Fais deux années de plus, termine ta carrière et fais des enfants après." C’est quelque chose qu’on ne dit pas aux hommes. »
Son expérience de faire et d’élever un enfant avec son mari Ilya, médaillé de bronze de Sotchi 2014, a ouvert les yeux de Selina sur le fait qu’il n’y avait pas assez d’informations pour les athlètes qui souhaitent devenir mères.
« Je vais être honnête, c’est possible de revenir au meilleur niveau mondial après une grossesse, mais c’est difficile. »
« Il faut que beaucoup d’éléments concordent pour que cela fonctionne. Et, à l’inverse des hommes, une femme perd beaucoup de temps avec une grossesse compte tenu de la durée assez courte d’une carrière sportive. »
Avec tout ce qu’elle a traversé, Gasparin continue d’encourager les athlètes à partager leurs expériences de grossesse et de retour au sport de haut niveau, en affirmant que l’information doit être traitée de manière scientifique pour qu’elle puisse être étudiée et partagée avec le plus grand nombre.
Ce n’est qu’une petite partie de l’héritage incroyable qu’elle et ses sœurs continuent de constituer.
Au regard de son parcours, Gasparin est fière de ce qu’elle a accompli, entre le premier relais féminin, la première médaille olympique et le premier podium pour la Suisse, d’autant plus qu'elle voit la nouvelle génération arriver.
« Je n’aurais jamais imaginé qu'après plusieurs années, nous aurions une équipe si forte, d’autant que derrière nous, de nombreux talents rejoignent le mouvement. Pour moi, c’est vraiment agréable de voir comment le centre de Lenzeheide a grandi sous mes yeux », continuait d’expliquer Selina à Biathlon World.
« Au début, nous étions proches de zéro en terme de biathlon, aujourd’hui, nous ne sommes pas loin d’être parmi les meilleures équipes du monde. »
« Je suis fière de cela et du fait que j’y ai peut-être contribué un petit peu avec mon expérience et mes résultats, mais c’était un travail d’équipe. »
La compétition de biathlon à Beijing 2022 se déroulera du 5 au 19 février.