Baden-Baden 1981, un Congrès qui a radicalement changé le Mouvement olympique
Il y a quarante ans, le XIe Congrès olympique tenu à Baden-Baden s’est révélé d’une importance capitale dans l'histoire du Mouvement olympique : pour la première fois, les athlètes sont invités à prendre la parole ; il est décidé d’accorder aux femmes une place plus importante dans l'administration du sport ; c’est aussi le tournant qui a conduit à une modification des règles concernant l'admission des athlètes et à un changement de perception du professionnalisme dans le sport.
Alors que Juan Antonio Samaranch a pris la présidence du Comité International Olympique (CIO) un an auparavant, le Congrès de Baden-Baden, tenu du 23 au 28 septembre, est exceptionnel par son ampleur. Jamais encore dans l'histoire du sport moderne ne se sont réunis autant de représentants d'organismes sportifs en vue de concertations communes. Sous la devise "unis par et pour le sport", il rassemble 469 délégués officiels, comprenant des représentants du CIO, des Comités Nationaux Olympiques (CNO) et des Fédérations Internationales (FI), mais également des athlètes (25 olympiens) et des entraîneurs olympiques, ainsi que 62 observateurs officiels.
Ce Congrès englobe trois thèmes : "L’avenir des Jeux Olympiques", "La coopération internationale" et "Le Mouvement olympique de l’avenir".
La création de la commission des athlètes du CIO
"Nous étions des athlètes, et nous avions l'esprit combatif des athlètes. Cela s'est reflété dans les sujets que nous avions choisi d'aborder et dans le temps de parole que nous avions demandé à avoir. (...) Nous ne demandions pas seulement à être représentés - nous voulions donner de la matière pour montrer pourquoi il est important d'assurer une représentation des athlètes", a déclaré le président actuel du CIO, Thomas Bach, qui était l'un des représentants des athlètes à Baden-Baden.
Se souvenant de son combat remarqué contre le boycott des Jeux de 1980 à Moscou, l’escrimeur Thomas Bach, champion olympique de fleuret par équipes en 1976, explique qu'avant ce Congrès, "les temps étaient très durs, et faire entendre la voix des athlètes à cette époque était quasiment impossible. Il faut comprendre que d'un côté, les athlètes n'étaient pas vraiment écoutés au sein des organisations sportives. Et d’un autre côté, les CNO et le CIO avaient une influence politique très limitée, pour parler de façon diplomatique. Je dirais même aucune."
Les athlètes ont joué un rôle majeur dans le Congrès et six d'entre eux ont pris la parole au nom des autres. Ivar Formo (NOR) a parlé du problème du dopage ; Svetla Otzetova (BUL) a mis l'accent dans son discours sur l'égalité des droits pour les femmes dans le Mouvement olympique ; Thomas Bach (RFA) a exprimé la nécessité de procéder à une révision responsable du code de l’amateurisme ; Kipchoge Keino (KNE) a donné le point de vue des athlètes sur le sport et la politique ; Vladislav Tretyak (URSS) a parlé des cérémonies olympiques ; et Sebastian Coe (GBR) a prononcé le discours de clôture.
"Nous étions un petit groupe d'athlètes, chacun représentant différents sports et différentes idéologies politiques, mais pendant ces quelques jours, nous avons travaillé et parlé comme un seul. Nous avons saisi la chance d'être audacieux, nous voulions une place à la table des discussions. Nous étions loin de nous douter que nous allions jeter les bases de la création de la "voix" des athlètes au sein du Mouvement olympique", a déclaré Michelle Ford, qui a également participé au Congrès.
En octobre 1981, tirant les conclusions qui s'imposent, Juan Antonio Samaranch nomment les six intervenants membres d’une nouvelle commission. Il leur écrit une lettre dans laquelle on peut lire : "J’ai décidé de créer au sein du CIO une commission destinée aux athlètes. Cette commission jouera le rôle de porte-parole pour tous les athlètes auprès du Comité International Olympique."
Présidée par Peter Tallberg, celle-ci se réunit pour la première fois en mai 1982 à Rome. De nombreux sujets à l’ordre du jour sont encore d’actualité aujourd’hui. La commission se penche ainsi sur la lutte contre le dopage, l’égalité des sexes et les conditions pour assurer des Jeux Olympiques exempts de toute pression et influence politique.
La commission des athlètes va prendre une place prépondérante au cœur du Mouvement olympique. À partir de 2000, quinze athlètes élus à la commission deviennent membres du CIO et la personne qui préside ladite commission siège automatiquement à la commission exécutive du CIO. Aujourd’hui, les athlètes étant placés au cœur du Mouvement olympique et le soutien accordé à ceux-ci étant renforcé, la commission des athlètes fait la liaison entre les athlètes et le CIO, en conseillant la Session, la commission exécutive et le président du CIO concernant les questions liées aux athlètes.
La place des femmes dans le mouvement sportif
Lors du Congrès de Baden-Baden, nombre d'orateurs insistent sur le besoin d’augmenter le rôle des femmes au sein du mouvement sportif en général et du Mouvement olympique en particulier. Le président de l'Association des Comités Nationaux Olympiques (ACNO), Mario Vázquez Raña, demande notamment que l'on recherche "des moyens efficaces pour accroître la participation des femmes, non seulement dans les compétitions olympiques, mais également dans les domaines technique, administratif et de la gestion du sport et de l'Olympisme", et il n'est pas le seul.
Alors que la participation des femmes aux Jeux a connu une augmentation constante tout au long du XXe siècle, les conclusions du Congrès de Baden-Baden vont déboucher sur le fait que toute nouveau sport inscrit au programme doit comporter des épreuves masculines et des épreuves féminines.
Les recommandations énoncées dans la déclaration finale sont entérinées par la 84e Session du CIO, qui se déroule dans la foulée immédiate du Congrès de Baden-Baden. Parmi les sept nouveaux membres de l'institution qui sont alors cooptés, figurent les deux premières femmes : Pirjo Häggman (FIN) et Flor Isava Fonseca (VEN). Leur prestation de serment marque un moment important de l'histoire du Mouvement olympique, le CIO indiquant alors la voie à suivre. Dès lors, le nombre de femmes au sein du CIO ne cessera plus de progresser ; elles représentent aujourd'hui 33 % des membres du CIO et occupent 30,8 % des sièges de la commission exécutive.
Changement de la Règle 26 - la fin de l'amateurisme
Lors du Congrès de Baden-Baden, il n'est pas encore question de supprimer la Règle 26 de la Charte olympique qui empêchait les athlètes professionnels de participer, mais il s’agit plutôt de l’assouplir. La dure condition des athlètes qui consacrent leur vie à leur sport sans aucune forme de rémunération ou de couverture sociale a notamment été évoquée par les athlètes qui ont pris la parole, et notamment par Thomas Bach.
Il est écrit dans la déclaration finale : "Les compétitions ouvertes ou professionnelles n'ont pas leur place aux Jeux Olympiques. Les principes de la Règle 26 doivent être conservés et les textes d'application mis en conformité avec les exigences de chaque sport olympique, mais l'observation de cette règle ne doit pas créer d'inégalités entre les concurrents".
Cela signifie bel et bien la fin de l'obligation pour les athlètes de se présenter aux Jeux en parfaits amateurs. Le CIO s'accordera avec les FI pour statuer sur les règles d'admission des athlètes aux Jeux selon les spécificités de chaque sport. Lors de sa 84e Session, le CIO approuvera le retour du tennis au programme olympique pour les Jeux de Séoul 1988, avec des joueurs et joueuses dont ce sport est le métier. Puis en 1992, les passionnés pourront suivre la formidable prestation de la légendaire "Dream Team", composée de basketteurs professionnels, et le reste appartient à l’histoire.
Lutte contre le dopage
Les athlètes réclament une interdiction à vie pour toute infraction aux règles antidopage. Pour diverses raisons, notamment juridiques, cette requête n'est pas suivie d'effet. La déclaration finale du Congrès demande que le dépistage ne se limite pas aux Jeux Olympiques, mais qu'il soit étendu à l'échelle mondiale et durant toute l'année, avec l'aide des FI et des CNO, et qu'une aide soit octroyée pour la création de laboratoires fiables et neutres dans le monde entier.
Conclusion
Dans la foulée, le CIO met en pratique beaucoup d'idées émises durant le Congrès. Parmi celles-ci, il y a donc la libéralisation des critères d'admission des athlètes aux Jeux, l'introduction d'un âge minimum pour les participants, la place des femmes dans le mouvement sportif, la voix donnée définitivement aux athlètes, et les mesures de lutte contre le dopage.
Il insiste aussi pour la première fois sur la place prépondérante que doit prendre la Solidarité Olympique, élément moteur pour l'aide aux pays en développement afin d'améliorer leurs performances sportives et la pratique du sport en général. Par ailleurs, tous les participants au Congrès "doivent poursuivre leur lutte pour l'élimination de la discrimination dans le sport".
D'autres décisions sont prises, comme le fait que le cérémonial des Jeux (les cérémonies d'ouverture et de clôture, le village et même le protocole de remise des médailles) qui a été remis en cause, doit être conservé tel qu'il est décrit dans la Charte olympique, ou encore que les Jeux doivent pouvoir continuer à se dérouler partout dans le monde, à rebours de la proposition de la Grèce d'y tenir les Jeux de façon permanente.
Sur bien des aspects, Baden-Baden 1981 a changé pour toujours le visage du Mouvement olympique.