L'évolution de l'escrime à travers les âges, expliquée par la championne olympique Emese Szasz
L'escrime figure parmi les cinq sports à avoir fait partie du programme olympique de toutes les éditions des Jeux Olympiques d'été depuis ceux d'Athènes en 1896 et il sera bien sûr présent aux Jeux de Tokyo 2020. Il y incarnera l'une des disciplines les plus modernes et innovantes. La championne olympique hongroise, Emese Szasz, nous en dit plus.
L'escrime enflamme l'imagination du monde entier depuis près de six siècles, et ce pour de nombreuses raisons. Par exemple, saviez-vous que la pointe du fleuret utilisé en escrime est apparemment le deuxième objet le plus rapide utilisé en sport, après une balle (de tir) ?
Emese Szasz, médaillée d'or en épée individuelle femmes à Rio en 2016, comprend très bien cette fascination.
"J'adore que cela soit aussi physique que mental, explique l'athlète qui parade et riposte depuis déjà 27 ans. Ce qui me plaît, c'est de toujours réfléchir à la prochaine touche."
La Hongroise de 37 ans est une passionnée d'histoire, consciente de la place qu'elle occupe aux côtés de ses célèbres compatriotes qui ont souvent dominé le monde de l'escrime. Ce sport est apparu au XVe siècle, à une époque où les combats et les duels à l'épée étaient un passe-temps courant pour de nombreux peuples européens et dans le reste du monde.
Son évolution a été relativement lente au départ. La rapière lourde ne fut remplacée par le fleuret, plus souple, qu'au milieu du XVIIe siècle et les masques de protection à treillis métallique ne sont apparus que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Toutefois, comme cela a rendu le sport considérablement moins dangereux, il a soudain rapidement évolué.
L'épée, qui a pour cible le corps entier et non pas seulement le torse comme pour le fleuret, a été introduite dans les années 1860. Quelques années plus tard, le sabre, issu du domaine militaire, a commencé à se faire connaître lui aussi. Il est possible de toucher son adversaire avec le côté tranchant du sabre ou la pointe.
L'autre modification majeure fut l'introduction d'un système de notation électronique rendue possible par l'épée reliée à du courant électrique au cours des années 1930. Tout cela a bien sûr eu lieu bien avant la naissance de Emese Szasz. Toutefois, la Hongroise a assisté à bon nombre d'innovations depuis ses premiers essais à ce sport antique alors qu'elle était âgée de 10 ans.
"L'apparition de l'escrime sans fil a été l'un des plus grands changements que j'ai connus au cours de ma carrière", dit Emese Szasz en riant, avant d'expliquer que pendant des décennies, les escrimeurs étaient attachés à un câble encombrant pendant leurs combats sur la piste (rectangulaire). Cette technique permettait de noter précisément les touches et il aura fallu de nombreuses avancées technologiques pour réussir à en créer une version sans fil qui soit fiable. Ce nouveau système, prouesse de l'ingénierie, a été inventé au début des années 2000 et a fait ses débuts aux épreuves de sabre aux Jeux Olympiques d'Athènes en 2004. Il fut utilisé pour toutes les autres disciplines quatre ans plus tard, aux Jeux de Beijing.
Pour Emese Szasz, qui a gagné sa première médaille de bronze aux Championnats du monde en 2006, cela marqua un tournant majeur dans l'histoire de ce sport.
"J'ai tout de suite été séduite par la liberté que cela nous offrait, explique-t-elle. Cette technologie est vraiment performante aujourd'hui, elle change beaucoup de choses, tant pour les spectateurs que pour les escrimeurs."
Les améliorations ne se sont pas arrêtées là. Les vestes en Kevlar peuvent à présent transmettre directement les touches au système de notation. Ainsi, combinées à une technologie de ligne laser, elles permettent d'éliminer toute marge d'erreur. D'autres modifications ont été apportées à la tenue des escrimeurs :
"J'adore les nouvelles vestes et les nouveaux pantalons. Ils sont beaucoup mieux que les anciens, se réjouit Emese Szasz. Les matériaux utilisés ont changé [depuis ses débuts en escrime]. Ils sont bien plus légers et plus confortables. Les chaussures aident aussi, car le jeu de jambes joue un rôle important. Tout le monde est très rapide désormais."
Aux Jeux de Londres 2012, tous les escrimeurs portaient des masques équipés d'un éclairage LED pour permettre aux spectateurs de voir les touches à la seconde même où elles se produisaient.
"C'est très bien, le public peut s'impliquer davantage comme ça. Il sait ce qu'il se passe", affirme l'escrimeuse, avant d'encourager les non-initiés à regarder de l'escrime en ligne ou à la télévision :
"De nos jours, l'escrime se regarde très bien à la télévision. Les ralentis sont de bonne qualité et, pour les grandes compétitions, les salles sont équipées d'écrans géants permettant de les diffuser. Le public peut ainsi tout voir au ralenti en direct : toutes les petites techniques, les différents mouvements, etc. C'est vraiment intéressant."
Les Championnats du monde d'escrime de 2018 à Wuxi, en Chine, ont diffusé les combats en direct sur des écrans de cinéma LED avec des replays, des ralentis et même des animations pour divertir les spectateurs. Il n'est donc pas étonnant que le président de la Fédération Internationale d'Escrime, Alisher Usmanov, ait déclaré il y a 18 mois qu'il s'attendait à ce que ce sport soit l'un des "plus modernes et innovants" de Tokyo 2020.
Pour la première fois au cours des 124 ans de l'histoire de l'escrime aux Jeux, les trois épreuves par équipes se disputeront dans la capitale japonaise l'été prochain. Auparavant, seule une épreuve par équipes avait lieu, en alternance à l'épée, au fleuret ou au sabre.
"C'est une très bonne nouvelle pour le sport", s'exclame Emese Szasz, avant d'ajouter avec un sourire triste : "C'est juste dommage que les Hongroises ne se soient pas qualifiées en épée par équipes pour Tokyo. Je n'ai fait que de l'individuel aux Jeux Olympiques, ça me rend triste."
Elle tient coûte que coûte à pouvoir défendre son titre en individuel, mais ayant pris une pause pour donner naissance à des jumeaux en août 2019, elle doit à présent mener une bataille acharnée pour se qualifier.
"Je n'ai qu'une seule chance de me qualifier aux éliminatoires de la zone européenne et il n'y a qu'un seul billet pour Tokyo en lice, explique la championne en titre. J'aimerais retrouver ma forme et être à nouveau au sommet de l'épée femmes. Si je peux et que j'y arrive, j'irai peut-être jusqu'à Paris [2024], mais on verra, suivant comment mes bébés vivent le fait que je ne sois pas là. Ma priorité, c'est eux. S'ils sont heureux pendant que je voyage, je le ferai, mais s'ils n'aiment pas, alors je resterai à la maison. C'est eux mes patrons."
De nombreux fans olympiques, conquis par le sourire constant de Emese Szasz à Rio de Janeiro, espèrent que ses petits patrons la laisseront partir. Sa présence ne rend ce sport, à la fois très traditionnel et à la pointe de la technologie, que meilleur.