La belle histoire du défilé des athlètes
Comme chacun le sait, les cérémonies d'ouverture des Jeux Olympiques commencent par le joyeux défilé des athlètes derrière leur porte-drapeau ; on les retrouve dans un émouvant mélange lors des cérémonies de clôture. Mais savez-vous de quelle manière cet élément du protocole a commencé, et pour quelle raison tous les participants ne font plus qu'un lors de la clôture ? Retour sur plus de 110 ans d'histoire.
Ainsi que le réputé historien olympique Karl Lennartz le raconte, et alors qu'il n'y avait pas eu de défilé des athlètes à Athènes en 1896 et encore moins à Paris en 1900 et à Saint-Louis en 1904, des Jeux sans cérémonie d'ouverture, on ne sait pas précisément pourquoi et comment cette partie spécifique du protocole a été introduite.
Si l'histoire retient les Jeux de Londres 1908 pour le premier défilé des athlètes derrière leur porte-drapeau, Karl Lennartz souligne que cette pratique a en fait été "inaugurée" deux ans plus tôt, lors d'une compétition multisports organisée à Athènes pour célébrer les dix ans des premiers Jeux Olympiques modernes. Comme le raconte Pierre de Coubertin dans ses mémoires, en évoquant le Congrès olympique de Bruxelles en 1905 : "Des Jeux hors série étaient annoncés en Grèce pour 1906. Il fut entendu que le CIO y prêterait son appui ainsi que celui des rouages constitués déjà en différents pays par ses membres".
Ces "Jeux intermédiaires" n'auront jamais de caractère officiel puisque la Session du CIO qui se tient à Rome en 1949 leur refuse la dénomination de « Jeux Olympiques ». Toujours est-il que le 22 avril 1906, à commencer par la délégation allemande, les athlètes défilent par rangées de quatre derrière leur porte-drapeau dans le Stade panathénaïque. Il y a, selon les sources, de 15 à 20 délégations de tous les continents et la Grèce entre en dernier en tant que nation hôte, ce qui deviendra une tradition jusqu'à nos jours : les athlètes du pays organisateur ferment la marche. Ils font le tour du stade et viennent ensuite se placer en face de la loge royale.
Londres 1908 : un défilé des athlètes minutieusement organisé
Refermons cette parenthèse, et transportons-nous dans le White City Stadium le 13 juillet 1908 pour la cérémonie d'ouverture des Jeux de Londres. Le véritable premier défilé olympique des athlètes est minutieusement organisé. "Pour le défilé, il est attendu que chaque athlète participant porte la tenue sportive de son pays, ou celle du sport qu'il compte disputer. Dans le cas où la journée serait humide, il est laissé à la discrétion des managers de chaque équipe les précautions nécessaires pour en protéger les membres. Toutes les équipes défileront à partir de l'arrière du stade, en face de Wood Lane, à 2h45 précises, derrière leurs représentants respectifs qui porteront le drapeau de leur pays. Chaque nation se formera en rangées de quatre, et marchera huit pas derrière son porte-drapeau, lui-même défilant quatre pas derrière le porteur de la pancarte où est inscrit le nom du pays", peut-on lire dans le rapport officiel.
Vingt-deux délégations défilent par ordre alphabétique, et celle de l'Empire britannique qui ferme la marche est de loin la plus nombreuse : 226 athlètes. Les athlètes scandinaves (Suède, Norvège, Danemark) et finlandais se font remarquer par leurs tenues claires et particulièrement soignées. On note aussi la précision militaire de la démarche des athlètes des pays où la conscription est la règle, tandis que les Danoises en tenue de gymnastique sont très applaudies par le public. Comme prévu, tous les participants au défilé s'alignent devant la loge royale et le Roi annonce : "Je déclare les Jeux Olympiques de Londres ouverts !"
Le reflet d'un monde en mutation et de l'essor du Mouvement olympique
À partir des Jeux de la IVe olympiade, le défilé des athlètes devient un moment incontournable des cérémonies d'ouverture, aux Jeux d'été comme à ceux d'hiver. D'ailleurs, dans un premier temps, à Chamonix en 1924 et à Saint-Moritz en 1928, les athlètes défilent avec leurs équipements. Skis, patins, luges et bobsleighs... C'est à Amsterdam en 1928 qu'est introduite la tradition de faire défiler la délégation grecque en premier, en raison de l’origine grecque et antique des Jeux Olympiques. L'ordre alphabétique des nations est toujours privilégié, mais il dépend de la langue et de la graphie du pays hôte. La première femme porte-drapeau est Mollie Phillips, patineuse artistique britannique, aux Jeux d'hiver de Lake Placid en 1932 où les champions hivernaux défilent enfin sans leurs équipements.
Le défilé des athlètes, ce sont également des moments d'unité mémorables. Par exemple, les "deux Allemagnes" (la RFA et la RDA) défilent ensemble sous le même drapeau, de 1956 à 1964, puis c'est pour la première fois le tour des deux Corées à Sydney en 2000, ensuite à Athènes en 2004 et à nouveau à PyeongChang en 2018.
Le défilé des participants reflète à la fois notre monde en mutation et l'essor que connaît le Mouvement olympique : le nombre de CNO présents à la cérémonie d’ouverture est passé de 18 en 1908 à 205 en 2016 à Rio. Toutes les délégations doivent être traitées de manière égale. Aucun pays ne doit recevoir de traitement particulier. La coutume qui veut que les athlètes défilent derrière le drapeau de leur pays connaît parfois des exceptions. Ainsi le drapeau olympique a-t-il été utilisé par quelques délégations comme celle de Grande-Bretagne en 1980 à Moscou, de l'équipe unifiée en 1992 ou encore du Timor-Leste en 2000. En d'autres occasions, c'est derrière un drapeau spécial que certaines délégations ont fait leur entrée dans le stade, et à Rio, l’équipe des athlètes olympiques réfugiés a défilé derrière le drapeau olympique, juste avant la délégation hôte du Brésil.
"Une seule nation", l'idée de John Ian Wing pour la clôture des Jeux de Melbourne 1956
Et puis il y a les cérémonies de clôture, où les athlètes défilent à nouveau, précédés par d'autres porte-drapeaux souvent choisi en raison des exploits qu'ils viennent de signer dans les Jeux. Concernant l'origine du déroulement que l'on connaît de nos jours, il y a à ce titre une magnifique histoire à raconter. Les Jeux de Melbourne en 1956 se déroulent dans un contexte politique tendu dans le monde. Alors que la cérémonie finale se profile, un jeune australien d'origine chinoise âgé de 17 ans, John Ian Wing, écrit une lettre anonyme à Sir Wilfred Kent Hughes, le président du comité d'organisation. "Il me semble qu'il a été suggéré qu'un défilé des athlètes ait lieu durant la cérémonie de clôture et vous avez dit que ce n'était pas possible. Je crois que c'est possible." Il expose alors son idée pour ce défilé : "Il n'y aura qu'une seule nation. La guerre, la politique, les nationalités seront oubliées. Et vous pouvez réaliser cela de manière simple. Aucune équipe n'est à rassembler, il ne devrait pas y avoir plus de deux coéquipiers ensemble."
L'idée plaît à Hughes, elle est soumise aux chefs de mission la veille de la cérémonie, ils sont tous d'accord. Le 8 décembre 1956, ils sont plus de 500 athlètes de tous les pays à joyeusement défiler, les championnes australiennes Shirley Strickland, Betty Cuthbert, Dawn Fraser et Lorraine Crapp en tête sous les applaudissements nourris des spectateurs, surpris et émus. Il n'y a aucun ordre précis, et tous se mélangent au milieu de la pelouse. Ainsi naît une belle tradition : tous les porte-drapeaux défilent en premier l'un derrière l'autre, puis c'est au tour des participants, unis et ensemble sans aucune distinction. John Ian Wing est ultérieurement identifié et retrouvé par un journaliste australien en 1986 alors qu'il s'est établi au Royaume-Uni. Il sera invité à Lausanne en 1992 par le président Juan Antonio Samaranch.
Lors des Jeux de Sydney en 2000, une rue du Parc olympique est nommée "John Ian Wing Parade". Voilà comment un lycéen a changé à jamais le visage de la manifestation olympique…