Instantané : Torvill et Dean revivent le jour où ils ont dansé vers la gloire
35 ans se sont écoulés depuis le jour où les patineurs artistiques britanniques Jayne Torvill et Christopher Dean ont dansé sur le Boléro de Ravel, aux Jeux Olympiques d’hiver de Sarajevo 1984. Mais les années n’ont eu aucune prise sur la fascination qu’a exercée leur performance sur le monde entier, ni sur l’impact que cette dernière a eu sur leur sport.
Une partie importante de la grille du prime time de la télévision hertzienne britannique a été consacrée, le jour de Noël 2018, à une adaptation de la danse exécutée par les patineurs Jayne Torvill et Christopher Dean en 1984 : cela en dit long sur l’influence de ce moment olympique dans la culture populaire.
« Honnêtement, cela ne s’est jamais effacé », dit Jayne Torvill, la voix toujours aussi émerveillée. « Nous sommes vraiment ravis et honorés que les gens s’en souviennent encore », ajoute son partenaire Christopher Dean. « Ça nous rend heureux. Cela ressemble à un des grands moments olympiques. Beaucoup de gens nous disent qu’ils se souviennent où ils étaient quand nous avons gagné les Jeux Olympiques. »
À l’inverse de nombreuses épreuves sportives emblématiques, si l’intérêt pour le Boléro de Torvill et Dean perdure, ce n’est pas à cause de l’intensité dramatique d’une compétition serrée ou du triomphe inattendu d’un outsider : le couple menait en effet confortablement la compétition après le premier jour. Cela vient plutôt de son brio à l’état pur. La prestation impeccable du duo et son évidente passion se sont combinées pour éblouir le public mondial.
« Il s’était passé beaucoup de choses en amont, précise Christopher Dean. Les gens ont commencé à suivre notre carrière à la fin des années 1970, puis nous avons gagné les championnats du monde en 1981, puis en 1982 et enfin en 1983. Les gens se sont passionnés pour Jayne et Chris, tant les patineurs que les personnages que nous incarnions sur la glace. En outre, le Boléro est un morceau très hypnotique et romantique. Dans notre esprit en tout cas, c’est une histoire d’amour. »
Triples champions d’Europe et du monde en titre, Torvill et Dean étaient archifavoris pour la médaille d’or olympique avant Sarajevo, mais la décision qui a propulsé le duo au rang de mythe avait été prise bien avant le début de la saison 1983-1984.
« Quand nous avons entamé cette saison-là, nous avions envie de prendre une autre direction, explique Jayne Torvill. Nous avions gagné les championnats du monde à trois reprises. Nous avions le sentiment d’être dans une position favorable pour innover, car nous aimions tous les deux inventer de nouvelles choses et être créatifs. C’était peut-être un risque par certains côtés, mais c’était quelque chose qui nous tenait à cœur et en quoi nous croyions. »
Le risque auquel la patineuse anglaise, originaire de Nottingham, fait allusion était d’avoir choisi le Boléro de Maurice Ravel comme morceau d'accompagnement du programme libre de danse du couple.
« À l’époque, la plupart des musiques qu’on entendait sur la glace étaient composées d’un début rapide, suivi d’une partie lente, puis d’une partie moyenne, et enfin d’une partie rapide, explique Christopher Dean. Le Boléro, lui, a un rythme constant d’un bout à l’autre et la musique s’appuie sur le crescendo d’un unique instrument au début, qui devient de plus en plus ample. C’est un simple morceau de musique dans lequel Ravel a réussi à incorporer brillamment tous ces autres instruments. Il n’y a qu’un seul thème répétitif, mais pourtant l’émotion n’arrête pas de grandir. C’est comme ce que nous avons voulu faire sur la glace : aller crescendo vers un final en apothéose. »
Le choix radical de la musique a naturellement conduit à des tenues et à une chorégraphie tout aussi audacieuses. Mais aussi risqué que cela ait pu être, les juges ont adoré ce qu’ils ont vu. Torvill et Dean ont obtenu la note maximale pour leur prestation le 14 février 1984, la première et l’unique fois où cela s’est produit en compétition olympique.
Sachez cependant que le couple ne se rappelle pas tant que ça de la performance qui lui a valu la médaille d’or.
« On se souvient de bribes, comme au début avant de rentrer sur la patinoire, les mains serrées, sans rien dire, à se regarder tous les deux, et puis on a patiné », souligne Christopher Dean.
« Et quelle fin ! Il nous a semblé qu’il y avait eu un grand silence tout au long de notre prestation puis, alors que nous étions allongés sur la glace, un tonnerre d’applaudissements a éclaté. C’était presque comme dans un de ces films surréalistes où tout est au ralenti, avant que la réalité ne resurgisse une fois que tout est fini. »
Une réalité en l’occurrence intense. Le duo a sans doute regardé les images d’archives plus tard et repéré des petites erreurs – « J’ai parfois pensé que j’aurais dû davantage pointer mon orteil ça et là », se souvient Torvill - mais le public ne leur en a jamais tenu rigueur.
« Nous avons compris que c’est ce que les spectateurs voulaient voir », souligne Jayne Torvill à propos de la carrière professionnelle qu’ont menée ensuite les deux artistes, qui ont enchaîné les spectacles sur glace dans le monde entier. « Ils voulaient revoir ce qu’ils avaient vu. C’est comme aller à un concert de rock et vouloir que le groupe joue son plus grand succès. »
En extrapolant, on dirait que les étoiles étaient alignées ce jour-là pour deux des olympiens les plus célèbres de Grande-Bretagne, lors de cette extraordinaire Saint-Valentin à Sarajevo. Mais comme le fait remarquer avec douceur Christopher Dean, rien n’a été le fruit du hasard.
« Je suppose que toutes les décisions que nous avons prises étaient les bonnes ou, du moins, que nous avons fait en sorte qu’elles soient les bonnes, souligne le patineur. Du choix de la musique à la chorégraphie, en passant par la date de la finale, on pourrait dire que tout était à l’unisson, à moins que ce ne soit dû au fait que nous avons travaillé très fort pour que tout se passe bien ce jour-là ? »