Instantané : le moment où la flamme olympique s’est préparée à prendre son envol

Peu de personnes le savaient : les organisateurs de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver de 1994 avaient préparé depuis longtemps le lancement de la flamme olympique dans la nuit étoilée de Lillehammer. Ce soir-là, Bob Martin, photographe anglais encore inexpérimenté, était comme tout le monde dans l’obscurité. Mais grâce à un mélange de chance, d'ingéniosité et de talent, il s'est bientôt trouvé à l'endroit idéal pour capturer l’une des images olympiques des plus impérissables.

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Instantané : le moment où la flamme olympique s’est préparée à prendre son envol
(1994 Getty Images)

Jeune photoreporter sportif, Bob Martin était furieux qu’on l’ait envoyé au sommet du tremplin, quelques heures avant le début de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver de Lillehammer 1994. Transi de froid, le jeune Anglais était convaincu qu'il était en train de rater l’occasion de prouver sa valeur, alors que plus bas, les sujets de reportage ne manquaient pas.

« Au début, j'en avais marre, dit Bob Martin en riant. Je pensais que je ne pourrais prendre qu’une seule photo de là-haut alors qu’à l’époque, je voulais tout photographier. J'étais encore très jeune et mon seul objectif, c'était de prendre 100 photos par jour. Je pensais que seule la quantité primait. »

Comme beaucoup d’autres, les supérieurs de Bob Martin savaient qu'un sauteur à ski assurerait le spectacle durant la cérémonie, et ils avaient donc hâte de voir ce moment immortalisé sur la pellicule. Mais ce qu'ils ignoraient, c'est que la flamme olympique elle-même descendrait la plateforme et déchirerait la nuit étoilée sur plus de 70 mètres.

« J'avais pris des tonnes de photos pas très bonnes avec de longues focales en pointant mon objectif plus bas dans le stade, explique Bob Martin. Et soudain, la flamme a commencé à monter et j'ai pensé : "Mince, elle vient vers nous". »

Heureusement, dans sa tentative de tirer le meilleur parti de ce qu'il croyait être une mauvaise soirée, Bob Martin a entrepris calmement de descendre vers l’endroit d’où allait s’élancer le sauteur.

« Tout en commençant à descendre du tremplin, j’ai discuté avec les agents de sécurité, je leur ai montré mes appareils, je suis resté cordial, et ils m’ont laissé passer », explique Bob Martin. Lorsque tout le stade, et les téléspectateurs de toute la planète en fait, a levé les yeux vers le sauteur à ski norvégien Stein Gruben, Bob Martin se trouvait dans la position idéale.

« Au bout de deux heures, j'étais à 10 mètres de lui, au bout de trois heures, à quatre mètres et au moment où il a sauté, je me trouvais à deux mètres, dit le photographe. Je me suis approché au plus près dans les deux dernières minutes, en me disant : "Si j’y vais maintenant, ils ne vont pas me faire dégager ". Alors j'ai sauté deux marches de plus à la dernière minute, j'ai pris la photo et je me suis vite sauvé de là avant que quelqu'un ne se rende compte que j'étais si près. »

L'image qui en résulte n'exprime pas seulement le frisson procuré par une prouesse vertigineuse, mais aussi la nature magique de la nuit elle-même. Martin est très fier d'avoir identifié rapidement ce qu'il fallait et s'être assuré de saisir ces deux éléments en même temps.

« Pour moi, le fait est fait qu’on voit tout le stade en arrière-plan et qu’on pense : "Mince, ce stade est immense et il va devenir aussi filiforme qu’une aiguille », dit Bob Martin, la voix encore tout émerveillée. « La beauté de la prise de vue est due au super grand angle que j'ai utilisé. Il permet d’accentuer le tout, on a donc encore plus une impression de hauteur et cela ressemble davantage à une vasque. L’optique m’a un peu aidé. Parfois, les photoreporters sportifs se contentent d’un téléobjectif et ne prennent pas un peu de recul pour prendre des photos au grand angle. Et les objectifs à grand angle, c’est génial. Ça peut apporter beaucoup et traduire en photo le véritable esprit des lieux. »

Le principal acteur de ce qui est devenu l'une des photographies emblématiques des Jeux Olympiques d'hiver s'est retrouvé, tout comme Bob Martin, sur le devant de la scène, sans qu’il s’y attende. Ole Gunnar Fidjestol, médaillé de bronze par équipes en saut à ski en 1988, devait en effet se charger de la mission difficile de porter la flamme la plus célèbre du sport jusqu'à ce qu'il se blesse au dos deux jours seulement avant la cérémonie. Mais, bien qu'il admette s’être senti « intimidé, debout là-haut », Bob Martin est catégorique : il ne s'est jamais inquiété du sort de la flamme olympique.

« Ils peuvent tous le faire, n'est-ce pas ?, dit Bob Martin en riant. La Norvège regorge de grands sauteurs à ski. »

Après une réception réussie, Gruben a transmis la flamme à Cathrine Hazel Ingnes, cycliste et skieuse de fond malvoyante, avant que le prince héritier de Norvège Haakon Magnus n'embrase la vasque.

Mais Bob Martin, qui à ce moment-là savourait enfin sa place « aux premières loges », savait que le moment important de la cérémonie était passé depuis longtemps.

« Dès que cette prise de vue a été dans la boîte, ma journée était terminée, dit-il. Je savais que j'avais pris quelque chose de particulier. »

Non seulement Martin a obtenu LA photo des Jeux, mais il a aussi appris une leçon extrêmement précieuse, qu’il n’a cessé d’appliquer tout au long de sa carrière.

« Ce n'est qu'en grandissant qu'on apprend que l’important, c’est d’avoir la bonne photo, dit-il. Ce n'est qu'en prenant de telles images et en voyant l'effet qu'elles produisent qu’on se rend compte de l'importance d’une bonne photo, ou d’une photo remarquable. Prendre cette photo a fait partie de mon parcours initiatique de bon photographe. Ma seule ambition aujourd’hui, c’est d’avoir une photo que personne d'autre n'a. »