Pénélope Leprévost : "Un an de plus, c'est tout sauf un problème"
Championne olympique en titre du saut d'obstacles par équipes, la cavalière normande Pénélope Leprévost a participé à la qualification de la formation française pour les Jeux de Tokyo. Pour elle, le report d'un an représente avant tout l'opportunité de bien préparer ses chevaux et de se donner encore plus de choix au moment d'aller défendre ses chances dans la capitale japonaise.
Le 17 août 2016, Pénélope Leprévost, Kévin Staut, Philippe Rozier et Roger-Yves Bost remportent la médaille d'or au centre olympique d'équitation de Rio en saut d'obstacles par équipes. Mais que d'histoires à raconter avant cet exploit, et que d'émotions pour la cavalière normande ! Tout commence mal lors de ces Jeux : "Ma jument Flora de Mariposa est tombée malade. Assez gravement d'ailleurs. C'était presque dangereux, nous ne savions pas si elle allait s'en sortir. Elle souffrait de coliques. On espérait qu'elle arrive à débloquer le "nœud" qu'elle avait au colon, certainement dû au stress, au voyage, au changement de température, etc. Nous avons passé des nuits à la faire marcher pour qu'elle continue à bouger, des nuits horribles", raconte-t-elle.
Pas question de la faire opérer et de manquer les épreuves, car l'équipe de France a déjà perdu un cavalier, Simon Delestre, dont le cheval s'est blessé dans son box de façon "totalement improbable" comme elle le dit. "Après 48 heures très chaotiques, nous n'avons pas sauté lors de la traditionnelle épreuve d'échauffement (le "warm-up"), Flora est une jument assez émotive. Donc, nous nous sommes lancées directement dans l'épreuve individuelle, qui compte aussi pour qualifier l'équipe, et là, elle s'est montrée merveilleuse, fantastique, c'est une crack ! Et puis… Elle a trébuché à la réception d'un obstacle et je suis tombée. Le truc inimaginable, qui ne m'était jamais arrivé de ma vie. Je me suis blessée à la cuisse mais sur le coup, je n'y ai même pas pensé. J'ai dû m'arrêter quelque temps après les Jeux, et je ressens encore une gêne aujourd'hui, quatre ans plus tard", révèle-t-elle.
Et de poursuivre son récit : "Sur le moment, je me dis 'mais non, c'est un cauchemar, je vais me réveiller !'. Mais le lendemain, nous repartons pour l'épreuve par équipes et là, Flora fait le sans-faute décisif. Le jour suivant lors de la deuxième manche, après que mes trois coéquipiers ont eux aussi réussi le sans-faute, l'or est acquis et je n'ai même pas besoin de monter pour conclure. Ce qui est carrément génial pour ma jument, vu tous les efforts qu'elle a fournis. C'est bien de pouvoir la préserver, lui éviter de refaire un parcours supplémentaire. Mes coéquipiers ont été absolument parfaits et ont fait en sorte qu'on ne tire pas trop sur Flora !"
Le sentiment, une fois gagnée cette belle médaille d'or, est mitigé pour Pénélope Leprévost, compte tenu de toutes les péripéties qui ont précédé ce triomphe. Le forfait de Simon Delestre, la maladie de Flora de Mariposa, la chute dans la compétition individuelle… "Ce fut violent dans tous les sens. Alors, certes, on rentre chez nous et on se dit qu'on est champions olympiques, mais ce fut un incroyable ascenseur émotionnel."
Un an de plus pour bien préparer les chevaux
Fin août 2019, lors des championnats d'Europe à Rotterdam, les cavaliers français obtiennent leur qualification pour les Jeux de Tokyo. "Nous avions une équipe jeune, avec de nouveaux chevaux, je montais Vancouver de Lanlore qui n'avait encore jamais fait de championnat. L'objectif était de ramener la qualification pour les Jeux, ce que nous avons fait en nous classant quatrièmes, mais à l'arrivée nous étions quand même déçus car nous étions vraiment proches du podium. À une faute près, nous aurions pu faire encore mieux. Nous en voulons toujours plus, c'est cela les sportifs !"
Dès lors, dans ses écuries de Lécaude en Normandie, Pénélope Leprévost prépare sa monture pour les Jeux, sa troisième participation personnelle à l'évènement sportif planétaire. Elle s'y dirige en confiance. "Vancouver est encore jeune, mais il a fait un championnat d'Europe extraordinaire. Il arrivait juste à maturité. Comme tous les sportifs, ils ne peuvent pas sauter tous les week-ends. Pour bien le préserver, j'avais fait le choix de le mettre en vacances depuis décembre 2019 jusqu'à mars 2020. J'avais prévu un programme très précis pour le remettre en route. Le premier concours auquel nous avons participé, en mars, nous l'avons gagné. C'était le rêve. Je me suis alors dit 'le cheval est prêt, tous les voyants sont au vert' et là, avec le confinement, il a fallu l'arrêter à nouveau. Bref, en huit mois, mon étalon a disputé un concours et il l'a gagné".
"Ce qui a été différent pour moi durant le confinement", poursuit-elle, "c'est le rythme de mes semaines. D'habitude, je travaille dans mes écuries du lundi au mercredi ou au jeudi, puis il y a les concours, qui se déroulent à partir du vendredi. Je voyage, je prends l'avion, la voiture ou le train, et je vais retrouver mes chevaux qui sont déjà sur place pour les compétitions. Le confinement n'a pas changé mon quotidien à la maison, j'étais très occupée, je travaillais avec des journées normales, beaucoup de chevaux à monter, beaucoup de projets, j'avais des journées bien remplies dans un environnement extraordinaire."
"Ce qui était étonnant, c'est que le soir, à 18 heures ou 19 heures, j'en avais terminé ! Pas besoin d'organiser de voyages, pas besoins d'organiser les programmes des chevaux, rien de spécial avec les propriétaires étant donné que les chevaux ne faisaient rien de particulier. Ce changement de vie a été bizarre car je suis une personne hyperactive, mais l'avantage est que j'ai pu passer deux mois avec ma fille Éden, alors que d'habitude, je ne la vois qu'en début de semaine, même si elle m'accompagne parfois en compétition. J'ai pu faire des choses à fond… Mais au niveau rythme, je n'étais plus fatiguée, je pouvais me coucher tôt, plus besoin de voyager la nuit, plus besoin d'arriver à 3 heures du matin, plus besoin de se lever à 4 heures. Le rythme a carrément changé, mais j'ai travaillé normalement dans mes écuries durant toute cette période".
En apprenant le report d'un an des Jeux de Tokyo, Pénélope Leprévost en prend son parti.
"Ça n'est pas grave. Je me dis que mon cheval est jeune. L'an prochain, il sera en forme. Cela ne change pas grand-chose en ce qui me concerne, et l'année prochaine, j'aurai peut-être d'autres chevaux qui auront le potentiel d'aller à Tokyo et qui n'étaient pas encore prêts. Personnellement, ce n'est pas un problème que l'on décale d'une année. La décision était clairement la meilleure à prendre ; cela me paraissait infaisable vu ce que nous avons vécu ! Si on m'avait raconté ça, j'aurais dit mais non, c'est seulement dans les films ! Cela me laisse un an pour bien préparer Vancouver de Lanlore, et il y a Excalibur qui a beaucoup de talent, mais il manque d'expérience. Comme j'ai une écurie de chevaux à fort potentiel mais encore un peu jeunes, me donner un an de plus, c'est tout sauf un problème". Pour elle, la compétition reprend fin juin, et les concours internationaux vont dès lors s'enchaîner.
Un titre à défendre à Tokyo avant les Jeux à la maison en 2024
À Tokyo en 2021, il y aura un titre collectif à défendre, et des résultats individuels à améliorer autant que possible. "Il faut arriver avec son cheval prêt, ne pas en faire trop, ne pas en faire trop peu non plus car Il faut que les chevaux soient dans le coup. Puis on se donne à fond sur chaque parcours. C'est encore plus de pression par équipes, parce que l'on ne joue pas notre propre vie. C'est spécial au niveau émotionnel. Il faut tout donner, et si ça va au bout avec un titre individuel, c'est encore mieux ! Mais je n'y pense même pas. Je n'ai jamais été proche de faire quelque chose de bien en individuel aux Jeux, étant donné qu'à Londres comme à Rio, je n'ai pas atteint la finale. Si je pouvais faire mieux, ce serait parfait !"
Et puis… Trois ans plus tard, il y aura Paris 2024 pour lesquels la cavalière championne olympique se dit particulièrement motivée. "Nous le sommes déjà quand les Jeux se disputent au bout du monde, quelles que soient les températures ou le contexte, il est évident que c'est encore plus fort quand c'est à la maison ! Nous avons vécu des championnats du monde en 2014 en Normandie et l'atmosphère était incroyable, alors imaginez les Jeux ! Je compte bien y être. L'avantage de notre sport est que l'expérience nous rend meilleurs et que nous pouvons faire trente ans de carrière." Elle s'imagine donc encore concourir sur ses chevaux à l'âge de 60 ans.
Pénélope Leprévost concourt sur tous les terrains du monde dans le plus mixte des sports, car par définition, peu importe qui est sur le cheval, et comme elle le souligne, "un sélectionneur choisit le couple performant, peu importe que ce soit avec un homme ou une femme. En fait, je ne m'en rends même pas compte, je baigne là-dedans depuis mes débuts, j'ai l'impression d'être 'un cavalier' parmi tant d'autres. Femme ou homme, ça ne change rien, nous sommes vraiment d'égal à égal."
Amoureuse des chevaux et de son sport, compétitrice dans l'âme, Pénélope Leprévost explique pour conclure ce qui rend l'équitation si spéciale à ses yeux : "Nous sommes avec le cheval, à l'écoute de sa personnalité. D'un cheval à l'autre, on ne fait pas la même chose. Certains aiment bien qu'on les monte d'une manière particulière, et ce que je trouve génial dans mon sport, c'est arriver à faire couple avec le cheval et inciter un animal de 600 kg à faire exactement ce que l'on veut. Pesant entre 50 et 60 kg, je n'ai aucun problème à le monter du moment que la communication est bonne. Il ne suffit pas de donner le meilleur cheval au meilleur cavalier pour que cela fonctionne. C'est vraiment une alchimie qui se crée dans le couple. Et c'est là où nous les femmes, nous sommes douées, car nous sommes à l'écoute (rires… ) !"