En haut des tremplins de big air, des parks de slopestyle ou des halfpipes, des dizaines d’athlètes cherchent à récolter la meilleure note pour monter sur un podium. Mais sous leur dossard et leur casque se cachent avant tout des créateurs.
Des créateurs de mouvements, de figures et de positions qui au-delà de leur performance sportive impressionnent par leur style.
Un style libre.
La liberté est la condition sine qua non de l’invention. Et c’est ce que font constamment les freestyleurs, en ski ou en snowboard. Inventer, dépasser les limites et devenir des pionniers.
En 2021, la skieuse Mathilde Gremaud a fait les grands titres grâce à une performance qu’aucune autre fille au monde n’avait réussi avant elle : le switch double cork 1440.
En français ? Deux rotations avec la tête en bas accompagnées de quatre vrilles, le tout en partant de dos. Une figure qu’elle n’aurait « jamais cru pouvoir réaliser », mais la liberté et les possibilités que lui offre ce sport lui ont permis de s’affranchir des limites établies.
« Tu débarques et tu fais ce que tu as envie, en fait », expliquait la Suissesse au micro d’Olympics.com en novembre dernier, qui disputera la finale de ski big air femmes mardi 8 février, après sa sixième place obtenue lors des qualifications (7 février)
« Il y a quelques règles, certes. Il faut tourner à droite ou à gauche, sur différents axes… Mais en soi, c'est tellement libre que tu peux faire tout ce que tu veux ! »
LIRE AUSSI : Tess Ledeux en finale du ski big air à Beijing 2022, Hoefflin, Gremaud et Gu avec elle
Ça se passe sur Instagram
Ce qu’elle veut, c’est se faire plaisir sur la neige. Dans les airs, plutôt, au sein d’une communauté en pleine croissance où les nouvelles figures chez les filles deviennent une habitude. Dernière en date, le double cork 1440 (figure identique avec un départ de face) de la prodige chinoise Ailing (Eileen) Gu.
Médaillée d’argent en slopestyle lors des Jeux de PyeongChang 2018, Gremaud sait bien qu’un Switch 14, figure qui lui a permis de décrocher sa troisième médaille d'or aux X Games en 2021, ne suffira pas pour gagner, particulièrement lors de l’épreuve de ski big air féminin qui fera son apparition à Beijing 2022.
« J'ai vu des trucs et j'ai pu me rendre compte que je ne vais pas être seule avec un 14 ou plus aux J.O. », assure-t-elle.
Car aujourd’hui, la freestyleuse qui fêtera ses 22 ans le 8 février, jour de la finale de big air, n’a pas besoin de se mesurer aux autres en compétition pour se rendre compte du niveau en perpétuelle augmentation du free féminin.
Une scène alternative se produit sur Instagram. Comme en skate, tout les athlètes filment leurs nouvelles créations et les publient sur le célèbre réseau social. Une manière de savoir à quoi s’attendre lors des prochaines Coupes du monde, de s’inspirer pour étoffer son arsenal de tricks et de se faire plaisir en vibrant sur les performances de ses comparses.
« Quand tu connais ces émotions et que tu vois les edits des filles, tu te dis "wow, ça fait plaisir à voir". Quand je vois des trucs nouveaux, un peu plus créatif, avec de la progression, je ressens aussi l'adrénaline en regardant les vidéos ! Ça me donne juste envie de continuer et de faire partie de l'évolution du sport. »
« C'est toujours de la motivation, ça pousse à progresser. [...] Il y a une bonne dynamique, une bonne ambiance dans le freestyle féminin, qui nous donne envie de faire de la compétition et d'être meilleure que les autres, mais qui nous fait aussi très plaisir. »
Des airbags pour étendre la création
Depuis quelques années, un outil a permis aux freestyleurs de tenter des figures irréalisables de premier abord : l’airbag. Ces immenses coussins d’air étaient auparavant accessibles uniquement à l’élite, mais tout le monde du freestyle peut désormais tester de nouvelles tricks, les parfaire avant de les tenter sur la neige.
Un paramètre indéniable qui a contribué à la hausse du niveau général, mais également aux podiums imprévisibles.
« Avant les airbags, il y avait peut être un top 5 de filles avec des grosses tricks », remarque la vice-championne du monde de slopestyle 2021. « Aujourd’hui, je pense qu’il y a 10/15 personnes qui peuvent potentiellement être sur le podium en big air ou en slopestyle. Beaucoup de gens ont les capacités de faire les tricks. C'est juste que parfois ça fait un peu peur. Et l’airbag permet de se rendre compte que l’on est aussi capable. »
En d’autres termes, l’airbag permet d’optimiser l’expression de sa créativité. Et à l’instar du domaine artistique, certaines créations n’ont pas l’accueil escompté au premier coup d’œil.
« Je les compare aux tableaux d’artistes », amorce-t-elle. « Car parfois, lorsqu’ils sont peints, les gens se disent "c'est un joli tableau…" Puis 10 ans plus tard, ça devient "ah oui, c'est quand même un joli tableau !" C'est un peu la même chose avec les tricks. J'ai l'impression que ça prend toujours un ou deux mois, voire une saison, pour remarquer qu’elle est au dessus. »
L’exposition internationale de Beijing 2022
À PyeongChang 2018, elle avait terminé à un peu plus de trois points de sa compatriote et amie Sarah Hoefflin (88,20 points contre 91,20). « Quand j'y repense, si quelqu'un devait être devant moi, c'était Sarah », se rappelle Gremaud, qui partage régulièrement ses entraînements avec la championne olympique. « C'est bien de partager un podium avec quelqu'un d'aussi proche. »
Mais en République de Corée, Gremaud endossait le costume d’une jeune promesse de la discipline et ne faisait pas partie des favorites, d’autant plus qu’elle avait été victime d’une lourde chute la veille de la compétition, qui avait failli l’empêcher de prendre le départ. À Pékin, c'est désormais différent.
« [À PyeongChang], j'étais un dans l'ombre. C'est assez cool. […] Aujourd’hui, c’est drôle car les yeux sont rivés sur moi surtout avec le Switch 14, mais en fait, ils pourraient être rivés sur n'importe qui d’autre. »
L’objectif sera de remporter une deuxième médaille olympique. La couleur ? « Tant qu'elle n'est pas en chocolat, c’est tout bénef’ ! », ironise-t-elle.
Pour y parvenir, elle a déjà quelques idées.
« Enfin, j'ai clairement un plan, mais je ne préfère pas le dire. » Pourquoi dévoiler ses cartes lorsque l’on peut les exposer aux yeux du monde entier, lors de la plus grande exposition du sport international ?