Kelvin Kiptum : La vie de l'extraordinaire détenteur du record mondial du marathon, parti trop tôt

Le recordman du monde kenyan est décédé de manière tragique dans un accident de la route dimanche soir, à l'âge de 24 ans. La star du marathon Kelvin Kiptum, qui s'entraînait sans cesse, espérait battre son propre record du monde en avril à Rotterdam avant de remporter l'or olympique à Paris.

9 minPar Evelyn Watta
Kelvin Kiptum 
(Reuters)

Incroyable. Talentueux. Extraordinaire. Ambitieux. Super-star.

Voici quelques mots utilisés par des acteurs du monde du sport pour décrire Kelvin Kiptum, le détenteur du record du monde en marathon masculin, qui a perdu la vie de manière tragique lors d'un accident de voiture dans la ville de Kapsabet, située à l'ouest du Kenya.

Avec seulement trois marathons à son actif, Kiptum est passé d'un athlète kenyan en herbe à l'un des sportifs les plus performants en course à pied longue distance sur route.

Grâce à son chrono de 2 h 00 min 35 s lors du marathon de Chicago 2023, il a pulvérisé le record du monde de 34 secondes.

C'est ausssi à ce moment-là que le monde entier a vraiment pris conscience de son talent extraordinaire.

Après cette course, il est devenu le premier homme à terminer un marathon en moins de deux heures et une minute. Nombreux sont ceux qui le considéraient alors comme la prochaine super-star sur cette distance mythique de 42,195 km. Kiptum était aussi devenu l'un des grands favoris pour décrocher l'or olympique cet été à Paris 2024.

Lorsqu'il est décédé ce dimanche 11 février, il ne lui manquait plus qu'une seule course avant de réaliser son rêve. Kiptum devait en effet participer au marathon de Rotterdam le 14 avril, une course qui aurait pu confirmer davantage son statut de star (plus que) montante, car il avait pour objectif de battre son propre record dans cette ville des Pays-Bas.

Malheureusement, on n'aura plus jamais l'occasion de le voir exprimer tout son potentiel. Ni d'assister à ce qui aurait pu être l'un des marathons olympiques les plus palpitants, avec un duel Kiptum/Kipchoge dans la capitale française cet été.

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Comment Kelvin Kiptum a rapidement connu la gloire à Valence et à Londres

L'année 2023 aura été importante dans tous les sens du terme pour Kelvin Kiptum.

Lors de sa course sous la pluie pendant le marathon de Londres en avril, où il s'est imposé en 2 h 01 min et 23 s, il avait alors signé le deuxième meilleur temps de l'histoire.

Ce jour-là, il lui avait manqué à peine 16 secondes pour égaler le record du monde d'Eliud Kipchoge, enregistré à Berlin en 2022. Mais Kiptum était tout de même devenu le plus jeune athlète à terminer un marathon sous la barre des 2 h 02 min.

Après avoir couru le marathon le plus rapide de l'histoire pour un premier essai sur cette distance (2 h 01 min 53 s) seulement quatre mois plus tôt, la jeune star du Kenya pensait pouvoir aller encore plus vite.

« Je sais que je peux courir en 2 heures environ », avait-il déclaré à Olympics.com avant de partir à Chicago pour son troisième marathon en octobre dernier.

« C'est tout à fait possible de courir en 2 h 00. Peut-être pas tout de suite, car je suis encore jeune », avait-il ajouté.

En 2019, lorsque Kipchoge avait repoussé les barrières de la course de fond longue distance en devenant le premier homme à parcourir les plus de 42 km en moins de deux heures, Kiptum n'avait alors jamais terminé un marathon complet.

À cette époque, celui qui débutait en semi ne pouvait que s'émerveiller devant le temps réalisé par Kipchoge sur la distance supérieure en 1 h 59 min 40 s. Mais au vu des conditions de ce marathon, couru lors d'une course organisée spécialement pour Kipchoge et plusieurs meneurs d'allure dédiés, son chrono n'avait pas pu être homologué en tant que record du monde.

Après avoir goûté à la gloire à Valence en décembre 2022, alors qu'il n'était relativement pas connu dans le monde du marathon, Kiptum avait repris confiance en ses capacités à devenir l'un des meilleurs dans cette discipline.

« Valence… c'était le début de l'aventure marathon, et j'étais tellement heureux ! Mon objectif à Valence était de courir en 2 h 04 min, voire 2 h 05 min… Et j'ai couru en 2 h 01 min. Mais en y repensant avec du recul, avant Valence j'avais fait l'un de mes meilleurs entraînements pour le marathon avec plusieurs courses longues de qualité. »

Kelvin Kiptum après sa victoire au marathon de Londres 2023 où il a battu le record de cette course.

(USA TODAY Sports)

Kelvin Kiptum : L'homme qui s'entraînait sans cesse

Ces longues courses résumaient bien l'essentiel de la vie de Kelvin Kiptum.

Il avait commencé le footing sur les chemins de terre dans sa ville natale de Chepkorio, dans le comté d'Elgeyo Marakwet, vers l'âge de 13 ans. Et comme beaucoup de garçons qui ont grandi dans cette région du Kenya, connue pour la course à pied, son plus grand rêve était de devenir un athlète.

Kiptum croyait qu'il deviendrait l'un des meilleurs talents issus d'une région fructueuse, à l'image du double vainqueur du marathon de New York Geoffrey Kamworor, qui est originaire du même village.

L'adolescent a alors travaillé d'arrache-pied pour tracer son propre chemin.

« Quand j'ai commencé à m'entraîner, je courais avec les marathoniens et les athlètes sur route, et je me suis retrouvé moi-même à faire des courses sur route très jeune. Et, de nouveau, là où je m'entraîne il n'y a pas de piste », avait-il expliqué à Olympics.com en pensant à sa décision de ne pas faire d'athlétisme sur piste.

« Je n'avais pas les moyens financiers de voyager jusqu'à Eldoret ou d'aller au stade Kipchoge Keino pour faire quelques séances sur la piste. »

Alors qu'il n'avait que 18 ans, il a remporté le semi-marathon d'Eldoret en 2018 avec un chrono de 1 h 02 min 01 s, avant de terminer premier du semi du Lion en France, dans le Doubs, en 59 min 53 s.

« En réalité, à cette époque-là je m'entraînais déjà pour le marathon, mais je n'avais pas eu l'occasion de courir le marathon. Je me suis dit 'j'attends encore deux ou trois ans de plus avant de courir le marathon'. »

Kelvin Kiptum célèbre son record du monde du marathon à Chicago

(Michael Reaves/Getty Images 2023)

Kelvin Kiptum s'est entraîné tout seul pendant des années avant de commencer à travailler, en 2021, avec Gervais Hakizimana qui avait représenté le Rwanda aux Championnats du monde de semi-marathon 2008 et 2009. Le coach rwandais, qui est aussi décédé dans cet accident de voiture tragique avec Kiptum, avait l'habitude de s'entraîner dans cette région du Kenya, connue pour sa haute altitude, où ils avaient tissé des liens d'amitié.

« Il s'amusait souvent avec moi en rassemblant le troupeau de sa famille lorsque je venais m'entraîner en montée près de leur maison », avait confié Hakizimana dans un article pour Nation, publié en octobre 2023 (en anglais). « Et à la longue, on a commencé à courir ensemble ».

C'est également Hakizimana qui avait révélé au monde entier le régime d'entraînement exténuant de Kiptum.

Les jours de récupération ou de congé étaient rares pour l'athlète de 24 ans, qui ne faisait que « courir, manger et dormir ». Dans une interview pour l'AFP, l'entraîneur expliquait que Kiptum pouvait courir de longues distances le lundi, le mercredi, le jeudi, le vendredi et le dimanche. Et qu'il réservait la journée du mardi aux séances de fartlek (forme de fractionné) sur piste.

Cependant, d'autres révélations avaient suscité davantage d'étonnement quant au rythme d'entraînement de Kiptum. Car il pouvait parcourir 40 km le jeudi et le dimanche, à l'allure d'un marathon !

La seule fois qu'il a été contraint de ralentir, c'était lorsqu'il est tombé malade deux semaines avant le marathon de Chicago. Dans un premier temps, il avait envisagé de se retirer de la course, mais finalement son coach l'a convaincu d'y participer.

« Il est soudainement tombé malade il y a deux semaines, ce qui a affaibli son corps », racontait Hakizimana à cette période. « Son état général a empiré à cause d'une amygdalite aiguë qui a fait gonfler son cou. J'ai dû gérer la situation en lui disant qu'il ne pouvait pas rater la course à Chicago. »

Une situation qui rend la dernière grande victoire de Kiptum encore plus spectaculaire.

L'esprit visionnaire de Kelvin Kiptum : « Je pense que 2024 sera une bonne année pour moi ! »

Tout au long du marathon de Chicago, où il a battu le record du monde, le Kenyan n'a jamais semblé fatigué. Il était calme et paraissait même rajeuni en franchissant la ligne d'arrivée à l'issue de ce parcours essentiellement plat.

Dans l'esprit des gens, il y avait peu de doutes quant à sa capacité à courir plus vite s'il avait eu un concurrent direct auquel se confronter sur la dernière partie de la course.

Et, après avoir enregistré le meilleur temps de l'histoire pour son troisième marathon seulement, le jeune Kenyan avait décidé de se tester en 2024 sur les routes complètement plates du marathon de Rotterdam, aux Pays-Bas.

Pour cette année olympique, c'était comme si Kiptum avait presque des occasions infinies de briller.

« Je veux y retourner [à Rotterdam] pour courir vite », avait déclaré l'athlète avec enthousiasme lors d'une conférence de presse où il confirmait ses projets de marathon en 2024.

« Ce parcours plat se prête aux chronos rapides… J'essaierai au moins de battre mon record du monde là-bas. Je sais que j'en suis capable si ma préparation se passe bien et si les conditions sont acceptables. Et dans ce cas, je ne serai pas loin de passer sous la barre des deux heures, donc pourquoi pas tenter de l'effacer ? Ça peut paraître ambitieux, mais je n'ai pas peur de me fixer ce genre d'objectifs. L'énergie humaine ne connaît pas de limite. »

Comme toujours, Kiptum était posé, clair et précis lorsqu'il faisait part de ses objectifs. L'homme qui ne cessait jamais de s'entraîner était clairement dans la course pour redéfinir les possibilités du marathon.

L'autre objectif figurant sur sa liste de choses à faire, c'était le marathon olympique de Paris 2024, où il aurait pu avoir l'opportunité de livrer un face-à-face avec son compatriote Kipchoge lors d'une course mémorable.

« Je pense que 2024 sera une bonne année pour moi ! », avait-il déclaré. « Après Rotterdam, c'est les Jeux Olympiques. Je serai heureux de participer aux JO et de remporter peut-être la médaille d'or. »

Malheureusement, la carrière et la vie de Kiptum se sont arrêtées trop tôt. Mais ses déclarations pleines de passion continueront à inspirer d'autres athlètes pour saisir l'occasion de poursuivre son rêve : courir un marathon en moins de deux heures...

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