Exclusif - Eliud Kipchoge explique pourquoi il ne veut pas s’arrêter : « Je veux raconter une nouvelle histoire »
Dans une interview exclusive avec Olympics.com, le double champion olympique kényan a partagé ses objectifs futurs, ainsi que ses préoccupations concernant la tendance « inquiétante » du dopage dans son pays d’origine.
Bien qu’il n’ait pas de nouvel objectif précis pour le moment, Eliud Kipchoge est de retour à l’entraînement après plusieurs semaines passées à se défaire de ce qu'il considère comme son « pire marathon ».
« C’était difficile », admet celui qui a goûté à la déception, à la douleur et à la tristesse de l'échec aux JO de Paris 2024.
La légende de l'athlétisme qui visait un triplé olympique inédit n’a pas perdu sa flamme intérieure, même s’il n’a pas pu terminer les 42,195 km pour la première fois de sa carrière.
« Le souvenir que j’ai, c’est le DNF (ne pas avoir franchi la ligne d'arrivée). Cela m’a surpris », confie-t-il dans une interview exclusive avec Olympics.com, à propos de sa cinquième participation olympique. « Je n’avais jamais vécu cela auparavant ».
Paris était censé être son dernier marathon olympique, mais Kipchoge a précisé qu’il ne s’agissait pas d’un adieu définitif à la compétition. Sa carrière qui avait commencé avec l’or mondial sur 5 000 m il y a 21 ans, également dans la capitale française, n'est pas terminée.
« J’ai dû prendre du temps pour m’ajuster. Pour comprendre ce qui s’est passé. Juste reprendre et avancer. C’était difficile. Mais je pense que je vais bien m’en sortir », a-t-il ajouté, offrant une évaluation honnête de ses sentiments.
L'ancien recordman du monde du marathon s’est retiré après 30 km, un scénario impensable quelques mois auparavant, compte tenu de son impressionnant record de 23 arrivées en 23 départs.
Kipchoge, premier homme de l’histoire à courir un marathon en moins de deux heures (dans des conditions de course non officielles), promet de continuer à concourir.
« Tout le monde parle d’arrêter quand on est au sommet. Je veux écrire une nouvelle histoire. »
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Eliud Kipchoge : se relever et reprendre l'entraînement « petit à petit »
La carrière impressionnante d’Eliud Kipchoge peut être divisée en deux parties : d'abord comme coureur de fond sur piste, puis comme marathonien sur route. Son objectif a toujours été de transformer la douleur en succès, se lançant constamment de nouveaux défis.
Après avoir décroché des médailles aux Jeux Olympiques d'Athènes 2004 et de Pékin 2008, Kipchoge a traversé une période d’incertitude en échouant à se qualifier pour l’équipe kényane aux Jeux Olympiques de Londres 2012.
C’est alors qu’il s’est tourné vers le marathon, trouvant dans les rues une nouvelle voie pour s’élever. Aujourd'hui, il se retrouve à un nouveau carrefour.
Après 22 ans de compétitions internationales, incluant l'un des plus grands exploits athlétiques de l'ère moderne – une série ininterrompue de dix victoires sur marathon entre 2014 et 2019 – Kipchoge atteint un autre moment clé de sa carrière prolifique.
Même la déception des derniers Jeux Olympiques ne saurait ralentir celui qui est l'un des meilleurs marathoniens de tous les temps. De retour à sa base d'entraînement en haute altitude à Kaptagat, il reprend progressivement la course sur les sentiers de la Great Rift Valley.
« J'ai repris l'entraînement depuis trois semaines, mais c’est petit à petit. Je veux atteindre mon pic progressivement », a-t-il déclaré dans une interview avec Olympics.com depuis son domicile à Eldoret.
« Je suis toujours motivé. J’ai encore des objectifs. Mais je veux revenir à la forme tranquillement. »
Eliud Kipchoge : « Je veux encore courir quelques marathons »
Pour un homme qui a toujours défini des objectifs précis pour la plupart de ses séances d'entraînement, Kipchoge prend son temps. Lors de son interview, il a répété le mot « lentement » huit fois, prouvant qu’il n'est pas pressé. Il ne l'a jamais été.
Après 21 ans de compétition, la légende qui a redéfini le marathon et inspiré le monde s’accorde le temps de se ressourcer. Mais même sans prochaine course en vue, son éthique de travail et son inébranlable concentration demeurent intacts.
« J'ai encore beaucoup de choses devant moi, » affirme-t-il d’un ton calme et posé, pleinement conscient des appels à mettre fin à sa carrière légendaire.
Je veux encore retrouver la forme et courir quelques… marathons. Je me concentre simplement sur mon retour en forme.
Avec Eliud Kipchoge, ce n'est pas une question de s'arrêter au sommet
Malgré un coup porté à sa confiance après sa « pire performance » et sa cinquième défaite en marathon, Eliud Kipchoge a l’intention de continuer d'avancer.
Il souhaite finir sa carrière selon sa propre volonté et défier l'usage qui prône de se retirer au sommet.
« Je veux raconter une nouvelle histoire où je n’ai pas [toujours] besoin de courir très vite », a-t-il déclaré, les yeux convaincu que sa longévité sera sa force.
Cette année a été difficile pour lui sur la route, avec notamment sa pire place en marathon, une 10e place lors du Marathon de Tokyo 2024.
Malgré cela, Kipchoge rappelle que le sport est un espace où il est permis d'échouer.
« Ceux qui comprennent le sport savent que demain est un autre jour. »
« Si vous êtes boxeur, lorsque vous êtes mis à terre, ce n'est pas votre moment pour vous retirer. Mais aussi, quand vous mettez quelqu’un à terre, ce n'est pas le jour pour arrêter. C’est ce que vous portez sur vos épaules qui vous fait avancer, et non ce que dit la population en général, » a-t-il expliqué, alors qu'il s'apprête à fêter ses 40 ans en novembre, en réponse aux questions sur le fait de savoir s’il est sur le déclin.
Pour Kipchoge, la carrière d’un athlète n’est pas uniquement définie par les victoires mais aussi par la capacité à persévérer, à relever de nouveaux défis et à faire preuve de résilience face aux revers.
Eliud Kipchoge sur son futur d'entraîneur
Eliud Kipchoge envisage son futur avec précaution. Avec son CV, il ne manque pas d'options, mais se faire un nom dans l'athlétisme mondial en tant qu'entraîneur ne fait pas partie de ses projets.
« Je ne pense pas que le coaching m'irait. Quand j'ai fait ce que j'ai prévu de faire, je ne me vois pas entraîner », explique le deuxième marathonien le plus rapide de l'histoire derrière le regretté Kelvin Kiptum qui a battu son record du monde au marathon de Chicago 2023 en 2 h 00 min 35 s.
« Je suis prêt à soutenir les athlètes si on vient me voir pour des conseils, de la motivation ou de l'inspiration en leur disant ce qu'il faut. C'est ça que je vais faire ! Je peux les soutenir quand ils sont en difficulté, ou même en réussite. Mais c'est vraiment minime pour moi de mettre mon esprit dans le coaching. »
Et pourquoi pas l'administration ?
« Ça me semble un peu mieux, mais le future nous le dira », répond-t-il avec nonchalance.
Le Kényan est plus concentré sur la philantrophie à travers les actions pour l'environnement et l'éducation de sa fondation. La Fondation Eliud Kipchoge construit actuellement des classes pour une école primaire locale à proximité du camp de Kaptagat.
Le premier Kényan à avoir participé à cinq éditions des JO est aussi convaincu d'avoir atteint la ligne d'arrivée de son aventure olympique en tant qu'athlète. Il sait déjà que son rôle sera différent aux Jeux de Los Angeles 2028.
« Il y a toujours la possibilité de faire autre chose en mettant un pied devant l'autre pour inspirer tout en restant dans le monde de l'athlétisme. »
Eliud Kipchoge a aussi été nommé ambassadeur de bonne volonté de l'UNESCO et y a réagi sur Instagram. « Ce moment n'est pas qu'un accomplissement personnel, mais un reflet du pouvoir d'inspirer, de réunir et de transformer des vies que le sport a. Le sport a toujours été plus qu'une compétition, c'est un langage universel qui enseigne le travail d'équipe, la discipline et l'importance de l'intégrité. Ces valeurs ont façonné mon parcours d'athlète et continue de me guider dans tout ce que je fais. »
Eliud Kipchoge est inquiet par la menace du dopage au Kénya : « on manque de morale »
Eliud Kipchoge est mesuré quant à son avenir, mais l'homme, dont la carrière a été jalonnée par de nombreuses premières, est inquiet face au dopage qui menace de diluer le talent des jeunes athlètes kényans.
« C'est vraiment dommage que les jeunes filles et garçons veulent prendre des raccourcis vers leur futur. Ils manquent de morale », confie-t-il à Olympics.com.
« On manque de mentors, de gens qui montrent la voie à suivre. La plupart des gens parlent d'argent. On manque de légendes de sport, parce qu'on a 80 à 90 % d'athlètes qui veulent de l'argent pour construire une grande maison, acheter une grande voiture, profiter de la vie. L'état d'esprit qu'il faut avoir, c'est vouloir devenir une légende, courir, battre des records du monde, des records de longévité... »
Eliud Kipchoge reconnaît que la responsabilité incombe aux athlètes, mais qu'avec la menace se propageant maintenant aux jeunes athlètes, un effort supplémentaire doit être fait pour éduquer les entraîneurs et les managers avec le programme anti-dopage et même élargir les enquêtes.
« On a un gros travail à faire pour éduquer les gens. Je leur dis toujours [aux athlètes], si vous conduisez une voiture sur une super autoroute et vous vous concentrer sur les rétroviseurs, vous allez toujours vous crasher », philosophe Eliud Kipchoge.
« C'est la même chose si l'argent vous préoccupe, vous allez ni performer, ni prendre des raccourcis pour réussir à performer. La plupart de ceux qui gèrent tous ces athlètes manquent d'éducation. Ils n'ont pas le savoir-faire pour organiser le sport. Ils ne considèrent pas le sport comme une profession, mais comme une affaire, une scène juste pour gagner de l'argent et et avancer ce qui est regrettable. »