Des skippers croates qualifiés de "personnes en or dotées d'un véritable esprit sportif" pour avoir aidé leurs amis danois à remporter l'or

Lorsque le mât du bateau des Danois Jonas Warrer et Martin Kirketerp se brise juste avant le départ de leur dernière course aux Jeux Olympiques de Beijing 2008, les deux athlètes sont "au plus bas". Mais, heureusement, des "mecs très sympas" leur viennent en aide et changent leur vie à jamais...

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Des skippers croates qualifiés de "personnes en or dotées d'un véritable esprit sportif" pour avoir aidé leurs amis danois à remporter l'or
(Getty Images)

Les skippers croates Pavle Kostov et Petar Cupac ont eu un impact considérable sur le classement final de la compétition masculine de 49er à Beijing 2008, alors qu'ils n'ont même pas participé à la dernière course. Par contre, leur bateau y était.

En effet, les deux Croates ne se sont peut-être pas qualifiés pour la finale de la compétition, mais ils ont joué un rôle clé dans son dénouement. Les favoris Jonas Warrer et Martin Kirketerp ont dû se battre pour concourir lorsque leur mât s'est brisé juste avant le départ et ce sont les Croates qui sont venus à leur rescousse en leur proposant d'utiliser leur bateau.

Gagner l'or, c'est plutôt bien, mais le gagner après avoir été absolument persuadé que l'on ne faisait plus partie de la compétition, c'est encore mieux.

Nous sommes passés de l'un des moments les plus sombres de notre vie à l'un des plus heureux en l'espace d'une heure, raconte Martin Kirketerp. Martin Kirketerp - Martin Kirketerp

Nous n'en serions jamais arrivés là sans les Croates. Je leur offrirai une bière à chaque fois que je les verrai pour le restant de mes jours."

Les deux Danois, Martin Kirketerp et Jonas Warrer, avaient dominé le début de la compétition olympique et jouissaient d'une avance confortable de 11 points pour la 13e et dernière course. Il leur suffisait de terminer au minimum septièmes pour remporter l'or. À l'aise sur les eaux troubles, ils étaient confiants sur la mer Jaune en dépit de vents forts.

"Nous avions juste à prendre la mer et à terminer ce que nous avions entamé. Tout était entre nos mains. Nous ne dépendions pas des performances des autres skippers, ce qui était évidemment très agréable pour une finale, explique Martin Kirketerp. Mais nous savions que ce n'était pas encore fini. C'était une course de 49er, il y avait énormément de vent et la mer était très agitée."

En chemin vers le départ, leur course vers la médaille d'or a malheureusement pris un terrible tournant : leur mât s'est brisé et, avec lui, leurs rêves de gloire.

"Le spinnaker s'est pris une vague et le gréement s'est tout simplement cassé. Nous avons eu l'impression que nos vies venaient de s'arrêter, confie le skipper.

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Nous étions vraiment au plus bas. Nous n'avions jamais cassé de gréement au cours de nos quatre années à naviguer ensemble. Je n'arrivais même pas à regarder Jonas. Je me sentais tellement mal et triste que le voir tout aussi triste n'aurait fait qu'empirer les choses. Le silence pesait autour de nous alors que nous dérivions sur la mer de Chine. Je me souviens de ma déception à l'idée de devoir faire face à toutes les personnes qui nous soutenaient avec ferveur. J'avais l'impression que nous les avions laissées tomber, à l'image du gréement."

Leur bateau ne pouvant pas les amener dans la marina, le duo a dû être remorqué par son entraîneur Jesper Bank, double champion olympique de quillard à trois équipiers, qui a refusé qu'ils abandonnent.

"Je me souviens qu'il nous disait : 'Les garçons, faites quelque chose ! N'importe quoi, mais faites quelque chose, prenez un autre bateau, peu importe, mais ce n'est pas encore fini', se remémore Martin Kirketerp. Et là, mon esprit est soudainement passé de 'tu es exclu de la compétition' à 'ce n'est pas encore fini' et 'il faut qu'on fasse quelque chose, allons prendre un autre bateau'."

Toutes les équipes qui ne s'étaient pas qualifiées pour la dernière course avaient déjà retiré leur bateau, à l'exception des Croates.

"Il y a eu tellement de coïncidences, se souvient Ivan Bulaja, entraîneur de l'équipe croate. Nous savions que nous allions encore passer quelques jours là-bas, alors nous étions allés à une fête en nous disant : 'on le laisse comme ça et on s'en occupera un autre jour'."

Un journaliste croate assis juste à côté d'un collègue danois dans la salle de presse a vu ce qui s'était passé et a appelé les deux skippers croates et leur entraîneur pour savoir s'ils accepteraient de prêter leur dériveur aux Danois, désespérés de ne pas pouvoir aller décrocher l'or. S'apprêtant à assister à la finale depuis leur hôtel, le trio croate s'est immédiatement précipité vers la marina pour aider les Danois à préparer leur bateau.

"Il fallait compter cinq à dix minutes de marche jusqu'au bord de l'eau, mais il était déjà presque l'heure du départ, donc quand nous avons décidé de les aider, nous avons tout simplement couru jusqu'à la marina", explique Peter Cupac.

Martin Kirketerp et Jonas Warrer avaient déjà commencé à préparer le bateau croate en espérant que ça ne dérangerait pas ses propriétaires.

"Nous étions en train d'installer le bateau, lorsque j'ai aperçu les gars courir vers nous. Ils ne trottinaient pas, ils couraient même très vite. Je ne savais pas encore si c'était pour nous aider ou nous arrêter, révèle Martin Kirketerp.

Mais quand ils sont arrivés, ils ont juste été géniaux. Il n'a pas été question de savoir qui paierait si nous cassions le bateau. Je crois qu'ils n'ont même rien dit. Ils nous ont juste aidés en allant le plus vite possible et c'était totalement naturel pour eux : 'ces mecs ont besoin d'un bateau, on a un bateau, alors ils vont prendre notre bateau'. Ce sont vraiment des personnes en or qui ont vraiment prouvé ce que signifie l'esprit sportif." Avec l'aide des Croates, le bateau allait bientôt être prêt à prendre la mer.

"Je devais aller chercher quelque chose, donc j'ai quitté le bateau qui était loin d'être prêt, et quand je suis revenu au bout de deux minutes, ils avaient presque fini, raconte Jonas Warrer. Les Croates et plein d'autres personnes nous ont aidés à préparer le bateau à la vitesse de l'éclair. C'est à cet instant que j'ai commencé à me dire qu'on allait peut-être pouvoir participer à cette course finalement."

Avant de regagner leur chambre d'hôtel pour regarder la course, Ivan Bulaja se souvient encore parfaitement d'avoir vu les Danois s'éloigner sur leur nouveau bateau :

"Il y avait une dizaine de personnes pour les aider à préparer le bateau le plus vite possible et tout le monde les a applaudis et encouragés quand ils sont partis. Nous espérions tous qu'ils arriveraient à temps et nous avions l'impression qu'ils avaient déjà gagné." Pourtant, la médaille d'or était encore loin d'être acquise pour les deux équipiers. Ils devaient d'abord arriver sur la ligne de départ à l'heure. En effet, s'ils arrivaient cinq minutes après le départ de leurs concurrents, les Danois n'auraient pas le droit de participer à la course. L'heure tournait.

"C'était comme dans un film. Dès que nous avons quitté la marina, j'ai entendu le coup de sifflet du départ, se rappelle Martin Kirketerp. La ligne de départ était à environ quatre minutes de nous et nous l'avons franchie quatre minutes et 57 secondes plus tard. C'était de la pure chance. Nous n'avions vraiment pas eu de chance quand notre gréement s'est cassé, mais ces trois ou quatre secondes ont changé nos vies. C'était magique. Incroyable."

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Le bateau des Croates était fait pour des vents plus calmes, donc les deux équipiers danois se sont vraiment concentrés sur le fait de le maintenir à flot, alors que les autres équipes, quelques minutes devant eux, se démenaient pour la victoire.

"Nous pouvions voir que plusieurs bateaux n'arrêtaient pas de se retourner et de chavirer, donc nous nous sommes dit : 'nous n'avons pas réellement besoin de gagner cette course', explique Martin Kirketerp.

Il y a toujours un ou deux bateaux qui n'utilisent pas le spinnaker dans le sens du vent. Ils ne gagnent pas la course, mais ils finissent toujours très bien classés, dans le premier tiers de la flotte, donc nous nous sommes dit : 'si on peut dépasser quelques bateaux, ça nous suffit'. Ce fut une course chaotique. Dans ces conditions, la seule chose que l'on peut faire, c'est s'occuper de son propre bateau et de survivre à la course. Nous ne voulions pas casser un autre gréement. La seule tactique à avoir, c'est de maintenir la proue droite. C'est la meilleure chose à faire." En voyant le tableau d'affichage à l'arrivée, ils ont vu qu'ils avaient réussi à se classer septièmes et donc à décrocher la médaille d'or.

"C'est le plus beau tableau d'affichage que j'ai vu de ma vie, s'exclame Martin Kirketerp. Je pense qu'il n'y a rien de mieux comme sensation. C'est une sensation que l'on peut essayer de se remémorer lorsque l'on se sent mal. La preuve que rien n'est fini tant que ce n'est pas vraiment, vraiment, vraiment fini. Faites preuve d'imagination et tentez le tout pour le tout, dans le respect des règles évidemment."

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Dans leur pays natal, Jonas Warrer et Martin Kirketerp avaient atteint un nouveau niveau de renommée, tout comme leur sport. La seule autre équipe danoise en lice aux Jeux de Beijing 2008 à avoir égalé leur exploit fut celle d'aviron à quatre en pointe sans barreur poids légers.

"Notre retour au Danemark a été tout simplement fou. Soudain, tout le monde savait ce qu'était un 49er et tout le monde s'intéressait à la voile, se souvient Jonas Warrer.

Encore aujourd'hui, des gens m'abordent pour me dire : 'je me souviens où j'étais ce fameux dimanche et c'était tout simplement incroyable'. C'est absolument extraordinaire ce qu'il s'est passé ce jour-là et ce qui en a découlé." Les deux coéquipiers danois n'oublieront jamais l'aide des Croates. Ces derniers leur ont d'ailleurs fait une surprise en participant à un gala organisé à Herning au Danemark en janvier 2009.

Ainsi, alors que les médaillés d'or étaient sur scène pour recevoir le prix de la meilleure performance sportive danoise, Pavle Kostov et Petar Cupac sont entrés dans la salle munis d'une voile olympique croate de 49er.

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"Tout le monde s'est levé pour les applaudir et les acclamer. C'était un moment magique. C'est difficile d'en parler sans être ému pour être honnête, avoue Martin Kirketerp. C'est l'un des plus beaux moments de ma vie. Nous avons beaucoup fait la fête avec eux. Tous les skippers célébraient les Croates. Je crois que durant les semaines qui ont suivi, ils n'ont jamais eu besoin d'avoir de l'argent sur eux pour se payer des bières. Nous sommes amis pour la vie. Nous étions déjà amis avant, mais ils occupent désormais une place très spéciale dans nos cœurs. Ce sont vraiment des gars en or."

Les trois Croates ont reçu la prestigieuse médaille Pierre de Coubertin du Comité International pour le Fair-Play, nommée ainsi en l'honneur de l'ancien président du CIO et fondateur des Jeux Olympiques modernes.

"C'est un grand honneur, explique Ivan Bulaja. C'est apparemment un prix très précieux, mais je n'ai pas l'impression que nous ayons fait quelque chose d'extraordinaire. C'est quelque chose que l'on fait au quotidien, que l'on fait pour ses amis et sa famille. Entre skippers, si quelqu'un a besoin d'une pièce de rechange ou de quoi que ce soit, tout le monde aide. Nous sommes une communauté. Si quelque chose se casse sur le bateau de quelqu'un d'autre, vous ressentez leur peine, parce que vous savez ce que ça fait quand ça vous arrive à vous ou à vos skippers."

Impressionné par le classement des Danois alors qu'ils utilisaient un bateau totalement différent, Petar Cupac espère également que n'importe qui aurait fait de même.

"Ils n'ont vraiment pas eu de chance. Voir son mât se briser, c'est devoir dire adieu à un rêve entretenu depuis quatre ans à cause d'un souci matériel. Nous étions donc très heureux de pouvoir les aider et qu'ils aient réussi à gagner", déclare-t-il.

Les Danois et les Croates se retrouvent encore lors de compétitions de voile, liés à jamais par la journée difficile du 17 août 2008.

"S'ils n'avaient pas été là, rien de tout ça ne serait jamais arrivé, confie Jonas Warrer. Ils auraient pu dire : 'vous ne pouvez pas prendre notre bateau' et ils auraient eu tout à fait le droit. Donc le fait qu'ils aient dit 'd'accord, pas de problème' et nous aient même aidés à préparer le bateau est une véritable preuve de leur esprit sportif."

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