De spectateur à premier Béninois à se qualifier aux JO en aviron : l’histoire de Privel Hinkati
Après une grande déception quatre ans plus tôt, Privel Hinkati s’est qualifié pour Tokyo 2020. Il était dans le public des Jeux de Pékin 2008, Londres 2012 et Rio 2016, même s’il n’a pas pu participer. Avec un travail à temps plein et des journées s’étalant à 5h à 20h, il a finalement réalisé son rêve olympique. Le Béninois est un symbole du rêve olympique.
Jeux Olympiques de Londres 2012. Finale du 400 m féminin. Ce moment a changé la vie de Privel Hinkati, premier athlète béninois à se qualifier en aviron.
Hinkati n’a joué aucun rôle dans la capitale anglaise. Il était simplement assis dans les tribunes du stade olympique avec sa grande soeur Pernelle. C’était les deuxièmes Jeux auxquels ils assistaient ensemble. Mais cette soirée lui a donné le déclic.
« C’est ça que je veux faire », a-t-il affirmé à sa soeur.
C’est ainsi que son périple olympique a commencé.
Le rameur de 31 ans savait bien dans quel sport il tenterait de participer aux Jeux. Mais ce qu’il ne savait pas, c’était sous quel drapeau. Né de deux parents béninois à Caen, Privel avait le choix entre la France et le Bénin.
« Ok, mais tu veux défendre les couleurs de la France ou du Bénin ? » lui a répondu sa soeur.
« Le Bénin, je crois. Ce serait plus fort », a-t-il tranché. « Pour la France, ce serait sportif. Alors qu’avec le Bénin, je devrais tout commencer à zéro : pas de fédération, pas de fonds, pas de bateaux… Rien. Personne ne connait ce sport là-bas. C’est pour cela que j’ai choisi le Bénin. »
Le goût des Jeux
Hinkati s’est qualifié pour Tokyo 2020 en octobre dernier lors des Championnats d’Afrique en Tunisie, terminant cinquième de sa finale. À ce moment précis, il savait qu’il irait aux prochains Jeux Olympiques dans la peau d’un athlète et non pas d’un spectateur.
Le rêve de toute une vie.
Derrière tout athlète olympique se cache une histoire olympique. Pour Hinkati, elle est plutôt spéciale. C’est avec sa soeur que Privel a assisté aux trois dernières éditions des Jeux. Il a même eu l’opportunité d’aller à Athènes 2004 mais il a préféré donné sa place à un autre enfant car il était le plus jeune.
Pour Hinkati, toutes ces éditions ont une saveur particulière.
« À Pékin, la foule m’a impressionné. Nous sommes arrivés deux semaines avant les Jeux et tout était calme. Quelques jours après, des millions de personnes de partout. À Londres, le stade olympique tremblait. J’ai vraiment senti la tension des courses. À Rio, je me souviens de la finale du deux de couple poids légers masculin, où les Français Pierre Houin et Jérémie Azou ont remporté l’or. L’ambiance était superbe. »
Présenter l’aviron au Bénin
Les Jeux Olympiques de Rio 2016 auraient pu être difficiles à vivre. Quatre ans plus tôt, il a travaillé dur pour pour réaliser son rêve de représenter le Bénin en aviron à Rio.
Travailler dur ne veut pas dire s’entraîner dur. Enfin si, évidement, mais ce n’est qu’une partie de l’aventure. En 2012, lorsqu’il a décidé de représenter le Bénin en aviron, un sport qu’il a commencé à l’âge de 14 ans, aucune fédération n’existait dans ce petit pays d’Afrique de l’ouest, situé entre le Togo et le Nigéria.
L’aviron n’existait même pas.
Privel a du travailler main dans la main avec les autorités locales et la fédération internationale d’aviron (World Rowing) pour créer la fédération de toute pièce et faire connaître ce sport.
« La fédération est désormais opérationnelle. Tout le monde connaît l’aviron au Bénin maintenant. Nous avons environ cinq clubs et près de 70 pratiquants. Après ma qualification, j’ai même pu disputer l’épreuve de deux de couple des Championnats d’Afrique avec mon compatriote Mahoutin Romain Akpo et nous avons terminé quatrièmes. »
Plutôt pas mal pour un pays qui ne connaissait pas le sport il y a presque 10 ans.
Avec ça, la première étape de l’aventure était remplie.
Première tentative : échec
La deuxième étape pouvait donc commencer. Hinkati devait trouver des financements pour son entraînement, l’équipement, les coûts liés aux voyages et les services d’un kinésithérapeute. Le rameur de la Société nautique de Caen a donc lancé une campagne de financement participatif car il peinait à trouver des partenariats en France.
« Je vis et m’entraîne en France mais je ne représente pas la France. C’est donc difficile de trouver des partenariats en tant que Béninois. Lorsque j’ai décidé d’avoir une approche plus professionnelle, expliquer mon projet était un véritable challenge. »
« La campagne de financement participatif a été réussie car j’ai essayé de montrer que je demandais des fonds pour financer mon rêve… C’est différent. »
Malgré tous ces efforts, il n’a pas pu se qualifier pour Rio 2016. Une véritable déception.
C’est l’un des moments les plus difficiles de ma vie. J’ai fait tellement d’efforts, tout était consacré à ça. Je ne m’attendais pas à ne pas me qualifier. C’était un rêve. Privel Hinkati - Privel Hinkati
Deuxième tentative : succès
Quatre ans plus tard, Hinkati se qualifiait pour Tokyo 2020. Vous pouvez imaginer ce qu’il a pu ressentir lorsqu’il a réalisé que son rêve devenait réalité. Mais en fait, lui-même n’a pas réalisé.
« Lorsque j’ai fini la course et je me suis qualifié, je n’ai pas arrêté de ramer. J’ai continué à ramer pour deux ou trois coups de pagaies. Je voulais juste être sûr. J’ai attendu que le speaker annonce que tout le monde devait arrêter de ramer pour m’arrêter. »
La seconde étape était donc accomplie. Un rêve devenait réalité.
Hinkati a également ressenti un soulagement car il a prouvé qu’avec de la détermination, tout était possible.
« Beaucoup de gens en France me prenaient pour un fou d’imaginer que je pouvais me qualifier pour les Jeux Olympiques. Je me suis souvenu de tous ces moments lorsque je me suis qualifié. Je me suis dit : ‘Je ni fou, ni un menteur.’ »
Puis la seconde campagne de financement participatif a pu débuter. Un nouveau succès. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle certains le qualifiaient de menteur.
« Quelques personnes pensaient que j’essayais de lever des fonds pour un usage personnel. »
Togo or not to go
Privel Hinkati est non seulement devenu le premier rameur béninois à se qualifier pour les Jeux, mais il a également fait connaître son pays au monde de l’aviron et représente désormais la communauté noire dans ce sport. Il en est extrêmement fier.
« Beaucoup de gens me posent cette question. Surtout pendant cette période où l’on parle beaucoup des personnes noires et de la diversité », explique Privel.
« Avant, lors des Coupes du monde ou des Championnats du monde, j’étais l’un des seuls athlètes noirs. Il y avait peut-être un Cubain ou un Togolais. Lorsque j’allais faire mon inscription, les gens me demandaient de quel pays je venais. Je leur répondais ‘le Bénin’. Ils me demandaient ensuite si c’était vraiment un pays. C’était marrant. »
« Un jour, une Togolaise est arrivée au bureau d’inscription. On lui a demandé de quel pays elle venait. Elle a répondu ‘Togo’. Le monsieur lui a ensuite répondu qu’il ne lui demandait pas où elle allait [to go, en anglais, NDLR], mais son pays. Elle lui a donc dit que le Togo était bien un pays ! »
« Depuis environ deux ans, ils me reconnaissent et annoncent fièrement ‘Ah, le Bénin est présent !’. Ils reconnaissent le drapeau béninois sur mon bateau et mes pagaies. »
De 5h à 20h
La troisième étape de sa quête olympique est en cours. Il s’entraîne dur pour représenter son pays aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020 afin de faire de son mieux l’année prochaine. Même si la qualification était le but principal, il espère tout de même faire quelque chose au Canal de la forêt de la mer, où les épreuves d’aviron auront lieu.
« Je serai très heureux si je pouvais atteindre le top 20. Mais j’irai pour prendre du plaisir et je ferai de mon mieux. »
Pour cela, l’ingénieur en informatique à la Mairie de Caen dédie tout son temps libre à l’aviron. Avec un travail à temps plein, le temps libre est difficile à trouver. Mais difficile ne veut pas dire impossible. Cela serait sous-estimer Privel Hinkati.
Un jour normal dans la vie de Privel pourrait faire peur au commun des mortels mais lorsque vous avez le rêve olympique en vous, c’est possible.
« Je me réveille à 5h07. L’alarme est programmée pour 4h50 ou 5h. Si je la reporte, cela ne doit pas dépasser 5h07 sinon, je manquerai de temps. À 6h, je suis sur l’eau et je rame jusqu’à 8h. Ensuite, je vais au bureau pour 9h. Je travaille jusqu’à midi, puis je fais du renforcement musculaire pendant ma pause déjeuner. Ensuite, je travaille de nouveau jusqu’à 18h. Je m’entraîne de 18h30 à 20h puis je rentre chez moi. Je dîne et je me couche entre 22h et 23h. Je répète cela tous les jours de la semaine. »
Il s’entraîne également deux ou trois fois le samedi, et une fois le dimanche.
Cela lui arrive parfois de lutter à se réveiller. Mais son rêve olympique, qui le suit constamment jusque dans sa poche, sur la coque de son téléphone, l’aide à surpasser toute pensée négative.
« Lorsque je suis allongé et que je n’arrive pas à me réveiller pour aller m’entraîner, je me sors tout un tas d’excuses. ‘Je suis trop fatigué, il fait moche…’ Mais je me souviens que chaque jour est une nouvelle chance d’être meilleur et je ne peux pas être meilleur dans mon lit. Je me lève aussitôt. »
« Pour ramer aux Jeux Olympiques, je dois être le meilleur possible. »