Préparer les hivers de demain
22 Dec 2023, par
Steve Wilson
Ancien rédacteur sportif en Europe et correspondant d'Associated Press aux Jeux Olympiques, ancien président de l'Association des journalistes olympiques
Le changement climatique présente des défis pour le futur des Jeux Olympiques d’hiver. Le CIO envisage dès lors diverses mesures pour protéger leur avenir.
Des stations alpines avec des pistes terreuses au plein cœur de l’hiver. Des glaciers qui fondent rapidement et des températures en hausse qui rendent pratiquement impossible la pratique du ski et d’autres sports de neige.
Ce scénario est déjà à l’œuvre dans diverses parties du monde, alors que le changement climatique menace les sports d’hiver et met en péril l’avenir des Jeux Olympiques d’hiver.
Alors que le CIO fête le 100e anniversaire des Jeux Olympiques d’hiver, dont l’édition inaugurale s’est tenue à Chamonix en 1924, l’impact à long terme du réchauffement climatique sur le plus grand événement mondial des sports d’hiver inquiète.
Des études indiquent que l’augmentation des températures provoquée par les émissions de gaz à effet de serre va réduire drastiquement le nombre de sites capables d’accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver à l’avenir.
« Nous devons répondre très rapidement à l’impact dramatique du changement climatique sur les sports d’hiver », a déclaré le président du CIO Thomas Bach en octobre, à l’occasion de la 141e Session du CIO à Mumbai (Inde).
« D’ici le milieu du siècle, il ne devrait rester que 10 ou 12 CNO (Comités Nationaux Olympiques) capables d’accueillir ce festival hivernal. »
Le temps presse : le CIO travaille à identifier des sites fiables au niveau climatique et prêts au niveau des infrastructures pour les Jeux, afin de s’assurer que les meilleurs athlètes du monde puissent s’affronter dans des conditions optimales pour les décennies à venir.
Le CIO envisage également d’autres mesures pour protéger les Jeux d’hiver : une double attribution des éditions 2030 et 2034, une rotation entre une liste d’hôtes permanents et la création d’un modèle d’accueil décentralisé afin de réduire le coût des Jeux.
« Il ne fait aucun doute que nous faisons face à de grands défis. Notre objectif est de continuer d’accueillir des Jeux d’hiver couronnés de succès à l’avenir », a déclaré Karl Stoss, président de la commission de futur hôte pour les Jeux Olympiques d’hiver. « Chaque défi représente à la fois des risques et des opportunités. »
Trouver des lieux pour les Jeux proposant la combinaison adéquate de géographie, sites, soutien financier et conditions climatiques était déjà un exercice complexe. Désormais, alors que la liste des hôtes potentiels va se réduire à une portion congrue, la tâche s’annonce encore plus ardue.
Il ne fait aucun doute que nous faisons face à de grands défis. Notre objectif est de continuer d’accueillir des Jeux d’hiver couronnés de succès à l’avenir.
« Je ne crois pas qu’il existe un scénario catastrophe dans lequel les Jeux Olympiques d’hiver disparaîtraient à partir de 2050 », a déclaré Christophe Dubi, directeur exécutif des Jeux Olympiques du CIO. « Mais ils devront s’adapter aux conditions à pareille époque. »
Cela signifie qu’il faut trouver des solutions dès aujourd’hui pour protéger l’événement sur le long terme.
« Parfois, la situation demande de la réflexion sur la durée, et parfois, elle exige des actions immédiates, a-t-il poursuivi. J’estime que pour les Jeux Olympiques d’hiver, nous sommes à un point où ces deux dimensions sont nécessaires. Il nous faut trouver des évolutions vraiment convaincantes pour l’avenir immédiat. »
Nouvelle approche : une double attribution pour 2030 et 2034
En décembre 2022, la commission exécutive (CE) du CIO a suspendu le processus de candidature pour l’édition de 2030, estimant qu’il fallait plus de temps pour étudier l’impact du changement climatique et d’autres facteurs sur l’avenir des Jeux.
La CE a recommandé que le CIO cible de potentiels hôtes futurs qui utilisent si possible uniquement des sites existants ou temporaires, et qui proposent des sites de sports de neige qui soient climatiquement fiables jusqu’à 2050 minimum, avec une projection de température inférieure à 0 °C durant la période des Jeux.
De plus, la commission a annoncé que le CIO devrait envisager une attribution double des éditions 2030 et 2034, et étudier la possibilité d’un système de rotation. Dix mois plus tard, ces questions ont été abordées lors de la Session à Mumbai. Les membres du CIO ont entériné le principe d’une double attribution pour les Jeux Olympiques d’hiver de 2030 et 2034, si les conditions appropriées étaient réunies.
La proposition, qui a reçu le soutien des présidents des sept Fédérations Internationales des sports d’hiver, a été approuvée par un vote à main levée. Plusieurs hôtes potentiels ont manifesté un vif intérêt, notamment la France et la Suède pour 2030, Salt Lake City (Utah) pour 2030 et 2034, et la Suisse avec Switzerland 203x, un projet non spécifique et sans date fixe.
Le 29 novembre, après une recommandation de la commission de futur hôte pour les Jeux Olympiques d’hiver, la CE a respectivement invité le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) et le Comité Olympique et Paralympique des États-Unis (USOPC) à un dialogue ciblé pour accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 dans les Alpes françaises, et l’édition 2034 à Salt Lake City. La commission exécutive du CIO a aussi décidé d’accorder au projet Switzerland 203x un statut spécial en l’invitant à un « dialogue privilégié » pour les Jeux d’hiver 2038.
« Les membres de la commission du futur hôte ont été profondément impressionnés par l’excellence technique de tous les projets, par la passion affichée pour les sports d’hiver olympiques et par l’engagement envers les principes de durabilité qui figurent à l’Agenda olympique 2020+5 », a déclaré Karl Stoss. Les projets des Alpes françaises et de Salt Lake City se distinguent par leur vision de l’expérience des athlètes, leur alignement sur les plans de développement socio-économique régionaux et nationaux, et le fort soutien de la population et des gouvernements à tous les niveaux.
« La commission est convaincue que les autres parties intéressées profiteraient de plus de temps pour optimiser l’expérience des athlètes lors des futurs Jeux et pour continuer à s’appuyer sur les bases en plein essor du soutien politique et de la population. Switzerland 203x possède un grand potentiel, son projet étant aligné sur l’Agenda olympique 2020+5 et les principes de durabilité, de réduction des coûts, de protection de l’environnement et d’héritage ».
Le CIO va maintenant entamer des discussions plus approfondies avec les hôtes pressentis, sous la direction de leurs CNO respectifs, dans le but d’attribuer les deux éditions lors de la 142e Session du CIO qui aura lieu à Paris en juillet 2024.
Mais ce n’est qu’un début. À l’avenir, la commission continuera d’explorer la possibilité d’une rotation pour les Jeux d’hiver, une initiative sans précédent qui verrait les Jeux alterner entre un groupe de lieux climatiquement fiables en Europe, Amérique du Nord et Asie.
Si l’idée d’une rotation peut paraître simple, elle soulève un certain nombre de questions épineuses : combien de pays ou régions feraient partie de la rotation ? À quelle fréquence les Jeux reviendraient-ils dans un site donné ?
Retourneraient-ils exactement sur le même lieu à chaque fois ? Reviendraient-ils dans le même pays, ou dans un certain nombre de pays ?
Les sites et infrastructures iraient-ils au-delà de leur cycle de vie et auraient-ils besoin d’être rénovés entre les rotations ? Une nation ou région hôte souhaitera-t-elle forcément que les Jeux y retournent ?
« Ce n’est pas aussi simple que de déclarer ‘‘Tous les 20 ans, nous retournons exactement au même endroit, avec les mêmes personnes, le même nom, tout à l’identique’’, a expliqué Christophe Dubi. Ne serait-ce que parce qu’à un moment donné, la communauté n’acceptera peut-être plus cette idée. Il faut donc de la flexibilité. Vous devez composer avec plusieurs facteurs. Mais la notion d’une certaine forme de rotation est sensée, ça ne fait aucun doute. »
Les températures montent, les hôtes potentiels diminuent
À Mumbai, le CIO a présenté des études indiquant que 15 CNO possédaient au moins 80 % des sites requis pour les Jeux d’hiver. Dix d’entre eux ont récemment été hôtes des Jeux ou souhaitent les organiser à l’avenir.
Selon les études, d’ici 2050, seuls 10 à 12 CNO seraient en mesure d’accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver – un nombre encore inférieur d’ici la fin du siècle.
Les résultats préliminaires indiquent déjà que nous devons adapter les Jeux, au vu de l’impact du changement climatique.
« Les résultats préliminaires indiquent déjà que nous devons adapter les Jeux, au vu de l’impact du changement climatique, a déclaré Thomas Bach. Nous devons chercher des solutions pour l’avenir, en collaboration avec la communauté des sports d’hiver. »
Selon les recherches mandatées par les CIO, deux tiers des sites de sports d’hiver resteront climatiquement fiables jusqu’en 2040, tout juste la moitié jusqu’en 2070, et moins de la moitié d’ici la fin du siècle. L’augmentation des températures a causé des problèmes lors des récents Jeux d’hiver, en perturbant les compétitions de neige à Vancouver 2010 et Sotchi 2014.
Les Jeux Paralympiques d’hiver sont encore plus menacés, car ils se déroulent généralement en mars, lorsque les températures sont plus douces qu’en février. Il sera crucial de trouver des dates qui puissent convenir à la fois aux Jeux Olympiques et Paralympiques. « Nous avons besoin de flexibilité sur ce point, a précisé Christophe Dubi. Avec l’évolution du climat, il ne sera peut-être pas possible de les organiser plus tôt, ni plus tard. Nous devons nous adapter aux conditions locales. Il nous faut les programmer afin d’assurer la bonne tenue des deux événements. La flexibilité sera la clé. »
Un nouveau modèle : décentraliser les Jeux Olympiques d’hiver
Le CIO explore par ailleurs un nouveau modèle pour rendre les Jeux Olympiques d’hiver plus durables et abordables, alors qu’un certain nombre d’hôtes potentiels ont tourné le dos aux Jeux pour des raisons politiques ou économiques, particulièrement en Europe.
Un système décentralisé baserait le coût de l’organisation des compétitions olympiques en fonction du coût de l’accueil d’un championnat du monde dans chaque sport. Karl Stoss a souligné que les dépenses liées à certaines épreuves olympiques étaient quatre fois plus élevées que celles d’un championnat du monde.
« Rien ne peut justifier cette différence de coût, a-t-il déclaré. Il faut faire la différence entre ce qui est obligatoire et ce qui est optionnel. »
Évaluée au cas par cas selon l’expérience dans chaque marché, l’organisation de certaines compétitions sportives olympiques serait confiée à des organisateurs de compétitions nationales et internationales qui dirigent souvent des coupes et des championnats du monde.
Le processus débuterait tôt : les hôtes pressentis développeraient une stratégie de livraison de l’événement au cours de la phase de dialogue ciblé. L’objectif serait de signer une lettre d’intention avant l’élection, puis un accord cadre détaillé dans l’année qui suit l’élection.
La logistique serait laissée aux comités d’organisation indépendants sur chacun des sites. L’hôte recruterait des sponsors locaux plus tôt afin de verrouiller les revenus pour son budget pour les Jeux. Des éléments du budget majeurs pourraient ainsi être réglés en amont pour minimiser la pression financière.
« Un budget est toujours sous pression, à un moment ou un autre, a souligné Christophe Dubi. Si vous pouvez réduire le risque dès le départ, cela peut aider à convaincre les populations en leur démontrant tôt dans le processus que les Jeux représentent une belle opportunité d’un point de vue financier. C’est autant d’énergie d’économisée pour plus tard, lorsque vous pourrez vous concentrer sur ce qui compte le plus, à savoir livrer une expérience unique pour tous. »
À quoi ressembleraient les Jeux du futur ?
Il est probable que la tendance d’organiser des Jeux sur une région entière ou plusieurs pays se poursuive, comme c’est le cas pour Milano Cortina 2026, avec des sites répartis sur une vaste partie du nord de l’Italie.
Ce format profite de sites existants, ce qui permet à un centre majeur d’accueillir les cérémonies et les épreuves sur glace en intérieur, à l’abri des intempéries, alors que les compétitions sur neige se déroulent dans une région montagneuse adaptée.
Un système de rotation entre les trois continents précités pourrait ouvrir la voie à différents scénarios d’accueil régional.
Daniel Scott, professeur à l’université de Waterloo (Canada), a suggéré la possibilité pour Calgary et Denver d’accueillir des « Jeux des Rocheuses », ou pour l’Italie et l’Autriche d’organiser des « Jeux du Tyrol ».
Et la neige dans tout ça ?
Des éditions récentes des Jeux d’hiver se sont appuyées au moins partiellement sur l’utilisation de neige artificielle, voire quasiment à 100 % pour Beijing 2022. La fabrication de neige nécessite de l’eau et de l’énergie, ce qui pèse sur les ressources naturelles et contribue potentiellement au changement climatique.
Mais à cause du réchauffement climatique, les températures de nombreux sites ne seront plus assez basses pour fabriquer de la neige artificielle. Le CIO surveille donc les avancées technologiques concernant la production et la conservation de la neige, et même le développement de neige et glace synthétiques.
Comment les athlètes s’adapteraient-ils à des épreuves sur de nouvelles surfaces ? Cela reste à voir, mais Christophe Dubi a noté que le saut à ski se pratiquait aussi l’été, sur des revêtements en plastique. « La seule différence, c’est qu’ils atterrissent sur un revêtement synthétique, mais il s’agit exactement du même sport – sauf que ce qui entoure le tremplin n’est pas recouvert de neige. Je dirais que dans 20 ans, si nous n’avons pas de neige pour le saut à ski, nous sommes capables de répliquer les conditions estivales. Vous atterrissez sur un revêtement synthétique qui est d’une valeur égale à la neige. »
Ce qui ne devrait toutefois pas changer, c’est que les Jeux Olympiques d’hiver continueront de se limiter aux sports qui sont traditionnellement pratiqués en hiver. Il n’est pas prévu d’intégrer aux Jeux d’hiver certaines disciplines des Jeux d’été qui se déroulent en intérieur, comme certains le préconisent.
« Il est extrêmement délicat de faire cette transition, car la ligne de démarcation est très nette, a précisé Christophe Dubi. Si vous commencez à déplacer certains sports dans le giron des Jeux d’hiver sous prétexte qu’ils se pratiquent en intérieur, vous créez deux types différents de Jeux. La ligne de démarcation est très saine. Du moment où cette ligne se trouble, vous perdez l’identité des deux entités. »
Malgré les risques qui se profilent à l’horizon, le CIO reste confiant que les Jeux Olympiques d’hiver évolueront et conserveront leurs qualités « uniques » qui les différencient des autres compétitions de sports d’hiver.
Qui peut dire que les Jeux Olympiques d’hiver ne vont pas survivre – voire prospérer davantage – pour 100 ans de plus ?