La durabilité dans le sport nécessitera des sacrifices
29 Dec 2023, par
Oluseyi Smith
Membre de la commission des athlètes du CIO, olympien (Jeux d'hiver et d'été)
Oluseyi Smith (alias « Seyi ») a participé à la fois aux éditions d’été et d’hiver des Jeux Olympiques. Il explique comment la technologie, les déplacements et le changement climatique affectent le bobsleigh, et la manière dont le sport au sens large peut devenir plus durable.
Les Jeux Olympiques d’hiver sont très différents des Olympiades qui se déroulent l’été. Londres 2012 a été une édition fantastique – la meilleure de l’ère moderne, selon moi. Il s’agit d’un formidable spectacle à l’échelle mondiale où rien n’est laissé au hasard.
À l’inverse, les Jeux d’hiver impliquent moins de pays, mais ils offrent plus d’intimité aux athlètes participants. Vous rencontrez de nouvelles personnes, vous découvrez un autre pays, une autre culture ; cela arrive aussi dans les éditions estivales, mais moins souvent. À titre personnel, j’entretiens un lien plus profond avec les Jeux Olympiques d’hiver, car c’est une ambiance plus familiale.
Lors des Jeux Olympiques d’été, il est facile de perdre de vue la crise existentielle que nous vivons. Bien sûr, les températures élevées et la météo aléatoire sont là, mais les éléments sont bien plus flagrants aux Jeux d’hiver, à cause de la neige et de la glace.
Lorsque je parle de mon programme des jeunes leaders du CIO, qui a accouché du projet « Racing to Zero », on me répond : « Je comprends. La neige se raréfie et je ne pourrai plus vivre la même saison dans dix ans qu’aujourd’hui. »
Cela dit, si je devais donner un score de durabilité au bobsleigh, il ne figurerait pas dans le haut du classement. Comme tous les sports, il nécessite de nombreux déplacements pour se rendre sur les lieux des compétitions, ce qui a un grand impact au niveau des émissions de carbone. En revanche, le fait que les sites sont réutilisés d’une saison à l’autre lui offre un avantage par rapport aux autres disciplines. Nous pouvons trouver une gestion plus efficace pour déplacer les bobsleighs entre les sites.
Nous pourrions peut-être concevoir un calendrier qui nous permette de prendre le train entre les différents lieux qui seraient regroupés sur une même région. Cela limiterait toutefois la saison au circuit européen, car il est difficile de se déplacer en train en Amérique du Nord, ou entre les pays d’Asie.
Cependant, il serait possible que le calendrier se concentre sur une région, par exemple en faisant venir les athlètes du monde entier en Amérique du Nord et concourir uniquement entre Whistler et Lake Placid pour une saison entière. Une modification des règlements pourrait peut-être rendre chaque manche unique, par exemple avec des épreuves les jours de neige. Puis l’année suivante, nous irions en Europe et concourrions uniquement sur des sites européens, puis la saison d’après ce serait en Asie. De cette manière, nous limiterions les allers-retours intercontinentaux, même si chacun rentrerait périodiquement chez lui pour voir ses proches.
Dans le sport, il est impossible d’arrêter totalement de voyager, car vous devez affronter tout le monde. Pour éviter de limiter les sites de compétition, les fédérations de bobsleigh pourraient peut-être investir de l’argent dans des projets tels que celui de la forêt olympique, qui élimine le carbone de l’air tout en apportant des avantages tangibles aux communautés locales sous la forme de nourriture, de revenus et d’une résilience renforcée face au changement climatique. Planter des arbres et compenser les émissions, ce n’est pas la solution idéale, mais elle a le mérite d’exister et d’être applicable.
La durabilité dans le sport nécessitera des sacrifices et une réduction du nombre de trajets, ce qui peut être pesant pour les athlètes ou les dirigeants. Mais j’estime que cela en vaut la peine sur le long terme pour l’avenir du sport. Par ailleurs, nous pourrions découvrir quelque chose d’unique qui convienne au plus grand nombre, une nouvelle manière de pratiquer le sport à laquelle nous n’aurions jamais pensé – de la même manière que nous participons tous à des visioconférences au lieu de traverser la planète pour assister à une réunion.
Je ne crois pas que les innovations durables dans le bobsleigh puissent être progressives, mais davantage à l’image de la Formule 1 : lorsque le règlement change, tout le monde doit s’adapter. Le monobob, qui est piloté par une seule personne, est unique dans le monde du bobsleigh, car tout le monde concourt sur le même modèle.
Ce n’est pas le cas des modèles à deux ou quatre personnes, où l’élément technologique crée des écarts entre les pays. D’autre part, les bobs sont fabriqués en fibre de carbone, un matériau impossible à recycler. Donc si toutes les disciplines utilisaient les mêmes bobs, cela mettrait tout le monde sur un pied d’égalité, tout en proposant des bobs et des équipements plus durables.
Nous pouvons également apporter des changements significatifs au niveau de l’énergie. Certaines pistes de bobsleigh sont refroidies à l’aide d’ammoniac, un produit qui pourrait être remplacé par une source d’énergie plus verte.
Nombreux sont les secteurs et les entreprises qui tendent vers la neutralité carbone, mais le monde du sport n’est pas aussi bien organisé, sans doute parce qu’il évolue un peu à part.
C’est la gouvernance qui doit impulser tout changement, avec une stratégie adaptée pour être appliquée aux niveaux national, régional et local, afin que tout le monde connaisse les objectifs et la manière de les atteindre. L’égide olympique existe et le CIO incarne bien le leadership de la durabilité dans le sport, mais de nombreux sports professionnels sont indépendants de ce cadre.
Sans les athlètes, il n’y a pas de sport. Nous devons donc demander des comptes aux dirigeants et remettre sans arrêt le sujet sur la table, en public comme en privé. Il faut aller face aux médias et dire : « Ce sujet est important pour moi et pour notre sport. J’ai des milliers voire des millions d’abonnés, ou seulement quelques centaines d’abonnés, mais je vais utiliser la plateforme que m’offre le sport pour l’aider à perdurer. »
Les initiatives impulsées par le haut de la pyramide et celles partant de la base fonctionnent de concert. C’est la meilleure solution à mes yeux.
Oluseyi « Seyi » Smith est membre de la commission des athlètes du CIO et un olympien d’été et d’hiver à la retraite qui a concouru en athlétisme et en bobsleigh pour le Canada. Diplômé de l’université de Loughborough (Royaume-Uni), il est titulaire d’un bachelor en ingénierie électrique et électronique, et d’un master en science des technologies de l’énergie renouvelable.