Le président du CIO rend hommage à Henry Kissinger, membre d’honneur, alors qu’il célèbre son 100e anniversaire
Alors que Henry Kissinger fête son centième anniversaire cette semaine, le président du CIO, Thomas Bach, revient sur sa relation avec ce vieux sage de la diplomatie, homme extraordinaire - grand amateur de sport - et un fidèle ami du Mouvement olympique depuis 25 ans.
Quand vous êtes-vous rencontrés pour la première fois avec M. Kissinger ? Quelles étaient les circonstances de cette rencontre ?
Notre première rencontre remonte à 1998, alors que nous étions tous deux membres de la commission de réforme "CIO 2000", créée à la suite du scandale de Salt Lake City. Outre les membres du CIO, des personnalités extérieures de premier plan ont été nommées au sein de cette commission. Parmi ces personnalités M. Kissinger a été désigné comme membre du groupe de travail chargé d'examiner le rôle plus large du CIO et des Jeux Olympiques dans la société, groupe que je présidais à l'époque. C'est dans ce contexte que j'ai fait sa connaissance. Il a examiné le travail que nous avions réalisé et a formulé des conseils et commentaires particulièrement utiles.
M. Kissinger et sa famille ont quitté l'Allemagne, leur pays natal dans les années 1930. Ils ont fini par s'installer aux États-Unis, dont il a fait sa nouvelle patrie, s'engageant dans l'armée américaine et travaillant dans le milieu universitaire avant de poursuivre une longue et riche carrière politique. Quelle première impression avez-vous eue de cet homme remarquable, comment décririez-vous votre collaboration ?
Ayant lu l'intégralité de ses mémoires très complets, j'étais bien entendu impatient de rencontrer ce grand homme d'État. J’avais le plus grand respect pour son génie politique, mais j'étais nerveux à l'idée de le rencontrer personnellement pour la première fois. Après tout, connaissant l'histoire de sa famille et étant moi-même allemand et même originaire de la région qu'il a été forcé de quitter lorsqu'il était enfant, je pouvais bien imaginer que notre première rencontre pourrait être intense. À mon grand soulagement, Henry Kissinger s'est montré ouvert d'esprit et accessible dès les premiers instants de notre rencontre. Il était très aimable et il n'y a eu aucune gêne ou distance. Il a même prononcé quelques mots en allemand et a évoqué le fait que nous sommes tous deux originaires de la région de Franconie. Il y entretient toujours des relations et suit de près l'équipe de football de Fürth, sa ville natale.
Je me souviens avoir discuté avec lui des résultats préliminaires du groupe de travail. Les conseils de Henry Kissinger étaient en réalité très pragmatiques et précieux, notamment en ce qui concerne la façon de présenter les propositions de réforme de telle manière à ce qu'elles soient perçues favorablement par les États-Unis et la scène politique internationale.
Henry Kissinger est, de son propre aveu, un grand fan des Jeux Olympiques, ayant connu quelque 48 éditions et même assisté à certaines d'entre elles avec ses enfants et petits-enfants. Il a réaffirmé sa conviction selon laquelle le pouvoir du sport peut œuvrer à la réconciliation des nations. C'est aussi un élément fondamental de l'éthique de l'Olympisme. Avec cette vision commune, combien de fois l'avez-vous revu au cours des années qui se sont écoulées depuis votre première rencontre ?
Même si M. Kissinger est devenu membre d’honneur du CIO en 2000, ce n'est qu'occasionnellement que nous nous sommes rencontrés après avoir fait connaissance dans le cadre de la commission “CIO 2000”. C'est un grand amateur de sport et nos chemins se croisent encore parfois lorsque nous assistons tous les deux à un événement sportif lors duquel nous échangeons amicalement. Nous avons repris contact après mon élection en tant que président du CIO en 2013. Confronté à une myriade de défis politiques peu après mon entrée en fonction, je l'ai approché et lui ai demandé s'il était disposé à honorer le CIO et moi-même de ses précieux conseils, comme il l'avait fait par l'intermédiaire de la commission “CIO 2000”. Et là encore, il a immédiatement accepté. Depuis, nous échangeons plus ou moins régulièrement. Même pendant la pandémie, nous avons poursuivi nos échanges par le biais d'appels vidéo. Chaque fois que je me rends à New York, je me fais un devoir de le rencontrer en personne.
Peu de personnes ont été comme lui les témoins directs de l’histoire en train de s’écrire. Avec une telle expérience des événements mondiaux, M. Kissinger doit avoir beaucoup de sagesse à transmettre. Vous a-t-il fait part de ses conseils ? Si oui, quel type de conseils vous a-t-il donnés ?
Le génie de Henry Kissinger réside dans le fait qu'il peut placer toutes les questions que vous lui soumettez dans une perspective mondiale sans perdre de vue le contexte national. C'est pourquoi ses conseils me sont si précieux. Car, en tant qu'organisation mondiale, c'est exactement la perspective que le CIO doit adopter. Nous devons examiner les questions relatives au sport d'un point de vue mondial, tout en gardant à l'esprit que tout le monde ne partage pas ce point de vue, mais que chaque partie prenante a ses propres intérêts. Avec son esprit brillant, Henry Kissinger analyse chaque situation, prend en compte les facteurs actuels et les projette dans l'avenir en s'appuyant sur la profonde compréhension qu'il a du contexte historique plus large.
Parmi les conseils avisés qu’il vous a donnés au fil des années, depuis que vous le connaissez, y a-t-il un conseil qui se démarque vraiment ?
Son approche globale consiste à toujours considérer chaque question en partant de la fin. Cela signifie que vous devez toujours prendre en considération les incidences à long terme que peuvent avoir vos décisions sur toutes les personnes concernées. Ne prenez jamais une décision aujourd'hui dans la seule perspective de faire la une des médias. Essayez toujours de vous mettre à la place de l’autre partie et d'anticiper ses réactions. D'ailleurs, pour moi qui suis escrimeur, cette façon de penser est assez familière.
Si vous deviez partager une idée personnelle à propos de M. Kissinger, quelle serait-elle ?
Tout le monde connaît l'esprit particulièrement vif et analytique de Henry Kissinger. Ce qui est sans doute moins connu, c'est sa personnalité chaleureuse et charmante. Il vous impressionne par son génie, tout en vous mettant à l'aise. C'est une personne très empathique et dotée d'un excellent sens de l'humour.