Un duel épique pour le roi de l’haltérophilie Süleymanoğlu à Atlanta 1996

Les Jeux Olympiques regorgent de champions, de records et de merveilleuses histoires mais le plus grand événement sportif du monde a également été le théâtre de scènes très originales, étranges, émouvantes, tristes ou cocasses. Chaque semaine, nous vous sortons des archives l’une de nos meilleures histoires. Aujourd’hui, revenons sur le double champion olympique turc Naim Süleymanoğlu, poussé dans ses derniers retranchements par le Grec Valerios Leonidis dans l’un des plus grands moments de l’histoire olympique.

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(Photo de Getty Images)

Le contexte

C’était une star. Une légende, même. Lorsqu’il est rentré à Ankara, la capitale turque, après sa première médaille d’or olympique, un jour férié a été déclaré. 

Le retour de Naim Süleymanoğlu dans son pays après sa première médaille d’or à Séoul 1988 a provoqué un rassemblement tel qu’il a été qualifié de plus grande célébration de l’histoire turque.

Le tout grâce à un seul homme.

Originaire d’une famille d’origine turque, Süleymanoğlu a grandi en Bulgarie dans le village montagneux de Ptichar. Il a commencé l’haltérophilie à un jeune âge et son premier record du monde a été établi à 15 ans. L’année suivante, en 1982, il a acquis une réputation internationale en soulevant plus de trois fois son poids, alors qu’il pesait 56 kg.

C’est à ce moment que le gouvernement bulgare a décidé de changer sa politique vis-à-vis des résidents d’ethnie turque. Süleymanoğlu devait alors adopter un nom bulgare pour rester dans le pays.

Mais il a décidé de demander la citoyenneté turque.

L’athlète d’1,47 m a commencé à participer aux compétitions sous le drapeau turque, puis il a remporté sa première médaille d’or à Séoul 1988 dans la catégorie des 60 kg avec un record du monde à la clé : 342,5 kg au total (arraché et épaulé-jeté combinés). Il a ensuite remporté un second titre olympique à Barcelone 1992, sans record du monde cette fois-ci. 

Süleymanoğlu était bien parti pour devenir le premier haltérophile a remporter trois médailles d’or consécutives à Atlanta 1996, mais une nouvelle concurrence et rivalité était sur le point de naître. 

Lors des Championnats du monde 1995, le Turc a été poussé dans ses derniers retranchements par le Grec Valerios Leonidis. À tel point que le score final n’a pas pu les départager : ils étaient à égalité. Mais c’est finalement le double champion olympique qui s’est imposait car il était le plus léger des deux athlètes.

« Pendant plusieurs années, particulièrement les huit dernières, je n’ai pas eu de rival ou de réelle concurrence. Pas avant que Leonidis arrive et que je connaisse des compétitions plus difficiles », a-t-il déclaré aux journalistes

La rivalité était également présente sur un autre terrain.

Six mois avant les Jeux d’Atlanta, une crise politique a éclaté entre la Turquie et la Grèce. Les deux pays se disputaient un territoire. Mais si les nations étaient en désaccord, Leonidis a préféré souligner l’unité que le sport peut apporter.

« Ce n’est pas une question de pays. C’est une question de fierté et de sport. Je pense que la Grèce adore Naim. C’est un homme au talent phénoménal », a-t-il confié.

« Pour moi, le simple fait de pouvoir figurer aux côtés de Naim et d’avoir une chance de gagner est un accomplissement en soi. »

La finale

En cette fin d’après-midi de juillet 1996, le Georgia World Congress Center est rempli de 5 000 spectateurs impatients, divisés en deux parties : les Grecs, en bleu, et les Turcs en rouge. Les haltérophiles de la catégorie des 64 kg allaient entrer en scène.

Süleymanoğlu détenait le record du monde du combiné, mais il avait récemment concédé le record de l’épaulé-jeté à Leonidis. 

Leonidis est le premier des deux à se lancer. Il choisi une barre à 140 kg, qu’il parvient à soulever. Süleymanoğlu sait qu’il doit donner le meilleur de lui-même pour écrire l’histoire, et il a choisi 145 kg. Réussi. Leonidis le suit immédiatement à 145 kg, et il réussit également.

Süleymanoğlu dispose d’un avantage en terme de nombre d’essais, et les deux élèvent la barre à 147,5 kg. Ils échouent. Mais il reste un essai à Süleymanoğlu, qu’il ne manque pas de réussir. 

Avant l’épaulé-jeté, Süleymanoğlu dispose d’une avance de 2,5 kg. Mais il ne peut pas se permettre une égalité car cette fois-ci, c’est lui le plus lourd. 

Une pluie de record s’est ensuite abattu sur Atlanta.

Les deux athlètes réussissent leur premier essai à 180 kg. Süleymanoğlu se prépare pour tenter 185 kg, ce qui représente le record du monde. Il y parvient. 

Leonidis choisit de passer à 187,5 kg. 

« Nous devions tenter un effort surhumain », déclarait le coach de Leonidis, Christos Iakovou. « Nous devions tenter 187,5 kg. Un record du monde. »

Devant ses supporters, Leonidis parvient à récupérer le record du monde et relègue ainsi Süleymanoğlu en seconde position.

« Je savais que la compétition n’était pas finie tant que Naim n’avait pas fini. Si c’était n’importe qui d’autre, j’aurais été plus rassuré. Mais pas avec Naim. Il a prouvé par le passé qu’il trouvait toujours le moyen de remporter la victoire », confiait Leonidis. 

Süleymanoğlu se prépare, se place devant la barre, et tente à son tour. Succès. Il reprend la tête.

Seule une barre à 190 kg pourrait permettre à Leonidis de remporter l’or. Mais il échoue.

Les conséquences

Süleymanoğlu est devenu le premier haltérophile a remporter trois médailles d’or olympiques successives, à l’issue d’un duel historique.

Avant la cérémonie de remise des médailles, les deux athlètes se sont félicités, comme Leonidis l’a expliqué.

« Je suis venu ici pour l’or, pas pour l’argent. Mais je suis quelqu’un qui admire les supers performances, et c’est ce que Naim a délivré. C’est pour cela qu’il est si grand. Avant la remise des médailles, je lui ai dit : « Naim, tu es le meilleur ». Il m’a répondu : « Non Valerios, nous sommes tous les deux les meilleurs. »

Après Atlanta, Süleymanoğlu a tenté de remporter une quatrième médaille d’or consécutive à Sydney 2000, mais il s’est fait éliminé après trois tentatives infructueuses à 145 kg. 

Leonidis n’a jamais remporté l’or olympique. Il a remporté le bronze aux Championnats du monde 1999, sa dernière médaille mondiale. 

Après sa retraite sportive, Süleymanoğlu s’est lancé dans la politique. Il est décédé à l’âge de 50 ans, en 2017.

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