Beat Feuz, prêt quand il le faut

La présence du Suisse au sommet du ski alpin était loin d’être garantie. Découvrez l’homme qui accepte le pire pour devenir le meilleur, en or à Beijing 2022. Réfléchi, résilient, flexible : découvrez l’homme qui accepte le pire pour devenir le meilleur.

7 minPar Chloe Merrell
Beat Feuz
(2022 Getty Images)

Dans le sport, tout est question de timing. Si vous n’êtes pas convaincu, demandez simplement au skieur Beat Feuz.

La carrière du Suisse de 34 ans – qui a remporté la médaille d'or lors de la descente des Jeux Olympiques de Beijing 2022, ce dimanche 6 janvier – est réputée pour avoir repoussé les limites de la logique.

Poursuivi pendant ses 15 ans en Coupe du monde par une blessure persistante au genou qui a failli nécessiter une amputation au moment le plus critique, le skieur a su apprivoiser la douleur pour devenir le maître de la descente et écrire une histoire qui suscite l’admiration chez ceux qui la connaissent.

En alternant les exploits et les forfaits dans ses jeunes années, Beat Feuz a connu une évolution faite de hauts et de bas qui ressemblait plus au ski de bosses qu’à la trajectoire linéaire et directe vers la ligne d’arrivée d’un descendeur. Mais c’est quand il a touché le fond que le Suisse a été le plus reconnaissant.

C’est quand il a compris que son genou ne pouvait pas supporter l’exigence du slalom que le natif du canton de Berne s’est lancé dans les épreuves moins techniques. Cette décision de s’entraîner plus intelligemment et pas plus dur a porté ses fruits.

En 2017, après onze ans de lutte avec sa blessure, Beat Feuz est devenu champion du monde de descente. C’était le début d’une période dorée. Il a profité de ce succès pour devenir intouchable et remporter le petit globe de la descente quatre fois d’affilée. Dans l’histoire, seul Franz Klammer y était parvenu entre 1975 et 1978.

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(2019 Getty Images)

Beat Feuz, un retour de blessure comme aucun autre

C'est en 2012 que la vie du descendeur a complètement changé. Ce qui devait être une opération banale du genou s'est transformée en un problème bien plus sérieux. Le corps de Beat Feuz a rejeté le traitement, ce qui a conduit à une grave infection. L’olympien a eu besoin d’être opéré à cinq reprises sous anesthésie générale pour nettoyer la blessure.

Depuis ce jour-là, le Suisse a toujours été gêné par cette blessure. Compétition, entraînement, quotidien : son impact n’a épargné aucun aspect de la vie du skieur.

Résolu à continuer d’avancer, comme il l’a déjà fait auparavant au cours de sa carrière, Beat Feuz a appris à s’adapter. Une des principales mesures qui lui a permis de connaître le succès a été d’éviter les épreuves techniques pour se concentrer sur la descente.

Cette stratégie a été tellement efficace que le Suisse peine à réaliser l’ampleur de ses exploits. « Ça me surprend moi-même », a-t-il avoué au Neue Zurcher Zeitung.

« Jusqu’au titre mondial en 2017, je disais qu’avec mon genou cassé, je n’allais jamais être en mesure de skier au haut niveau sur l’intégralité d’une saison. Quatre ans plus tard, je suis presque le descendeur le plus régulier que j’ai vu. »

« J’ai peut-être trouvé la manière dont je dois skier, mais ce n’est pas non plus une garantie. Ça reste inexplicable pour moi. »

Étant donné ce que Beat Feuz doit accomplir physiquement à chaque fois qu’il quitte le portillon de départ, c’est un miracle de le voir produire exactement ce qu’il faut sur chaque course, chaque saison.

Le Suisse a reconnu que sa capacité à être toujours prêt quand il le faut est un don qu’il possède depuis longtemps :

« C’est une de mes forces de trouver le chemin pour accomplir mes objectifs. »

« C’est peut-être dû au fait que j’aborde les entraînements avec légèreté. Je n’ai pas besoin de réaliser les meilleurs temps alors j’y vais tranquillement. C’est pour cette raison que je peux hausser mon niveau les jours de course, particulièrement d’un point de vue mental. »

« Des fois au départ, je sens que je ne suis pas prêt. Mais dès que je me lance, c’est comme appuyer sur un interrupteur. »

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Beat Feuz, profiter du positif avec le négatif

Beat Feuz doit vivre avec un genou blessé pour toujours, mais il n’y a pas qu’au niveau physique qu’il a été touché par cet événement.

Mentalement, le quadruple vainqueur du petit globe de la descente est aussi un homme nouveau.

Dans un court essai écrit à la fin de la saison 2020, le skieur a évoqué quelques expériences personnelles qui selon lui, révèlent une dualité dans le sport.

À travers le prisme d’une médaille, que le skieur connaît particulièrement avec ses plus de 50 podiums, le Suisse a expliqué comment il trouve le bon et le mal intimement liés dans le sport.

« Quand vous faites du sport de haut niveau, vous comprenez rapidement que rester au sommet dépend d’un mélange parfait de nombreux éléments différents », a-t-il écrit.

« La forme physique, l’expérience, connaître la piste et la neige, l’équipement : tous ces éléments jouent un rôle important dans l’obtention d’un résultat. C’est un équilibre très précis qui peut s’effondrer à chaque instant. Sinon, tout le monde pourrait devenir champion du monde. Mais ce n’est pas le cas. «

« Quand vous commencez à connaître un environnement d’une manière si précise, vous acceptez les aspects négatifs. Ils sont souvent la face cachée d’une médaille. »

« Le ski alpin est un sport difficile qui vous donne avec une main et vous prend avec l’autre. C’est ce qui vous fait réaliser que le travail et le succès sont les deux faces d’une même médaille. Une face brille, mais pas l’autre, pourtant, elles sont faites du même métal. »

« C’est la même chose pour la déception et la volonté de revenir, pour le plaisir de voyager et le mal du pays, pour les blessures et la connaissance de soi. »

(2021 Getty Images)

Ce sentiment doux-amer, qui se reflète dans la réflexion de Beat Feuz est une manière d’expliquer comme il est toujours revenu de sa blessure. 2012 a peut-être été le pire moment de sa carrière, mais c’est une période que le descendeur apprécie profondément, car c’est là qu’il a pris la décision qui a définitivement changé le cours de sa carrière.

S’adapter aux nouvelles limites physiques de son corps lui a permis d’affiner son art pour faire ce qu’il a toujours préféré.

« Je suis reconnaissant envers cette blessure qui m’a incité à me tourner vers les épreuves de vitesse. Cette décision a vraiment été récompensée. »

Beat Feuz a porté un regard similaire sur 2020, une année durant laquelle la Coupe du monde de ski alpin a été largement perturbée par la pandémie de Covid-19.

Alors qu’il n’a pas toujours été en mesure de participer aux courses, il a passé du temps avec sa fille Clea et pour lui, c’est le meilleur souvenir qu’il garde de cette période. On peut se concentrer sur ce qui a été perdu ou on peut profiter de ce qu’il reste. Encore une fois, il s’agit des deux faces d’une même pièce.

Beat Feuz, d’abord un père, ensuite une star du ski alpin

En juillet 2021, Beat Feuz a annoncé sur ses réseaux sociaux que lui et sa femme Katrin attendaient un deuxième enfant.

Comme les autres étapes importantes qui ont jalonné sa carrière sportive, la paternité a aussi demandé des ajustements, notamment quand il est question de faire face au danger d’un sport comme le ski alpin.

« J’étais conscient des dangers avant, mais ce qui a vraiment changé depuis que je suis papa, c’est que je skie de manière très consciencieuse et je m’assure que chaque descente est vraiment nécessaire. »

« J’avais l’habitude de partir plusieurs jours pour m’entraîner en me disant "on va voir comme ça va se passer". Le temps à la maison est vraiment important pour moi maintenant. »

Pour le triple médaillé olympique, il y a quand même une chose qu’il aime en particulier au niveau de la relation entre sa fille de trois ans et le ski.

« Quand je rentre à la maison, elle n’en a rien à faire de savoir à quel point j’ai bien skié. Elle veut juste être avec son père. »

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