Rencontre avec Ahmad Abughaush, premier champion olympique de Jordanie
À seulement 22 ans, le taekwondoïste Ahmad Abughaush est sans doute déjà l’athlète jordanien le plus célèbre de tous les temps. Aux Jeux Olympiques de Rio 2016, Ahmad, dixième tête de série, a mené quatre combats palpitants, s’imposant notamment face au champion de Londres 2012 et à la deuxième tête de série pour décrocher l’or dans la catégorie des moins de 68 kg. C’était la toute première fois que la Jordanie remportait une médaille olympique.
De retour en Jordanie, nous avons rencontré le vainqueur souriant pour connaître l’impact qu’a eu sa médaille d’or sur son pays natal et savoir ce qui a changé dans sa vie quotidienne et pourquoi son entraîneur ne lui donne pas carte blanche au restaurant.
Avez-vous toujours été convaincu que vous pourriez devenir le premier Jordanien à décrocher une médaille olympique ?
En allant à Rio, je me pensais capable d’atteindre la première marche du podium. C’était mon but, même si tout le monde me disait : « Tu peux gagner une médaille, mais l’or c’est une autre histoire ». Je leur ai prouvé que c’était possible.
Qu’est-ce que vous avez fait de plus remarquable depuis que vous êtes champion olympique ?
J’ai donné beaucoup d’interviews pour la télévision et la radio, aussi bien en Jordanie qu’à l’étranger. On m’a interviewé au Qatar et aux Émirats arabes unis. En 2017, la Jordanie a reçu le trophée de la Coupe du monde féminine [de football] et j’ai pu le porter sur le stade pour le montrer au public. J’ai été invité au match et j’ai pu voir notre équipe nationale féminine s’entraîner avant la rencontre. Mais ce que j’ai préféré, c’est montrer l’exemple aux jeunes d’ici, aux Jordaniens. Depuis [que j’ai remporté la médaille d’or], le taekwondo connaît un énorme engouement. Je suis devenu un modèle, pas seulement pour les adeptes du taekwondo, mais pour les sportifs en général. C’est la plus belle des récompenses.
Quelle est la popularité du taekwondo en Jordanie désormais ?
Le taekwondo est le sport individuel le plus pratiqué en Jordanie. La discipline compte 100 000 adeptes ; après les Jeux de Rio, 30 000 personnes se sont mises à ce sport et 16 nouveaux clubs ont ouvert à travers la Jordanie. Cela me rend très fier. C’est ce qui est arrivé de mieux depuis ma victoire.
Ce succès a-t-il rendu votre vie quotidienne en Jordanie plus compliquée ?
Tout le monde m’interpelle dans la rue. Maintenant, quand je vais au centre commercial, faire les magasins, tout le monde me reconnaît et veut se prendre en photo avec moi. Alors je ne sors plus aussi souvent qu’avant. Mais ce n’est pas un problème. Mes amis m’aident énormément.
La famille royale de Jordanie est impliquée dans le monde du sport depuis longtemps ; comment a-t-elle réagi à votre victoire ?
Après avoir gagné la médaille d’or j’ai été reçu au Palais royal. J’ai rencontré le roi Abdallah et la reine Rania. Le roi m’a dit qu’il était très fier de ce que j’ai accompli pour la Jordanie et que j’étais l’un des meilleurs de l’histoire. Le président de notre fédération est le prince Rashid, je l’ai donc également rencontré, ainsi que sa femme. Elle dirige désormais notre programme de préparation olympique. Je la vois presque tous les jours lorsque je vais m’entraîner. De plus, le prince Rashid m’a beaucoup soutenu avant les Jeux ; c’est lui qui a entièrement financé notre participation.
Vous êtes donc devenu un modèle pour beaucoup ; mais vous, qui est votre idole ?
J’adore [Lionel] Messi. Sa détermination à atteindre ses objectifs, son talent. Il est le meilleur. Je suis supporter de Barcelone et de l’Argentine. Nous avons perdu la Coupe du monde [2018] face aux champions. Je regarde souvent le football à la télévision. C’est de loin le sport le plus suivi en Jordanie. La plupart des gens soutiennent des équipes espagnoles, soit le Real Madrid, soit Barcelone. Il y a une grande rivalité entre les deux.
Vous jouez ?
Oui. Je suis un bon footballeur. Mes amis et moi jouons au football à onze une semaine sur deux. Je suis un meneur de jeu. Mes pieds vont très vite, je suis rapide et fort. En ce moment, nous avons des compétitions de taekwondo tous les mois, je n’ai donc pas beaucoup de temps libre. Mais je joue aussi à des jeux vidéo de football avec mes amis. Je prends toujours Barcelone.
Quels sont vos principaux atouts en tant qu’athlète ?
Tout le monde dit que ce sont ma technique, mes mouvements et mes coups de pied latéraux. Ma technique et mon style inspirent beaucoup de gens, en Jordanie et ailleurs. C’est ce que me disent des personnes du monde entier à travers de nombreux messages sur Facebook et Instagram.
Quelles sont vos ambitions en taekwondo ?
Je veux devenir le meilleur taekwondoïste de tous les temps et du monde entier. Je veux remporter une autre médaille d’or. J’ai été le premier Jordanien à remporter une médaille olympique, j’espère devenir le premier Jordanien à remporter deux médailles olympiques. Les Jeux Olympiques ont été comme un rêve. Avant Rio, j’avais entendu ce qu’on disait des JO, mais une fois sur place c’était vraiment différent. Être entouré de tous les meilleurs athlètes dans le village, les voir s’affronter et gagner des médailles, il n’y a rien de tel. Mon but est de monter, une fois encore, sur le podium et de remporter l’or [à Tokyo en 2020]. Je suis en pleine forme.
Et quelles sont vos ambitions dans la vie ?
Je veux consacrer ma vie au taekwondo. Et quand je ne pratiquerai plus, je me tournerai peut-être vers l’entraînement ou l’administration. J’étudie actuellement l’éducation sportive à l’Université de Jordanie. Je veux donner le meilleur pour mon pays.
Pour finir, si vos adversaires de Tokyo, vos rivaux pour la médaille d’or, venaient vous rendre visite en Jordanie, où les emmèneriez-vous ?
Je les emmènerais voir la mer, Petra, Gérasa, le théâtre romain, la citadelle. La Jordanie est un pays incroyable et très beau. Je leur ferais également goûter le mansaf, un plat traditionnel à base de viande avec du yaourt et du riz. Malheureusement je n’ai pas le droit d’en manger tous les jours, je suis limité à deux fois par mois.