Quand Tarzan se couvrait d'or aux Jeux : la légende de Johnny Weissmuller
Il y a 95 ans, en l'espace de deux jours, les 18 et 20 juillet 1924 à Paris, Johnny Weissmuller était sacré champion olympique du 400 m nage libre, du 100 m nage libre et du relais 4 x 200 m nage libre avec les États-Unis. Il occupait aussi le poste d'avant-centre de l'équipe américaine qui prit la médaille de bronze du tournoi de water-polo. De nouveau champion olympique à deux reprises quatre ans plus tard à Amsterdam (100 m et 4 x 200 m), il va rapidement enchaîner sur une autre carrière où ses talents de nageur vont s'exprimer d'une autre façon…
"Yo yooo-yoooo yooo-yoooo" : tel est le cri de Tarzan inventé par Johnny Weissmuller à partir de "Tarzan l'homme singe" sorti en 1932, reproduit par lui-même dans douze autres films au succès international jusqu'en 1947, et qui a traversé les époques et les occurrences que ce soit dans les films d'animation ou dans les innombrables "remakes", bref un des cris les plus célèbres du XXe siècle.
En 1974, à l'occasion des 50 ans de la MGM (et accessoirement de ses trois premières médailles d'or aux Jeux), il raconte : "J'ai auditionné pour le rôle, je suis rentré chez moi et ils m'ont appelé une semaine plus tard : 'Vous avez le job !' Je suis allé à leurs bureaux, on m'a demandé : 'Quel est votre nom ?' J'ai répondu : Johnny Weissmuller. 'Eh bien il va falloir en changer,' ont-ils dit. Pas question, ai-je affirmé. Quelqu'un qui se tenait à côté a dit : 'Vous ne lisez pas les journaux ? Ce gars est le plus grand nageur du monde, il est champion olympique, il détient tous les records du monde !' Alors ils ont dit : 'Merveilleux, on garde le nom et on va mettre plein de scènes de nage dans le film !" Promesse tenue dès sa première apparition à l'écran dans la peau de Tarzan.
La star de la piscine des Tourelles
La légende de Johnny Weissmuller s'écrit d'abord dans la piscine des Tourelles à Paris, en juillet 1924. Il n'est pas encore un acteur, juste un nageur de l'équipe olympique des États-Unis né allemand, Souabe du Banat, le 2 juin 1904 dans l'Empire austro-hongrois à Freidorf, aujourd'hui district de Timisoara en Roumanie. Il est arrivé avec ses parents aux États-Unis encore bébé en 1905 et contracte la poliomyélite à l'âge de 9 ans. Son médecin suggère la natation pour combattre la maladie. À Chicago, où il vit, il est repéré à l'adolescence par l'entraîneur de l'Illinois Athletic Club (AIC) Bill Bachrach et à 18 ans, il est le premier nageur à parcourir les 100 m en moins d'une minute, avec un temps de 58.6 le 19 juillet 1922, record du monde qu'il améliore en 57.4 le 17 février 1924. Il est aussi, le 6 mars 1923, le premier à nager le 400 m en moins de 5 minutes, établissant un record du monde en 4:57.0
La première épreuve disputée par Johnny Weissmuller dans l'un des sports les plus populaires des Jeux de Paris 1924 est le 400 m nage libre, des séries le 16 juillet à la finale deux jours plus tard. "De toutes les épreuves olympiques de natation, le 400 m fut certainement celle qui donna lieu à la finale la plus disputée. On attendait beaucoup dans cette épreuve de la rencontre des trois grands champions du meeting olympique : Johnny Weissmuller, l'Australien Boy Charlton et le Suédois Arne Borg. Empressons-nous de dire que la lutte de ces véritables tritons donna lieu de bout en bout à une bataille nautique comme il est rare d'en voir et comme on n'en verra peut-être plus", s'enflamme Émile-Georges Drigny, directeur des épreuves de natation des Jeux de 1924 et rédacteur de ces lignes dans le rapport officiel.
Le nageur américain de 20 ans bat le record olympique dans les séries (5:22.2), puis le pulvérise à nouveau une première fois en demi-finale (5:13.6). Lors de la finale le vendredi 18 juillet, c'est Arne Borg qui vire en tête aux 100 m, en 1:04.2. La lutte s'engage avec Weissmuller et les deux nageurs se détachent. L'Américain touche le premier aux 200 m (2:23), et Borg reprend les devants à 100 m de l'arrivée : il est toujours en tête à la marque des 350 m. Boy Charlton remonte pour se mêler à la lutte finale. "Les 50 derniers mètres donnèrent lieu à une lutte épique qui porta vraiment en elle la quintessence du sport. Johnny Weissmuller, dans un effort de tout son être, parvenait dans une dernière détente à s'assurer de 1 mètre 50 le meilleur sur Arne Borg, tandis que Charlton, qui terminait certainement le plus fort des trois nageurs, finissait sur les talons mêmes du champion suédois", témoigne Émile-Georges Drigny. En 5:04.2, Weissmuller atomise à nouveau son record olympique.
Un record de cinq titres en natation qui tiendra jusqu'en 1972
Dimanche 20 juillet, place à la finale du 100 m nage libre qui clôture le programme de natation en apothéose. Le compatriote de Johnny Weissmuller, Duke Kahanamoku, vainqueur à Stockholm en 1912 et à Anvers en 1920, vise un troisième titre sur la distance. Son frère Sam est également de la partie. Et dans cette course, il n'y a pas photo : le futur Tarzan se détache dès les premiers coups de bras et s'impose avec une nette avance sur Duke, suivi de Sam Kahanamoku. Il abaisse sous la minute le record olympique que détenait Duke depuis les Jeux d'Anvers, en 59.0. "Le 100 m nage libre confirmait magnifiquement la suprématie du crawl, qui pour la première fois aux Jeux Olympiques, était employé par tous les concurrents", précise E-G. Drigny.
Le phénomène de 20 ans n'en a pas fini de sa journée de compétition : ses camarades américains se sont qualifiés sans lui pour la finale du 4 x 200 m nage libre, et le quatuor qu'il forme en position de dernier relayeur avec Ralph Beyer, Harry Glancy et Wally O'Connor s'impose largement devant l'Australie et la Suède, avec un record du monde en 9:53.4. Dans ces Jeux de la VIIIe Olympiade, Johnny Weissmuller participe également au parcours vers la médaille de bronze de l'équipe des États-Unis de water-polo, jouant au poste d'avant-centre. Bref, il repart de Paris avec quatre médailles autour du cou, dont trois en or.
De nouveau champion olympique du 100 m nage libre et du relais 4 x 200 m à Amsterdam en 1928, Johnny Weissmuller est le seul quintuple médaillé d'or de natation jusqu'aux exploits de Mark Spitz en 1972. La légende raconte que durant la totalité de sa carrière amateur, il ne perd pas la moindre course. Il remporte 52 titres de champion des États-Unis et bat 67 records du monde. En 1950, il est désigné par un vote de 250 journalistes sportifs de l'Associated Press comme le plus grand nageur de la première moitié du XXe siècle.
Au tout début des années 1930, alors qu'il a trouvé un travail bien rémunéré de mannequin et représentant d'une entreprise de sous-vêtements et maillots de bain, il se trouve à Los Angeles lorsqu'on lui suggère d'aller faire un test pour le rôle de Tarzan. Il répond "non merci", mais il entend dire qu'en se rendant à la MGM, il pourrait déjeuner avec Clark Gable ou rencontrer Greta Garbo. La suite de l'histoire est (bien) connue….