Quand le rock rencontre l’opéra : la genèse de Barcelona
L’idée d’associer l’une des icônes les plus extravagantes du rock avec une soprano de renommée internationale pour interpréter un hymne des Jeux Olympiques semblait peut-être fort improbable, mais pourtant, quelle superbe idée ! Barcelona, la chanson interprétée par Freddie Mercury et Montserrat Caballé, constitue l’un des moments musicaux les plus imprégnés de magie des 122 ans d’histoire des Jeux Olympiques modernes. Voici tous les détails sur la naissance de ce duo extraordinaire.
Quel meilleur choix que celui de Montserrat Caballé pour attirer l’attention sur les Jeux Olympiques de Barcelone 1992 ? À l’époque, la diva charismatique, Barcelonaise et fière de l’être, a conquis les publics de toute la planète dans les années 60, 70 et au début des années 80.
Pourtant, le choix de lui accoler le chanteur britannique de l’un des groupes de rock les plus excentriques du monde, Queen, pour le projet olympique de sa ville natale semblait beaucoup moins évident. Mais comme c’est le cas pour beaucoup de grands tandems, la chance et les circonstances vont s’avérer décisives.
Quelques années plus tôt, Queen a suscité un enthousiasme tel dans les rangs du public londonien lors du Live Aid, un double concert de charité donné en 1985, que le groupe est sorti de la léthargie dans laquelle il avait sombré au début des années 80 et a décidé de s’embarquer dans une tournée mondiale en 1986. C’est ainsi que dans le cadre de la promotion de cette tournée, Freddie Mercury va donner une réponse très significative à une simple question posée à la radio espagnole : selon lui, qui possède la plus belle voix du monde ?
« Je ne dis pas ça simplement parce que je me trouve en Espagne, mais à mon avis, Montserrat Caballé a la plus belle voix qui soit », a répondu Freddie, cité par Lesley-Ann Jones dans son ouvrage Freddie Mercury : la biographie ultime.
« C’est arrivé aux oreilles de Montserrat qui avait déjà été approchée au sujet des Jeux Olympiques de 1992. Personne ne sait vraiment qui en a eu l’idée, mais toujours est-il qu’il est devenu tout naturel que Freddie et Montserrat forment un duo pour interpréter un hymne olympique. »
Il suffit de quelques mesures sur le morceau qui en a résulté pour réaliser que ce duo était quelque part prédestiné. Il n’a certainement pas fallu beaucoup de temps aux deux stars pour comprendre que l’alchimie était au rendez-vous.
À mon avis, Montserrat Caballé a la plus belle voix qui soit Freddie Mercury dans Freddie Mercury : la biographie ultime - Freddie Mercury dans Freddie Mercury : la biographie ultime
« Ils se sont rencontrés à Barcelone en mars 1987, écrit Lesley-Ann Jones. Ils sont allés au Ritz et Monti (Montserrat) s’est fait attendre pendant des heures. Apparemment, elle était coutumière du fait, toujours en retard. Ils ont déjeuné en privé dans un salon dans lequel il y avait un piano dans un coin. »
« Peter Freestone (le secrétaire de Freddie Mercury) a raconté que Freddie et Montserrat sont tombés amoureux l’un de l’autre, presque comme s’ils avaient eu un coup de foudre. Bien entendu, cela ne risquait pas d’arriver, tant ils étaient aux antipodes l’un de l’autre, mais chacun est vraiment tombé sous le charme de l’autre. »
Ils se sont revus rapidement. Montserrat Caballé s’est rendue au domicile de Queen dans le quartier de Kensington à Londres, à l’issue d’une représentation au Royal Opera House.
« Aujourd’hui, les chanteurs d’opéra ont tendance à se coucher tôt à cause de leur voix, mais elle, elle y est allée un soir pour dîner et ils sont restés debout jusqu’à l’aube à enchaîner des tubes de Queen, s’amuse Lesley-Ann Jones. Ils se sont en quelque sorte bien trouvés. »
L’opéra et le rock ne font pas naturellement bon ménage tout de suite. Le premier requiert des années de formation très spécifique, alors que le second se nourrit d’un sentiment de désordre et d’abandon. Mais dans le cas de Montserrat Caballé et de Freddie Mercury, les deux disciplines se sont juxtaposées parfaitement.
« Freddie avait une amplitude fantastique, quelque chose comme quatre octaves et demie, ce qui est assez inhabituel pour une rock star, souligne Lesley-Ann Jones. Mais il est resté très humble et s’en est toujours remis à quelqu’un qui avait étudié une forme d’art. Il savait pertinemment qu'il avait beaucoup à apprendre de quelqu'un comme Montserrat. »
« Il a mis volontiers sa propre ignorance en avant, en se mettant pour ainsi dire à nu et en disant : "C’est comme ça que je peux le faire sonner, avec vous, cela sonne parfaitement". »
« En ce qui concerne Montserrat, il y a un très bel extrait de film dans lequel elle est interviewée après la mort de Freddie et on la voit désemparée, il lui manque. Elle l’aimait. »
Leur personnalité théâtrale naturelle - flagrante dès les premières secondes du clip de Barcelona - a également fait naître tout de suite l’harmonie.
Avec Mike Moran, producteur et auteur-compositeur-interprète, tous trois ont écrit non seulement le single Barcelona, mais aussi un album complet de duos. Sorti pour la première fois en 1987, Barcelona s’est classé au huitième rang des hit-parades britanniques, un exploit historique pour un titre qui mélange les genres.
Bien qu’il ne soit pas passionné par le sport, Freddie Mercury était obsédé dit-on par la perspective d’interpréter la chanson devant un public mondial de plusieurs milliards de téléspectateurs lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 1992. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Diagnostiqué séropositif en 1987, il allait décéder en 1991.
Montserrat Caballé est montée seule sur scène et s’est produite avec beaucoup d’émotion lors de la cérémonie d’ouverture de 1992, accompagnée par la voix facilement reconnaissable de Freddie Mercury.
Le duo n’est peut-être jamais monté sur la scène olympique ou celle du Royal Opera House de Londres – d’après Lesley-Ann Jones, c’était prévu après les Jeux de Barcelone - mais il a produit l’un des grands classiques de tous les temps en sport.
« C’est un morceau qui transcende les genres. Il hisse la flamboyance et l’art de Freddie à leur apogée. Il a probablement fait découvrir à des millions de personnes une dimension lyrique qui ne les intéressait peut-être pas avant », a déclaré Lesley-Ann Jones au sujet de Barcelona, qui s’est classée numéro deux dans les hit-parades britanniques après avoir été rééditée pendant les Jeux olympiques de 1992.
« Tout ce qui mélange les genres est toujours très précieux. Cela se distingue. »