Lorsque le sport vient à la rencontre de la musique - Pavarotti à Turin 2006

Cela avait pris des mois aux organisateurs des Jeux Olympiques d’hiver de 2006 à Turin pour convaincre Luciano Pavarotti de se produire lors de la cérémonie d’ouverture mais les efforts en auront valu la peine. Voir et entendre le ténor chanter l’aria Nessun Dorma dans le stade olympique (ce qui aura été sa dernière performance) reste l’incarnation de l’union parfaite entre le sport et la musique.

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Lorsque le sport vient à la rencontre de la musique - Pavarotti à Turin 2006
(Getty Images 1a)

Debout sous un gigantesque rideau de théâtre, portant une cape noire tourbillonnante ornée des anneaux olympiques brodés en argent, la flamme olympique flamboyant au-dessus de lui, Pavarotti rappela au monde entier en cette froide soirée de février qu’il était une des personnalités culturelles les plus influentes de l’histoire récente.

Pendant quelques minutes, les problèmes de santé de l’Italien et le cancer du pancréas qui l’arrachera à la vie en septembre de l’année suivante et qui avait déjà commencé son œuvre n’importèrent plus. Tout aussi banale fut la nouvelle tardive que le grand chanteur d’opéra avait demandé un pré-enregistrement pour s’assurer que sa voix se répandrait dans le stade dans toute sa gloire. Au lieu de cela, celui qui fut probablement le plus grand et sans conteste le plus célèbre chanteur d’opéra de tous les temps fascina son vaste public une dernière fois pendant deux minutes et quarante secondes.

 “Ce fut incroyable” expliqua Peter Fill, champion de l’épreuve de descente de la Coupe du monde de ski d’Italie pour qui Turin 2006 représentait les premiers de ses quatre Jeux Olympiques à ce jour. “Il était un héros de la nation célèbre dans le monde entier mais tellement aimé en Italie. C’était une personnalité incroyable, pas seulement à cause de sa voix mais de sa personne toute entière. Et Nessun Dorma est un de ses airs que je préfère, vraiment un air extraordinaire.”

Pendant plus de 15 ans avant les Jeux de Turin, Nessun Dorma avait été l’air préféré d’un grand nombre de fans de sport depuis l’époque où, chanté par Pavarotti, il était devenu le signe de ralliement officieux extrêmement populaire de la Coupe du monde de football de 1990 en Italie. Quel honneur pour une aria de l’opéra Turandot écrit par Giacomo Puccini et chantée pour la première fois en 1926 !

“Elle symbolise le drame et la victoire, elle fait se dresser les cheveux sur la tête et avoir la chair de poule et il (Pavarotti) savait parfaitement bien transmettre tout ça”, explique Martin Cullingford, rédacteur de la revue Gramophone, bible de la musique classique. “Elle incarne tout ce qu’il y a de plus théâtral dans une aria: le calme et la mélodie du début puis les effets scénographiques et enfin la conclusion tellement spectaculaire ”.

 “Le sport est fait de drames et de défaites, et tout y est dans cette musique. Cette union parfaite a pris les gens aux tripes. Il était simplement la personne idéale pour y parvenir”.

Pavarotti était resté dans toutes les mémoires pour avoir chanté Nessun Dorma dans le cadre du premier concert légendaire des trois ténors qu’il avait donné aux côtés des Espagnols Placido Domingo et Jose Carreras dans les thermes de Caracalla à Rome, la veille de la finale de la Coupe du monde de 1990. Cet enregistrement figure toujours parmi les albums classiques les mieux vendus de tous les temps. C’est ainsi qu’il aura suffi d’entendre les premières mesures de musique  à Turin, le 10 février 2006, pour que le public sache à quoi s’attendre.

Ce fut incroyable. Il était un héros de la nation célèbre dans le monde entier mais tellement aimé en Italie. C’était une personnalité incroyable, pas seulement à cause de sa voix mais de sa personne toute entière. Peter Fill - Peter Fill

“ Il ne pouvait en être autrement, il était à sa place en chantant ici son air générique “, poursuit Cullingford. “ Dans ce répertoire, le bel canto italien, il avait probablement une des plus belles voix de tous les temps. ”

L’énorme ovation qui fut faite à Pavarotti après que la dernière note de musique eut été chantée à Turin et qui sembla ne jamais finir en est le témoignage. Alors que les rendez-vous sportifs internationaux majeurs sont traditionnellement ouverts par des grands noms du rock, quel compliment envers le genre classique  que de voir la performance de ce septuagénaire italien en 2006 rester comme un des moments les plus symptomatiques des Jeux !  S’il va de soi que le mérite en revient à l’homme lui-même, ce n’est pas uniquement sa voix puissante mais plutôt sa capacité de longue date à aller bien au-delà des frontières de son travail quotidien qui sont à relever.

“Il a entamé sa carrière en créant des passerelles et en se produisant dans des concerts touchant de larges publics connaissant peu l’opéra. Il a su, en tant qu’individu et chanteur, interagir avec le public au niveau des émotions en allant bien plus loin que les vedettes habituelles de la musique”, dit Cullingford de l’homme qui enregistra des duos avec Eric Clapton, Elton John, Jon Bon Jovi et Bono, pour n’en citer que quelques-uns.

“Grâce à lui, la musique d’opéra s’est trouvé un public que jamais personne n’avait conquis auparavant. Il aura peut-être été le plus grand ambassadeur de cet art”.

Pavarotti est révéré dans le monde entier grâce à son amour jovial du football, son aisance parmi les gens de tout milieu et son goût notable pour la célébrité.  Ses funérailles retransmises en direct sur les chaînes de télévision italiennes ressemblèrent à celles d’ordinaire réservées aux hommes d’État. Alors que les forces aériennes italiennes rendaient honneur à l’un des enfants chéris de la nation, une seule musique bien sûr les accompagnait, l’aria de Nessun Dorma.

 “Il est devenu une superstar. Il était ce genre de personnes, il y en a peu, auxquelles le monde prête attention”, conclut Cullingford. “Il n’y en a pas d’autres comme lui et je n’en vois pas émerger. Pas comme lui l’a fait, sur une terrasse de football, portant un foulard et serrant la main aux gens”.