Le point de vue de Timo "Magic" Boll sur l'évolution du tennis de table à travers les âges
Qu’il s’agisse de la taille ou du matériau de la balle, ou encore du revêtement en caoutchouc de la raquette, le tennis de table n’a cessé d’évoluer depuis 32 ans qu’il figure au programme olympique. Peu de joueurs se sont mieux adaptés à ces changements que le triple médaillé olympique Timo Boll, qui se rendra à Tokyo pour sa sixième tentative de décrocher l'or.
Depuis trois décennies, le tennis de table fait l’objet d’un jeu fascinant du chat et de la souris. Grâce aux avantages du professionnalisme et aux progrès technologiques, les joueurs sont devenus toujours plus rapides, plus forts et plus compétents sur le plan technique. Mais, conscients des besoins des spectateurs, les administrateurs ont cherché à contrôler discrètement le rythme du jeu et les niveaux de rotation de la balle.
"Il y a eu beaucoup de modifications des règles en ce qui concerne les matériaux, ce qui n'est jamais facile, mais c'est aussi amusant de changer", déclare Timo Boll, 39 ans, quintuple olympien.
L'Allemand, qui est surnommé "Magic" et qui a occupé pour la première fois la tête du classement mondial en 2003, a vu la balle et les différents composants de la raquette évoluer tout au long de ses plus de 25 ans au sommet. Étant donné qu'il est revenu au premier rang mondial pour la troisième fois en mars 2018, pas étonnant qu'il considère sa capacité d'adaptation comme la raison principale de sa longévité.
La balle d'abord. En 1900 a été introduite la première balle de tennis de table en celluloïd. Celle-ci mesurait 38 mm de diamètre. Fait remarquable, elle est restée presque entièrement inchangée pendant 100 ans. Mais en 2000, la Fédération internationale de tennis de table (ITTF) a augmenté le diamètre de la balle à 40 mm et a instantanément changé le jeu.
"J'étais connu pour mon topspin lourd. C'était la plus grosse arme de mon jeu, mais la balle plus grande rendait plus difficile la même rotation et le même [spin] latéral", explique Boll, qui faisait partie de l’équipe masculine allemande ayant remporté l'argent aux Jeux Olympiques de Beijing 2008 et le bronze à Londres 2012 et Rio 2016.
Le plastique ayant remplacé le celluloïd inflammable dans presque tous les domaines de la vie, ce n'était qu'une question de temps avant que le tennis de table ne suive. Au cours de la saison 2014-2015, les premières balles en plastique ont été introduites pour toutes les compétitions de l'ITTF. Selon Boll, cela a permis de "réduire la rotation" que les joueurs pouvaient donner à la balle, tout en faisant rebondir celle-ci plus haut, offrant ainsi davantage au joueur naturellement agressif et rapide.
Si la balle a beaucoup changé, il en est de même pour le revêtement en caoutchouc qui recouvre les raquettes. Depuis que le Japonais Hiroji Satoh est devenu, en 1952, le premier joueur à remporter un championnat du monde en utilisant un caoutchouc mousse, c'est un domaine dans lequel les joueurs ont longtemps aimé bricoler.
"Il y a vingt-cinq ans, je jouais avec un caoutchouc très souple qui avait un immense effet de catapulte intégré, mais maintenant je joue avec des caoutchoucs très durs et cela demande beaucoup d’efforts pour jouer un jeu de haute qualité", confirme Boll.
Depuis l'intervention radicale de Satoh en 1952, le secteur des revêtements en caoutchouc pour les raquettes de tennis de table a explosé avec plus de 1 600 variétés figurant désormais sur la liste des revêtements autorisés par l'ITTF.
"Certains sont vraiment collants, d'autres sont tendres et rapides. Je préfère le caoutchouc collant, plus dur et plus lent", explique Boll. "Je peux le contrôler comme je l'aime, le caoutchouc suit mes mouvements. Cela n’apporte pas une aide énorme, mais je préfère bien contrôler la balle.
"La plupart des joueurs chinois aiment les revêtements collants, qu'ils peuvent contrôler. Ils se fient davantage à leur propre technique et n'ont pas besoin de l'aide de l'équipement. À l’inverse, bon nombre de joueurs japonais aiment jouer avec des matériaux rapides pour un jeu plus risqué".
Mais la majorité des joueurs va encore plus loin, avec des revêtements différents sur les côtés coup droit et revers, pour s'adapter aux forces de leur jeu.
"Pour l'instant, je joue avec le même revêtement pour le coup droit et le revers, mais la plupart des joueurs aiment jouer avec un revêtement plus dur sur le côté coup droit et un autre un peu plus tendre sur le côté revers. C'est la façon traditionnelle de faire pour les joueurs offensifs", explique Boll, quintuple médaillé d'argent par équipes aux championnats du monde et médaillé d'argent en double.
"Parce que vous avez plus de force sur votre côté coup droit et que vous voulez le contrôler un peu mieux, mais sur le côté revers, vous avez besoin de l'aide du matériel".
Au début de ce siècle, les joueurs ont trouvé un autre moyen d'augmenter la vitesse de leur raquette, en utilisant cette fois de la colle rapide sur les caoutchoucs. Cette pratique a été interdite en 2008 et a de nouveau entraîné un changement de style et de rythme.
"Je ne suis plus le joueur le plus rapide, mais je reste plus près de la table. Je dois réagir plus vite, mieux évaluer le jeu, jouer beaucoup plus précisément qu'avant", explique Boll. "C'est à cause des changements de règles et aussi parce que mes capacités physiques ont un peu changé. J'ai dû m'adapter d'une manière ou d'une autre, et j'ai trouvé des solutions. Même si j'ai perdu quelques armes importantes dans mon jeu, j'ai trouvé d'autres choses que je pouvais améliorer".
Si la plupart des changements concernant l'équipement ont réduit l’importance du spin lourd, ce qui a conduit à un jeu plus offensif, il y a encore quelques joueurs défensifs, ou "murs" comme les appelle Boll. Son coéquipier et numéro 42 mondial, Ruwen Filus, en est un, tandis que le magistral Coréen Joo Saehyuk, médaillé d'argent aux championnats du monde, en est un autre.
Ils disposent de quelques outils précieux qui aident mais c’est un "style épuisant".
"Sur le caoutchouc de leur revers, ils jouent avec les picots dehors. Il y a différentes variantes : picots courts, picots longs", indique Boll. "Les picots courts sont beaucoup plus dangereux car ils permettent plus de variation et plus de rotation sur la balle, mais c'est plus difficile à contrôler. Les picots longs sont plus sûrs".
Tous les joueurs d’élite ne se sont pas adaptés à la multitude de changements aussi facilement que Boll. L'avènement de la deuxième génération de balles en plastique, peu après les Jeux de Rio 2016, a mis les légendaires Chinois en difficulté. Boll a été l'un des Européens à se lancer dans cette aventure. Lui et son coéquipier Dimitrij Ovtcharov étaient tous deux en tête du classement mondial en 2018. Pour Boll, qui se sent "en forme" et "prêt" pour Tokyo 2020, c'était une période qui a confirmé l'importance d'un sport en constante évolution.
"La plupart du temps, les Chinois ont dominé notre sport, donc c'était bon de voir que nous avions encore une chance et qu'il y avait des moyens de les concurrencer", rit-il. "C'était bon pour notre force mentale."