Killian Peier : "Lausanne et sa région, un magnifique terrain pour devenir un champion"
Killian Peier est devenu le n° 1 du saut à ski suisse cet hiver, en multipliant les top 10 en Coupe du monde et en remportant une médaille de bronze sur grand tremplin lors des Championnats du monde 2019. Il a su se relever d'une immense déception : sa non-qualification pour les Jeux de PyeongChang 2018. Ambassadeur des JOJ de Lausanne, il nous raconte son parcours et explique notamment tout le bénéfice que retireront les sportifs suisses de la rénovation du tremplin des Tuffes, dans le Jura français.
Vous êtes âgé de sept ans en 2002 quand vous assistez au doublé de Simon Ammann aux Jeux de Salt-Lake City. Racontez-nous.
En regardant les exploits de Simon, j'ai tout simplement eu envie de commencer le saut à ski. Cela a intéressé mes parents, mais comment faire lorsqu'on habite à La Sarraz, proche de la vallée de Joux et éloigné des tremplins ? Ils se sont renseignés auprès du ski-club et ont appris que l'âge de dix ans était idéal pour commencer le saut. Pendant deux ans, j'ai pratiqué plein d'autres sports, basketball, gymnastique, etc. Et pour mes dix ans, j'ai pu faire une initiation de saut à ski sur le tremplin du Brassus. J'ai fait quelques sauts avec du matériel alpin, et le lendemain, l'entraîneur m’a apporté du matériel spécifique, les skis et la combinaison. J'ai ensuite fait pas mal de sauts, dans la vallée de Joux et aussi en France, au stade des Tuffes, et cela a marqué le début de ma passion pour ce sport.
D'inspirateur, Simon Ammann est devenu votre coéquipier. Que vous a-t-il apporté?
C'est difficile à dire. Je m'inspire du sérieux qu'il met dans ses entraînements, de son implication totale dans le saut à ski. Il ne fait jamais les choses à moitié et peaufine chaque détail. C'est un modèle. Il n'est jamais venu me dire "essaye de changer ça ou ça", mais plutôt "tu as beaucoup de qualités et tu pourrais travailler un peu mieux" mais sans me donner un détail concret. Il avait tellement de choses sur lesquelles se focaliser, sans avoir le temps d'être trop proche des plus jeunes…
Les JOJ d'Innsbruck en 2012 ont-ils été votre première grande compétition internationale ?
Pour moi, c'était la deuxième. J'avais participé l'année d'avant au Festival olympique de la jeunesse européenne (FOJE) à Liberec en République tchèque. Donc, une deuxième participation plus internationale que ce que j'avais vécu jusque-là. Une super expérience, de pouvoir découvrir le fonctionnement des épreuves à un niveau plus important. C'était chouette de découvrir cet univers olympique, d'un côté de voir comment se déroulaient les compétitions, de l'autre de se mêler aux jeunes sportifs venus de toutes les régions du monde, et qui pratiquaient des sports complètement différents, alors qu'on ne les côtoyait jamais. C'est là que j'ai compris que je faisais ce que j'aimais faire. J'y pense encore de temps en temps, surtout aujourd'hui, avec les jeunes du saut à ski suisse qui vont participer aux JOJ de Lausanne 2020. Le chemin qu'ils suivent actuellement ressemble à celui qui a été le mien. Ils peuvent se dire qu'en continuant sur leur lancée, ils pourront peut-être se hisser parmi les meilleurs mondiaux.
Vous avez progressé, mais sans obtenir votre sélection pour les Jeux de PyeongChang 2018. Que s'est-il passé à ce moment-là ?
J'ai espéré pendant très longtemps que ça allait le faire, durant toute la saison en fait. Au final, il a fallu faire face à la réalité : je n'avais pas le niveau pour y aller, je ne remplissais pas les critères, il me manquait de la stabilité, de la force mentale. Cela a entraîné une totale remise en question. C'est un sport dans lequel j'ai déjà investi la moitié de ma vie, c'est ce que voulais faire, mais sans atteindre le niveau requis alors que je visais ces Jeux. Je me suis demandé pourquoi je pratiquais ce sport, et comment je pouvais m'améliorer.
Vous avez donc tout changé ?
Non, pas tout. Je me suis professionnalisé dans mon approche sportive. Cela faisait déjà une année que j'avais un coach personnel, mais je ne savais pas moi-même comment je fonctionnais. Il m'a aidé à me connaître un peu mieux, afin que je puisse faire des progrès, surtout au niveau mental : il m'a appris à sortir de ma zone de confort. Au niveau physique, j'avais déjà les qualités requises, mais il fallait que je sache les assembler. L'autre chose était que je vivais en colocation depuis trois ans, et je n'arrivais pas à sortir du moule du saut à ski. Mes colocataires étaient des sauteurs : j'allais au tremplin, puis à la salle d'entraînement et ça parlait de saut. Quand je rentrais à la maison, on en parlait encore. Je ne pouvais pas "éteindre", et cela me pesait. J'ai donc déménagé.
Vous avez pris votre véritable envol cet hiver. Votre premier top 10 en Coupe du monde lors de la tournée des quatre tremplins en janvier à Innsbruck a-t-il constitué le déclic ?
En effet ! J'ai commencé la saison avec une certaine confiance en moi grâce à mes résultats durant l'été. Mais il restait encore une incertitude personnelle. Je ne trouvais pas encore ce relâchement, ce sentiment de confiance. Cela a pris quelques concours, j'ai finalement pu apprivoiser tout ça, et sur le tremplin d'Innsbruck, tout est venu presque naturellement. J'ai fini septième et cela m'a prouvé que j'en étais capable, et que tout ce sur quoi j'avais travaillé payait enfin. Mais il me restait une marge de progression, quelques détails à aller chercher, pour être ensuite à 110 % en finale, aux championnats du monde.
Et vous remportez le bronze dans ces Championnats du monde 2019 sur grand tremplin…
Je pense que c'est le moment où toutes les pièces du puzzle se sont assemblées. J'avais fait des super bons entraînements officiels les jours précédents, et je me sentais vraiment prêt. J'ai pu travailler tous les détails pour mettre la pression de côté. Et le concours s'est plus que mieux passé ! Le premier saut était déjà très bon, mais je ne pensais pas être au point de figurer parmi les premiers. J'ai essayé de rester dans ma bulle jusqu'au deuxième saut, sans connaître mon résultat. J'ai croisé l'entraîneur, il m'a dit, "eh bien voilà, tu es premier !". Au 2e saut, j'ai dû attendre là-haut, j'étais tout seul. Puis je me suis élancé, et je ne savais pas quelle était ma place. Quand j'ai vu "n°3" s'afficher sur l'écran, c'était vraiment magnifique.
Les JOJ de Lausanne 2020 seront binationaux, avec notamment les épreuves de saut sur le tremplin des Tuffes à Prémanon dans le Jura français. Le connaissez-vous bien ?
Je n'ai sauté qu'une fois sur le nouveau tremplin. Je ne le connais pas tant que ça. Mais sur l'ancien, j'ai dû faire jusqu'à 500 sauts. On était là-bas toutes les deux semaines. Concernant le nouveau tremplin, la piste d'élan a été entièrement rénovée, il n'a plus ce caractère "old school" que nous connaissions avant. Mais c'est normal, il fallait un changement, il s'agissait d'un tremplin qui datait de… je ne sais pas quand, mais longtemps en tout cas. Il a été superbement construit pour un nouveau profil, c'est très agréable et on peut faire des sauts relativement longs. Pour les sauteurs juniors et les spectateurs, ce sera un superbe spectacle. C'est vraiment nickel.
Choisir de venir aux Tuffes à Prémanon était un bon choix de votre point de vue ?
Oui, tout à fait. Dans les alentours de Lausanne, il n'y avait tout simplement rien. Il aurait fallu recommencer de zéro. Donc, je pense que c'est une superbe opportunité pour les Tuffes et en même temps pour la Suisse ! Il y a cet accord qui permettra aux équipes suisses de nordique de venir s'y entraîner. Cela offre une infrastructure dans la région transfrontalière qui est au meilleur niveau. C'est carrément génial.
Vous êtes ambassadeur des JOJ de Lausanne 2020. Quelles sont vos actions ?
Le comptoir de la vallée de Joux a réalisé un stand pour les JOJ de 2020 et pour le ski-club, et comme je fais partie des deux, ça a été un super moment. Mon but était de montrer aux jeunes qu'il est possible d'atteindre le meilleur niveau mondial avec un peu de volonté, et qu'il n'y a pas que des extraterrestres autrichiens ou allemands. Cela m'a toujours tenu à cœur qu'il y ait une relève, car je sais moi-même ce que cela représente. Et aussi qu'ils soient nombreux ! Nous ne sommes pas beaucoup en saut à ski en Suisse, chaque enfant qui veut commencer, c'est une opportunité très importante. C'est le but des JOJ, inspirer les jeunes pour qu'ils fassent du sport. Pas forcément du saut à ski, mais il est clair que la relève est très importante dans tous les sports. C'est sain, et c'est ce qui compte pour qu'il y ait des médailles à l'avenir.
Les JOJ à Lausanne, c'est important pour vous ?
Ils vont se dérouler dans ma région, là où j'ai grandi. Ça me touche énormément qu'elle s'engage dans une compétition de cette importance, et justement pour les jeunes. Je suis fier d'être originaire de Lausanne et de pouvoir montrer qu'il s'agit d'un magnifique terrain pour devenir un grand champion. Durant les JOJ, en janvier 2020, je serai en pleine saison de Coupe du monde, mais avant dès qu'il y aura une opportunité pour que je sois présent à un endroit ou à un autre, je prendrai le temps pour cela, avec un grand plaisir.