Jeux Paralympiques de Paris 2024 - Cécifoot : Frédéric Villeroux se livre après la médaille d’or des Bleus : « C’était écrit »

Par Céline Penicaud
10 min|
Frédéric Villeroux blind football
Photo de 2024 Getty Images

Un mois après le sacre paralympique de l’équipe de France de cécifoot, son capitaine emblématique Frédéric Villeroux s’est confié à Olympics.com. 

C’était le 7 septembre dernier.

Le soleil se couchait une dernière fois sur le somptueux Stade Tour Eiffel, offrant un spectacle grandiose aux 12 000 spectateurs venus soutenir l’équipe de France de cécifoot dans sa quête d’or paralympique.

Sur le terrain, les joueurs tricolores livraient une bataille sans merci face aux champions du monde argentins, pour une finale des Jeux Paralympiques de Paris 2024 de gala.

Les deux équipes n’ont pu se départager qu’en fin de soirée, au terme d’une séance de tirs au but irrespirable. C’est finalement le capitaine Frédéric Villeroux qui a pris ses responsabilités en inscrivant le tir au but décisif pour permettre aux Bleus d’empocher le premier sacre paralympique de leur histoire (1-1, 3-2 t.a.b).

Un mois plus tard, le Bordelais peine encore à se remettre de ses émotions.

« Je ne réalise pas encore totalement », reconnait-il dans un entretien exclusif accordé à Olympics.com.

Pour cet éducateur sportif, ce sont surtout les contacts dans son milieu professionnel qui lui permettent de prendre conscience de l’ampleur de l’exploit réalisé et de ses conséquences.

« Mes adhérents m’en parlent énormément, c’est le sujet de tous les jours », explique-t-il. « Les parents viennent à ma rencontre, me remercient, et on sent qu’on a réussi à faire passer des émotions. On a sensibilisé les gens sur le para sport, on a mis le cécifoot en lumière, et les gens commencent à comprendre un peu qu’on a du savoir-faire, c’est cool. »

Clés du succès, nouvelle notoriété, mise en lumière du handicap et possible retraite : l’homme providentiel de l’équipe de France de cécifoot nous partage ses émotions sans filtre.

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Le mental et le public, les atouts gagnants des Bleus pour décrocher l’or paralympique

Ce sont de ces histoires qui font vibrer les cœurs et mettent en exergue toute la beauté du sport. Sur le papier, l’équipe de France ne partait pas favorite de ce tournoi paralympique. Seule nation engagée toujours amateur avec la Türkiye, peu donnaient cher de la peau des Bleus avant la compétition.

Et l’affiche de la finale était à la hauteur de cet écart entre équipe amateur et équipe professionnelle championne du monde en titre. « On avait à cœur de montrer que David contre Goliath c’était possible », révèle Frédéric Villeroux. Selon lui, deux facteurs ont notamment permis cet exploit : la mentalité du groupe et le soutien du public.

« Un groupe qui a toujours bien vécu, une bande de potes »

« Une finale ça ne se joue pas, ça se gagne », pose-t-il. C’est avec cet état d’esprit que l’équipe, soudée, est entrée sur le terrain ce fameux samedi 7 septembre.

« En dehors du terrain c’est un groupe qui a toujours bien vécu, c’est une bande de potes et c’est ça qui a fait la solidité de l’équipe », analyse-t-il. « On savait qu’on pouvait le faire, il fallait s’engager à 300% encore, comme tous les autres matchs. »

Un mental d’acier collectif qui permet aux Tricolores de soulever des montagnes et faire trembler l’adversaire. « Je pense que l’équipe de France fait plus peur au niveau mentalité, engagement, parce qu’on ne lâche rien jusqu’à la dernière seconde », poursuit-il. « Tous les pays le savent. Les Argentins eux, ils avaient battu le Brésil, je pense qu’ils sont partis gagnants et que ça leur a porté préjudice. »

Avant d’ajouter : « Certes il y a eu les choix tactiques et techniques du sélectionneur mais je pense que c’est l’entente du collectif qui a permis de réussir à dépasser les moments compliqués, et à être solides au moment où on a réussi à marquer. »

Des qualités collectives qui ont permis au capitaine d’aborder sereinement la finale.

« Quand j’ai marqué le premier but je me suis dit que plus rien ne pouvait nous arriver. Même le but que les Argentins mettent 7 secondes après ne m’a pas dérangé, j’ai vite échangé avec des coéquipiers en disant ‘ne vous inquiétez pas ça va le faire en faisant tous notre boulot’, et voilà, on l’a fait », se réjouit-il.

« Le public a été à 50% la raison de cette médaille »

En plus de sa mentalité, l’équipe de France pouvait s’appuyer sur un avantage de taille contre ses adversaires : un public passionné et complètement acquis à sa cause.

« Ce qui m’a le plus marqué c’est l’entrée du premier match », se souvient-t-il. « On nous disait qu’il y avait 12 000 personnes dans le stade, on le savait, on a essayé d’acheter des billets pour nos familles mais on ne pouvait pas parce que c’était plein. Mais on restait quand même perplexes, on se disait que ce n’était pas possible que 12 000 personnes viennent voir du cécifoot. Quand on a entendu tout le monde crier, ça nous a requinqués. […] Ça nous a donné des émotions comme jamais. »

Sans ce soutien indéfectible, peut-être que le résultat final n'aurait pas été le même.

« Si on avait fait la même compétition, avec les mêmes matchs dans le même ordre, je pense qu’on ne passe même pas les poules. Le public a été, a minima, à 50% la raison de cette médaille », considère-t-il.

Rien ne semblait pouvoir se mettre en travers du chemin des Français vers l’or. « C’était notre tournoi. On en a tous parlé. Si on doit réécrire le scénario c’est impossible. Tout ce qu’il s’est passé, entre le carton rouge contre la République populaire de Chine, les poteaux contre la Türkiye et la Colombie, les moments où on marque quand l’autre équipe domine… […] C’était écrit. Il n’y a pas de mots, c’est la magie du sport », s’émeut-il.

Un retour à la réalité sous le feu des projecteurs

Cette performance exceptionnelle a permis aux joueurs de l’équipe de France de faire connaître le cécifoot et de sortir de l’anonymat auprès du grand public. Peu habitués à se retrouver sous le feu des projecteurs, ils ont pu profiter d’un bain de foule dès leur sortie du village le lundi matin, soit deux jours après la finale.

Il y avait une ferveur dès que nous sommes arrivés à la gare. Les gens se retournaient, nous applaudissaient, on voyait que ça les avait marqués.

Le capitaine des Bleus nous raconte une anecdote qui a marqué les joueurs dans le train. « Avec les coéquipiers on en reparle encore, dans le train on va au bar, on s’assoit pour boire un café et une dame derrière nous vient poser sur notre table une tablette de chocolats en disant ‘je vous remercie pour toutes les émotions que vous nous avez données’. Et là, elle est partie. Nous n'avons même pas eu le temps de la remercier, elle a posé la tablette et nous a dit ça en marchant ».

« Des moments comme ça, c’est énormément touchant », poursuit-il. « On sent qu’on a fait vibrer les gens, on a réussi à réunir le grand public, il n’y avait plus de différence entre les personnes en situation de handicap et les valides, entre les riches et les pauvres, et c’est ça qui est génial. Dans certaines maisons et certains bars, il y a des familles et des amis qui se sont regroupés pour vivre la finale, c’est cool, tu fais passer des valeurs et des émotions et c’est génial. »

Il a reçu une belle surprise quelques jours plus tard, lors de son retour au travail. « J’ai été accueilli une semaine après dans l’école de foot, et il y a avait plus de 300 enfants qui m’ont fait une haie d’honneur. Avec la ville, on a resensibilisé les 300 enfants de l’école. Ça fait plaisir car ce sont des jeunes dans ma ville. D’un coup tu touches 300 enfants, et pas 20 sur une séance, c’est ça qui est cool », se réjouit-il.

Une nouvelle notoriété à mettre au profit de l’inclusion des personnes en situation de handicap

Cette nouvelle notoriété, Frédéric Villeroux compte bien s’en servir pour se battre pour les droits des personnes en situation de handicap, et plus précisément pour l’inclusion des plus jeunes à l’école.

« J’ai un gros projet d’inclusion sur le sport, sur les cours d’EPS », détaille-t-il.

« En tant qu’éducateur sportif et déficient visuel je ne peux pas entendre que des personnes en situation de handicap soient en dehors des cours de sport. Pourquoi un enfant ordinaire a le droit de pratiquer du sport à l’école, alors qu’un enfant en situation de handicap doit à la place faire des soins, ne pas bénéficier d’encadrement, ou ne pas pouvoir participer parce que le prof de sport n’est pas formé ? », défend-il.

« Il y a une loi d’inclusion pour les enfants à l’école, donc maintenant il faut que ce soit mis en action. Le droit n’est pas que sur le français et les maths, ça doit aussi concerner la musique, les arts plastiques et le sport. Ce ne sont pas des matières secondaires », insiste-t-il.

S’il sent que l’effet des Jeux Paralympiques commence à « retomber », il espère que tous les acteurs vont s’unir et intensifier leurs actions dans cette bataille de l’inclusion.

« Il faut que toutes les personnes qui ont travaillé pour cet événement magnifique fassent que ça perdure. Tout le monde doit être encore engagé plusieurs années et pas seulement sur 15 jours », persiste-t-il.

Avant de poursuivre : « Il y a eu le terrain où avec le cécifoot on a réussi à marquer les esprits, à sensibiliser les gens, et maintenant il faut que cette bataille de l’inclusion devienne réelle et que ce ne soient pas que des mots, il faut qu’il y ait des actes. »

Le Championnat d’Europe 2026 en France en ligne de mire avant la retraite sportive

En attendant de pouvoir s’investir pleinement dans sa cause, Frédéric Villeroux pourrait bien rechausser ses crampons plus tôt et plus longtemps que prévu.

Âgé de 41 ans, le Bordelais avait un temps envisagé de prendre sa retraite sportive à l’issue des Jeux Paralympiques de Paris 2024. Mais il pourrait bien poursuivre l’aventure avec les Bleus quelques mois de plus.

« C’est encore en discussion », nous souffle-t-il. « En fin de compte c’est un tout : est-ce que le corps va suivre ? »

Si son corps ne le lâche pas, le médaillé paralympique envisagerait de poursuivre jusqu’à une échéance particulière.

« Il y a le Championnat d’Europe 2026 en France », annonce-t-il. « Je pense que si ça n’avait pas été en France j’aurais arrêté. Je me serais arrêté sur une médaille d’or à domicile, quoi demander de mieux ? Mais bon là comme il y a le Championnat d’Europe en France, si le corps et le travail me le permettent, si avec ma famille les plannings peuvent s’emboîter correctement… »

« Ça ne dépend pas que de ma tête mais de mon corps surtout. C’est en réflexion. En tout cas je pense que l’Olympiade va être longue, mais peut-être que je ferai l’Euro », conclut-il.