Philippe Mairesse, designeur de la mascotte d’Albertville 1992 : « Une mascotte doit avoir un côté affectif »
À l’occasion de la révélation de la mascotte des Jeux de Paris 2024, Olympics.com est allé à la rencontre de Philippe Mairesse, designeur de Magique, la mascotte d’Albertville 1992, pour évoquer la genèse de sa création et les caractéristiques d’une mascotte olympique.
Il y a un peu plus trente ans, les Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville 1992 étaient organisés et Magique, un petit lutin en forme d’étoile et de cube était crée par l’illustrateur Philippe Mairesse. Une mascotte qui a rencontré un franc succès, qui a marqué une génération d’athlètes et de spectateurs, qui aurait pu ne jamais exister car elle a remplacé un chamois, animal emblématique des Alpes, qui avait été préalablement choisi.
Mais les événements ont fait qu’après une dizaine de jours de reflexion, Magique est né de l’imagination de Philippe Mairesse, aujourd’hui artiste plasticien, enseignant et chercheur dont la connexion entre l’art et le monde des entreprises est l’un des axes de reflexions.
Il avait 10 ans lors des Jeux de Grenoble 1968, année de la première mascotte olympique, Shuss, qui l’a profondément marquée.
Il a accepté de nous raconter la genèse de Magique, qui reste l’un des meilleurs travaux jamais réalisé, ainsi que ce qui fait une bonne mascotte olympique, qui selon lui doit être « l’avant-garde de la création visuelle ».
Olympics.com : Vous avez créé Magique, une mascotte qui n’est ni un animal, ni un humain. Comment cette idée est née ?
Philippe Mairesse : Il y avait vraiment une volonté de s'écarter des traditions, des animaux, des choses bon-enfant. Toute l'identité visuelle [d'Albertville 1992] était très abstraite, très graphique, basée sur des atmosphères, des ambiances.
Pour les cérémonies, ils avaient engagé Philippe Decouflé, un chorégraphe qui faisait des choses très exubérantes et designs. Ils avaient fait appel à des artistes qui n'étaient pas spécifiquement dans l'esprit traditionnel des Jeux pour marquer justement de façon différente.
Pouvez-vous revenir sur le processus de création de Magique ?
Je n'avais pas beaucoup de temps pour la faire. C’était une compétition d’agences de design, et on était déjà en retard. On avait huit/dix jours pour arriver avec une proposition. C'était vraiment très court.
Je sentais quelque chose venir, mais je n'arrivais pas bien à définir quoi. J'étais plutôt parti pour faire un personnage. Plus je travaillais plus j’ai compris que ce que j'étais en train d'essayer de faire, ou de refaire plutôt, c’était en fait la mascotte des Jeux de Grenoble 1968, Schuss. Je m’en souvenais bien car j’étais gamin pour Grenoble 1968. Au final, c’était ça que j'avais entre les mains et j'essayais de refaire un truc similaire. Alors je me suis dit "mince, ça ne va pas du tout, catastrophe !".
À partir de là, j'ai laissé passer le temps. J'ai encore accentué la pression du temps. Puis l'étoile était un signe très important dans l'identité visuelle créée par l’agence Desgrippes. Il y avait des petites étoiles, ça revenait, il y avait des sortes de virgules. Il y avait des logos faits à la main par Alain Doré, un jeu de couleurs, une gamme de couleurs très définie : des bleus très vifs, des rouges très vifs, les couleurs des anneaux... Beaucoup de blanc. Et à un moment donné, j'ai vu que l’étoile était personnage. Puis je lui ai mis un bonnet, et je voulais l'articuler. Il fallait que ça bouge tout de suite. Je n'ai pas proposé un dessin, mais un volume. Une mascotte articulée en carton dont les bras et les jambes bougeaient. J'avais fait des photos dans des positions différentes et on voyait que c'était mon objectif.
Quels retours avez-vous eu ?
Il y a eu des retours très positifs, des gens qui adorent la mascotte. Des années après, certains m'en parlent encore. Et puis d'autres pensaient que le chamois était beaucoup mieux.
Trente ans plus tard, quel regard portez-vous sur votre création ?
Je pense que c'était une bonne création qui se distinguait, qui était dans une autre ligne. C'était l'esprit des années 90. "On va de l'avant, tout est designé..." Mais peut-être que la volonté de ne pas faire une mascotte comme un gros nounours faisait qu'elle manquait d'affectif. Moi je trouve qu'elle était très affective, très marrante. En bougeant, elle exprimait plein d'émotions avec trois signes différents. C'était super bien, mais c'était peut être davantage un travail graphique, de dessin animé, que de mascottes.
Depuis, j'ai beaucoup regardé les mascottes et effectivement, celle de Mariscal aux Jeux d'été 92, Cobi [était très affective]. Mariscal était un illustrateur qui dessinait beaucoup, des petits personnages, de petits animaux, etc. De mon côté, ma pratique d'illustrateur était assez graphique et abstraite. Peut être que pour une mascotte, il manquait un truc plus affectif.
Mais quand je me retourne, je suis très fier de l'avoir faite. C'est un des meilleurs boulots d'illustrateur que j'ai fait. Quand on vous propose la mascotte des Jeux Olympiques, on ne va pas vous proposer beaucoup mieux par la suite.
Selon vous, quelles sont les caractéristiques qui font une bonne mascotte ?
Le côté très affectif. Il faut qu’une mascotte soit affective. Puis le côté graphique, le côté création. Les Jeux, c’est l’avant-garde du sport et ça doit être l’avant-garde visuelle également. Ces deux aspects [affectif et graphique] sont difficiles à concilier.
Le nom, également. Ce n’est pas le plus flagrant dans une mascotte, mais j’ai réalisé que c’était très difficile.
Ensuite, c’est la qualité d’animation. Une mascotte, il faut que ça bouge et c'est le plus difficile. J'avais réussi à le faire en 2D et en 3D, mais dès que ça passait en volume, c'est à dire les peluches ou les personnes déguisés en mascotte, mon étoile devenait "monstrueuse", ça marchait moins bien. Ça doit pouvoir bouger sous toutes ses formes, que ce soit avec un déguisement ou en animation 2D et 3D, c'est difficile et c'est une qualité de mascotte.
Puis il y a ce truc en plus. Ce qui fait qu'avant que ça existe, on ne pouvait pas l'imaginer mais une fois que c'est là, c'est évident.